Le nom de l’ancien ministre de l’Energie et des mines, Chakib Khelil, qui est rentré en Algérie dimanche dernier à bord d’ un vol Paris-Oran d’Aigle-Azur, est depuis quelques semaines cité dans les affaires de corruption qui secouent Sonatrach. Depuis certaines personnalités politiques nationales réclament qu’il soit entendu par la justice.
Le rôle de Khelil dans l’affaire Sonatrach embarrasse au plus haut sommet de l’Etat algérien. Le magazine Jeune Afrique vient de publier une enquête sur ce qu’il appelle “corruption à la Sonatrach : le système Chakib Khelil”.
Khelil et Bouteflika
Chakib Khelil (74 ans) est né, comme le président Abdelaziz Bouteflika, à Oujda (Maroc). De deux ans le cadet de Bouteflika, il a fréquenté l’école Sidi Ziane, celle-là même où le futur chef de l’État fera sa scolarité. Une profonde amitié lie alors les deux garçons. Quelques années plus tard, durant la lutte de libération, Bouteflika devient le commandant Abdelkader el-Mali, son nom de guerre.
Il intercède au profit du jeune Chakib pour qu’il bénéficie, en 1959, d’une bourse du FLN afin de poursuivre ses études en France. Après l’indépendance, il lui obtient, en 1964, une nouvelle bourse pour un doctorat à l’université du Texas, aux États-Unis, où il rencontre sa future épouse, Najat Arafat, d’origine palestinienne.
Son diplôme en poche, il revient en Algérie au début des années 1970 où il est recruté par Sonatrach. Bouteflika le recommande auprès de Houari Boumédiène, qui en fait un de ses conseillers et lui confie la direction de la Valorisation des hydrocarbures (Valhyd), une structure chargée de prospective en matière pétrolière.
La disparition de Boumédiène, en décembre 1978, suivie de la disgrâce de Bouteflika, incite Khelil à choisir l’exil. Il est recruté par la Banque mondiale, où il s’occupe des dossiers pétroliers, notamment latino-américains.
Vingt ans plus tard, il demande et obtient sa retraite anticipée. Cet empressement à quitter l’institution de Bretton Woods s’explique par le retour de Bouteflika aux affaires, en 1999. Ce dernier lui confie les clés de la maison Sonatrach, d’abord en qualité de ministre de l’Énergie, puis en tant que PDG du groupe. Débarqué du gouvernement en 2010, Khelil se reconvertit dans le consulting.
Il crée à Londres Mantral Ltd, puis s’associe, à Vienne, en février 2012, avec le Nigérian Rilwanu Lukman, l’Irakien Issam Chalabi et le Libyen Chokri Ghanem (mort dans des circonstances mystérieuses quelques mois plus tard dans la capitale autrichienne) pour créer CGKL Associates.
Fort de son expérience, il propose ses services aux organisateurs des grands forums pétroliers et gaziers dans toutes les régions du monde.
Les premières révélations
En 2010 un câble de WikiLeaks décrit même Khelil comme le principal responsable de “la culture de la corruption” dans la gestion du groupe pétrolier algérien.
Ses dix années de règne sans partage sur les hydrocarbures en Algérie ont été émaillées de scandales financiers et de révélations fracassantes sur une généralisation de la prévarication dans les passations de marché entre Sonatrach et ses partenaires étrangers.
Selon un cadre du groupe algérien, il supervisait directement tout contrat passé entre le géant pétrolier et les compagnies étrangères. “Plus de 1 600 contrats paraphés durant l’ère Khelil sont frappés de suspicion.
Sonatrach ne pouvait pas acheter un stylo sans que le ministre ne donne son accord”, confie un ancien cadre devenu consultant international. Khelil a mis en place un système qui lui permettait d’avoir la mainmise sur toutes les opérations financières du groupe public.
En janvier 2010, une enquête menée par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets algériens) révélait des opérations frauduleuses qui entraîneront la mise en examen de Mohamed Meziane, alors PDG de Sonatrach, l’incarcération de ses deux fils ainsi que de deux vice-présidents du groupe
Interpellé à l’époque par la presse algérienne, Khelil rétorque avoir appris l’existence de ces malversations et de l’enquête du DRS par voie de presse qui a révélé le scandale.
L’afffaire BRC
Trois ans auparavant, une affaire similaire avait été révélée, impliquant Brown & Root-Condor (BRC), une joint-venture entre Sonatrach et le groupe américain Halliburton, qui a profité de surfacturation lors de marchés douteux avec Sonatrach et le ministère de la Défense. Pour étouffer ce scandale, Khelil n’avait pas trouvé mieux que de dissoudre BRC.
D’autres casseroles sont traînées par Khelil : la réfection du siège du groupe pétrolier à Ghermoul, à Alger, la construction du nouveau siège du ministère de l’Énergie, les Twin Towers de style mauresque au Val d’Hydra, sur les hauteurs de la capitale.
Quand il inaugure ce bâtiment, en février 2006, le président Bouteflika a la tête des mauvais jours. En coupant le ruban, il se tourne vers son Monsieur Pétrole et lui lance un mystérieux “tout ça pour ça !”. Avait-il eu vent des inexplicables surcoûts provoqués par la réalisation des Twin Towers ? Probablement.
Pourtant, non seulement Khelil n’a jamais été inquiété par la justice, mais il a fallu attendre plus de quatre mois après la révélation du scandale de Sonatrach avant qu’il ne perde, en mai 2010, son maroquin de l’Énergie.
Pis : malgré les fortes présomptions qui pèsent sur lui, son passeport diplomatique ne lui a jamais été retiré et il continue de voyager sans être inquiété. A un enquêteur du DRS, Mohamed Meziane, présenté comme le “yes man” par un câble de WikiLeaks, avait déclaré, en décembre 2010 : “Je ne suis rien à côté de Chakib Khelil, à qui je ne pouvais rien refuser : il jouissait de la protection du numéro un”.