Le chaoui entre enseignement et pratique au quotidien

Le chaoui entre enseignement et pratique au quotidien

A l’occasion, de la célébration de la Journée mondiale de la langue maternelle, les variantes et l’enseignement de tamazight sont cette année à l’honneur en Algérie. La région des Aurès a grandement contribué à la préservation et à la valorisation de la langue amazighe dans sa variante chaouie, notamment à travers les travaux de recherche des universitaires, linguistes et intellectuels.

Concernant la transmission de cette langue, Jamel Nehali, chef de département langue et culture amazigh à l’université de Batna, déclare : «A l’université, nous restons attentif à la langue maternelle. D’ailleurs, il faut s’interroger, y a-t-il une ou des langues maternelles ? Il n’y a certes pas une grande différence entre le chaoui des Nememcha et celui des Hrakta ou encore des Aïth Mloul. Mais il y a quand même des différences. » Il nuance ses propos en estimant, «cependant, que l’écart ne cesse de se réduire, car les distances s’effacent. Aussi bien grâce aux voies de communication qu’aux nouveaux médias. Ainsi, deux jeunes, l’un de Mennaâ des Aurès et l’autre d’Azzefoun, peuvent discuter ensemble dans leur langue maternelle. Le pont de communication est des plus forts ».

Le chef du département précise aussi, qu’au sein de sa structure, il y a des étudiants qui viennent de milieux berbérophones et d’autres non. Soulignant «mais cela ne donne aucune avance à la première catégorie, c’est-à-dire aux locuteurs chaoui ». Il affirme dans ce sillage que le travail pédagogique est primordial et qu’à l’occasion de cette Journée mondiale de la langue maternelle, les spécialistes rappellent avec force «qu’apprendre dans sa langue maternelle, donne une chance inouïe».

Les structures du HCA en soutien 

Par ailleurs, l’apprentissage de la langue chaouie se fait également à travers d’autres structures et programmes de soutien, à l’instar de l’expérience initiée par le Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA), en partenariat avec l’Office de lutte contre l’analphabétisme, qui a débuté à Oum El Bouaghi et ses environs en 2017. A ce propos, Nadir Djebar, artiste peintre, enseignant de tamazigh aux cours d’alphabétisation d’Oum El Bouaghi, explique que «cette expérience rencontre un succès inespéré, aussi bien chez les enseignants que les étudiants, sachant que dans leur majorité, les inscrits étaient des universitaires, des licenciés ou des mastères». L’enseignant ajoute aussi : «J’ai constaté parmi mes élèves différents sentiments et approches, beaucoup regrettent avoir perdu la langue, souvent après avoir quitté les zones rurales pour venir s’installer en ville. Ils sont, cependant, contents d’en retrouver l’usage après quelques séances. » Il précise que cette prédisposition est due au fait qu’ils soient d’anciens locuteurs, ce qui leur permet d’apprendre vite. Nadir Djebar confie dans ce sillage : «Je vis avec mes étudiants des moments uniques et une expérience absolument extraordinaire. Un mot qui revient après des années d’absence, un autre qu’on a cru être d’origine chaoui, alors qu’il est en arabe classique et l’inverse.»

Mettant en relief l’apport des nouvelles technologies, il souligne qu’«avec l’usage des moyens modernes, ordinateurs, tablettes, après six mois d’apprentissage des étudiants ont déjà leur propre dictionnaire et un lexique qu’ils ont collecté. Cette collecte se fait en étant en contact avec des locuteurs chaouiphones. A nous de faire appel aux nouvelles méthodes d’enseignement, pour un meilleur apprentissage et surtout apprendre qu’il n y a aucune rivalité ou dualité avec l’arabe et d’autres langues».

Le village natal, socle de la transmission

Dans le registre de la pratique personnelle de la langue maternelle, Chelya Aurès, ancienne enseignante à la retraite, explique qu’elle n’a jamais perdu sa langue ni son usage. Mieux encore, elle écrit en tamazight dans toutes ses variantes. L’enseignante explique que cette maîtrise est la conséquence de n’avoir jamais rompu avec le socle, c’est-à-dire son village natal, Rmila dans la wilaya de Kenchela. «Nous parlons chaoui à la maison, avec ma mère et mon époux. Mais je reconnais que j’ai un frein lorsque je me retrouve en train de parler derdja avec mes enfants. Je ne comprends pas d’où vient cette défaillance, c’est peut-être de leur faute, quand ils viennent de l’extérieur ils me parlent comme ils parlent avec leurs copains. » Ajoutant que ces enfants ont tous des prénoms amazigh, Massinissa, Jugurtha et Aksel et explique qu’«il n’y a aucune passion dans mon approche. Ce que je dis à mes gosses, c’est qu’il s’agit juste de parler et de garder la langue de nos ancêtres. C’est important pour l’équilibre, n’importe quel linguiste vous le dira, l’insécurité linguistique nous guette ». Concernant la difficulté de la pratique de la langue maternelle, dans la vie de tous les jours, Maître Koceila Zerguine, avocat, résidant à Annaba où les locuteurs sont rares, souligne à ce sujet que les difficultés rencontrées sont multiples. Tout d’abord, là où il est, il n’existe aucune structure institutionnelle ou associative qui permet d’apprendre la langue. « Hormis l’effort personnel et les quelques déplacements effectués au douar durant mon enfance, personne ne parle cette langue», précise-t-il. L’autre élément qui freine sa généralisation, selon l’avocat, c’est le regard de l’autre. «De nos jours, parler dans la langue maternelle est synonyme d’une personne venant d’un autre siècle, d’un autre monde. Souvent l’image d’un montagnard encore moins un régionaliste», affirme-t-il, tout en estimant que «la préservation de la langue maternelle doit inévitablement passer par l’effectivité de sa reconnaissance».

Regain d’intérêt de la jeunesse

Toutefois, aujourd’hui, la vapeur est en train de s’inverser et de plus en plus de jeunes s’intéressent à l’apprentissage de la langue chaoui, à l’instar de la jeune Ithri Mallem, étudiante en tourisme et hôtellerie à Alger. «Je me suis remise à la langue des aïeux, sachant qu’il y a à peine quelques années ça ne me disait absolument rien. Ce qui m’as incité à cela, c’est le fait de remarquer qu’autour de moi les choses sont en train de bouger, de changer et d’évoluer avec un retour aux pratiques linguistiques des aïeux», confie-t-elle. La jeune étudiante s’est imprégné du bain linguistique de la langue maternelle lorsqu’elle rendait visite à ses grands-parents au village avec ses parents qui pourtant ne parlaient pas cette langue. Elle pense, au fait de renouer avec la langue chaoui, que «je cherche une forme de sécurité et de repères identitaires. Je me suis mise à apprendre la langue chaoui et cela se passe plutôt bien. Tout mon entourage m’aide, surtout que mes amies proches le parlent et plus particulièrement, Nessrine et Fayçal, le duo chaoui Iwal. Cela m’aide beaucoup» pour maîtriser la pratique de la langue chaoui». Ithri Maallem interdit à ses amis de lui parler en derdja pour s’efforcer à comprendre les discussions et ainsi maîtriser de plus en plus le parler. Elle avoue au final que «pour ne rien vous cacher, il m’arrive même de chanter avec eux et c’est agréable. J’ai l’impression de retrouver un membre de mon corps qu’on m’aurait amputé».

Pour rappel, le premier dictionnaire en pays chaoui – le parler des N’aïth Frah- rédigé par André Basset et son élève, natif de la région, Omar Nezel, a été édité en 1961. La langue est également préservée et transmise à travers le patrimoine oral. Il a fallu aussi attendre 1980 pour que les premières chansons chaoui soient diffusées à la télévision. Faisant ainsi connaître sur tout le territoire national, les chants que les Aurassiens entonnaient depuis la nuit des temps glorifiant la langue ancestrale.