Cheikh Ayad: «Nous étions trahis nahnah et moi»

Cheikh Ayad: «Nous étions trahis nahnah et moi»

Boudjemaâ Ayad, l’un des fondateurs du mouvement islamique en Algérie, a révélé dans cette interview accordée à Echorouk les causes de leur arrestation après avoir été trahis par une personne originaire de Blida.

Il a affirmé que non seulement les groupes de El Madania et de Blida qui s’opposaient au régime de Boumediène mais aussi Ferhat Abbas, Ben Youcef Ben Khedda ainsi que Abdellatif Soltani.

Echorouk: Quelles sont les formes de restrictions auxquelles vous vous étiez opposées ?

C.B.A: Le régime avait d’abord dissous l’Association des Oulémas musulmans juste après l’Indépendance. Après sa dissolution, certains Oulémas à l’image de Cheikhs Mesbah Houidek et Bachir Ibrahimi et autres avaient tenté de soulever la nation de nouveau en créant l’association « El Qiyam » (valeurs), dont le fondateur était Hachemi Tidjani avec des Oulémas comme Kheir Eddine (trésorier). Malheureusement, cette association a eu le même sort en 1967 que celle des Oulémas. Depuis cette date jusqu’à 1968, un groupe d’étudiants et d’enseignants en compagnie du penseur Malek Bennabi, que Dieu ait son âme, ont créé la première mosquée estudiantine à la Faculté centrale.

Depuis, l’Algérie a connu de comportements inadmissibles tant du côté du pouvoir, des gauchistes et de certains islamistes. Citons le cas de Cheikh Mesbah en exile et de Cheikh Ibrahimi placé en résidence surveillée selon les information qui circulaient, mais j’ai appris de son fils Taleb Ibrahimi qu’il n’était pas placé en résidence surveillée.

Ensuite, d’autres cheikhs comme Abdellatif Soltani et Ahmed Sahnoun avaient été placés en résidence surveillée. Le régime avait lutté contre toutes formes de modération et dont le gagnant était le courant de gauche.

Echorouk: Quels étaient les cheikhs qui vous ont marqués à cette période ?

C.B.A: Il y a bien entendu Cheikh Abdellatif Soltani, les Cheikhs Mezhoudi, Tahar, Brahim, Ali Mehenna, Ali Chentir, Ketou, Ahmed Hamani, Mesbah, Mekki, Ahmed Sahnoun, El Arbaoui, Lakhdar Bachir Ibrahimi…etc.

Echorouk: Ne craignez-vous pas qu’il y aurait infiltration des informations sur la tentative de liquidation de Boumediène ?

C.B.A: Effectivement, nous avons écarté toutes les actions qui étaient contraires aux principes adoptés au préalable par le groupe. D’ailleurs, Cheikh Soltani était au courant de tout ce que nous préparions car nous le consultions à n’importe quel détail. « Mon fils, si tu tues Boumediène tu resteras éternellement en enfer », m’avait-il dit. Un jour, on s’est vu lors d’une occasion et il m’avait dit: « Mon fils, viens je t’explique une chose. Si tu voudrais changer un mal, et que son changement entraînait tant d’autres, cela devient alors un mal ».

Echorouk: Avez-vous tenu informé Cheikh Nahnah de ce que vous aviez appris de Cheikh Soltani ?

C.B.A: Bien évidemment, à mon retour je l’avais informé et on s’était mis d’accord sur certains principes et de la nature d’action à mener lesquels ne s’opposaient pas à la fetwa de Cheikh Soltani. Notre travail s’était étalé sur trois étapes de mars à décembre 1976.

Tout a commencé après la révision du pacte national en 1976 diffusée sur la télévision. Cependant, nous nous étions mis à procéder à écrire sur les murs des expressions en guise de refus au contenu du pacte « Non au socialisme, non à la dictature prolétarienne, non au conflit de classes, non au pacte écrit des mains des traîtres et des loyalistes au communisme », « Oui à l’Islam comme religion, référence de la Constitution, du régime et de l’économie ». Mais, par la suite il s’est avéré que le peuple n’a pas adopté la démarche du régime et s’est montré fidèle à sa religion.

Echorouk: Dans quels endroits avez-vous écrit vos tags ?

C.B.A: Nous nous mettions d’accord Cheikh Nahnah que les écritures soient visibles dans différents endroits, mais j’ai constaté qu’elles n’étaient mentionnées qu’à Alger.

Echorouk:Pourquoi ?

C.B.A: Je n’ai pas d’éléments de réponse. En vérité, nous étions deux groupes, dont celui de la région ouest dirigé par Cheikh Nahnah, tandis que je dirigeais celui de la région est.

Echorouk: Donc, il n’y avait pas d’écritures dans le fief de Nahnah à Blida ?

C.B.A: Même à Blida. Peut être que le travail mené n’a pas été collectif. En coïncidence avec la révision du pacte national, nous avions agi une semaine ou dix jours avant le groupe de Ferhat Abbas, Ben Youcef Ben Khedda, Lahcen Bellahloul et Kheir Eddine qui ont publié un communiqué dans lequel ils dénonçaient la situation du pays et mis en garde contre la persistance de la situation tout en réclamant en revanche la liberté d’expression et la liberté d’opinion. Ils ont distribué un nombre limité d’appels au peuple.

De son côté, Cheikh Abdellatif Soltani a rédigé une requête dans laquelle il manifestait son opposition au régime. Du coup, il a été arrêté et puis relâché. Vu les relations que j’entretenais avec lui, il m’avait donné quelques exemplaires de sa requête que j’ai distribuées moi-même.

Echorouk: Votre action se résumait alors à l’écriture sur les murs seulement ?

C.B.A: Dans la deuxième étape suivant le référendum sur la Constitution, nous avions publié une circulaire: Où va-t-on Boumediène ? contenant 15 clauses: sept (7) non à savoir « Non au socialisme, non au communisme, non à la dictature prolétarienne, non au conflit de classes, non à la discrimination politique, législative, judiciaire et exécutive, non au pacte rédigé des mains des traîtres loyalistes au communisme, non au pacte adopté pour appuyer un régime illégitime » et huit (8) oui à savoir « Oui à l’Islam comme religion et charia, oui à l’Islam comme guide de la vie, oui à l’Islam comme référence de la Constitution, du régime et de l’économie, oui à l’Islam des droits et devoir et jugement, oui à l’Islam de justice, à l’Islam de l’union et à l’Islam de fraternité »…fin du circulaire.

Cette circulaire a été distribuée à Alger, dans toutes les wilayas de l’est et même dans celles de l’ouest du pays et celles limitrophes du palais de El Mouradia. Sa réalisation était faite discrètement par Cheikh Nahnah et moi. Ensuite, j’ai appris du Cheikh Bouslimani dans la prison militaire de Blida, que sa distribution dans cette wilaya n’avait touché que certains quartiers seulement.