L’autobiographie de Chadli Bendjedid, qui sera bientôt éditée par Casbah Editions, devrait révéler beaucoup de détails sur son parcours, son itinéraire et son règne 13 ans durant à la tête de l’Etat algérien.
Le premier tome du livre, qui paraîtra en premier lieu, est consacré à l’enfance du défunt, à sa vie au maquis, à l’indépendance de l’Algérie et à toute la période de la présidence de Houari Boumediene (1965-1978). Dans ce tome, Chadli relate sa vie personnelle, sa vie de maquisard et toutes les missions dont il était chargé avant d’être président de la République en 1979.
Dans le deuxième tome, il parle de l’Algérie sous sa présidence et revient sur les grands évènements qu’a connus le pays, à cette époque, jusqu’à sa démission de la présidence de la République en janvier 1992.
Il raconte, dans ses mémoires, l’affaire Chaâbani, le coup de force avorté de Tahar Zbiri et le mouvement révolutionnaire de 1965, indique l’éditeur. L’opinion publique attendait avec impatience les mémoires de l’ancien président pour connaître une autre version de cette page tragique de l’histoire récente de l’Algérie, qui restera à jamais tronquée d’un témoignage précieux de Chadli.
En sa qualité de président de la République, le désormais défunt président avait sans doute beaucoup de choses à dire sur cette période et ses acteurs. Il aurait pu éclairer l’opinion sur la genèse et les péripéties de ces évènements et peut-être même situer les responsabilités. Aujourd’hui, beaucoup d’anciens responsables politiques peuvent respirer à l’aise.
Le président Chadli part sur la pointe des pieds et emporte dans sa tombe de précieux secrets de la République qui auraient pu servir le débat sur la refondation nationale à venir. Celui qui succéda à feu Houari Boumediene et fut choisi au détriment de l’actuel président a su d’emblée marquer son territoire et laisser son empreinte au milieu des classes populaires lorsqu’il supprima la fameuse autorisation de sortie à l’étranger.
Les Algériens, du moins ceux qui avaient les moyens financiers et ceux qui avaient des familles installées en France, purent ainsi goûter la joie de voyager et de découvrir d’autres contrées lointaines. A la fin des années 70, les caisses étaient pleines à craquer. Feu Houari Boumediene avait laissé plus de 1 000 milliards de DA avant de mourir.
Cet argent fut dépensé en un temps record. Tous les plans de développement ont été bloqués ou gelés. Autre coup d’éclat du président Chadli a mettre à son honneur : il a d’abord libéré le premier président Ahmed Benbella, emprisonné par le colonel Houari Boumediene sans procès durant 15 ans (1965-1980) puis rendu aux Algériens les ossements de deux héros de notre révolution, Si Amirouche et Si El-Houès, cachés dans les caves de la gendarmerie de Bab Edjedid.
C’est lui qui décida un jour de fermer les écoles des cadets de la Révolution. Bien que peu bavard, l’ancien président de la République avait le coeur serré lorsque la rue l’accablait de mille et une tares.
Celui qui est qualifié de «père de la démocratie », pour avoir permis le multipartisme et la liberté d’expression au lendemain des événements d’octobre 1988, a accusé le coup de critiques acerbes sans pratiquement jamais réagir. Les blagues sur le personnage fusaient de partout. Mais il a fallu une interview avec des organes de presse algériens et une sortie médiatique à l’est du pays, en 2008, à l’occasion d’un colloque organisé à El-Tarf en hommage au moudjahid Amar Laskri, pour que les citoyens finissent enfin par l’entendre.
L’ancien président algérien, Chadli Bendjedid, avait accordé le 4 mai 2008 un entretien à deux universitaires japonais. Voilà en substance ce que disait Chadli Bendjedid à une question posée par ces deux journalistes japonais : «C’est vous qui avez mené le changement du socialisme vers le libéralisme ?
La réponse de ce dernier fut : «Oui, tout à fait vrai ! C’est moi qui ai changé la politique économique du pays, du socialisme vers le libéralisme. J’ai constaté que la politique socialiste a échoué […] Et grâce à l’expérience que j’ai acquise du régime communiste de Benbella et du régime socialiste de Boumediene qui, au passage, ont totalement échoué, j’ai eu une idée complète et évidente sur la situation en Algérie».
Plus loin, il reviendra sur l’idée de ce changement et les réformes engagées : «Ces réformes que j’ai menées ont touché les intérêts et les acquis de certains responsables qui s’étaient emparés des centres de décision.
A l’intérieur du FLN, certains étaient contre mes réformes […] Pour expliquer, j’ai voulu donner à notre peuple toute la liberté de bien choisir librement ses représentants, mais malheureusement ces réformes que j’ai conduites ont mené le pays vers les événements du 05 octobre 1988 [..] Quand ceux qui ne pouvaient à tirer profit du processus démocratique ont constaté qu’il [le processus démocratique] marchait dans le bon sens, ils ont compris qu’ils allaient perdre tôt ou tard leurs intérêts et leur mainmise politique.
Donc, ils ont pris peur ! Lorsque le peuple algérien aura la liberté de choisir, d’élire ces représentants, il choisira certainement des personnes dignes de confiance. J’étais totalement convaincu et ce, à travers ma connaissance du paysage politique algérien et du régime depuis l’indépendance que le régime socialiste, y compris le régime du parti unique, n’était plus utile ni efficace.
L’histoire jugera si j’ai eu raison ou bien tort car j’étais le premier et le dernier responsable des réformes.» Chadli Bendjedid reviendra également sur les événements d’octobre 88 : «Les événements du 05 octobre 1988 sont nés du fait que les responsables de l’État et du parti unique n’ont pas accepté les réformes et changements que j’ai entrepris. Ils ont donc essayé de m’amener à faire machine arrière sur les réformes à travers les manifestations.
J’ai dit à l’époque que l’intérêt du peuple algérien consiste à ouvrir les portes de la démocratie pour lui donner l’occasion de choisir, d’élire ces représentants. Cela voudrait dire que les Algériens ont leur destin en main. C’est pour cela que je confirme une fois de plus que les réformes avaient bel est bien commencé avant le 05 octobre 1988.
Ces événements étaient juste des pressions exercées contre ma personnalité pour faire renoncer aux réformes. J’ai maintenu ces réformes, proposé la Constitution pour un référendum durant l’année 1989, même les services de sécurité m’ont informé que le FLN avait incité les citoyens à voter contre la nouvelle Constitution car cela ouvrirait la porte à la démocratie».
L’ex-président est revenu sur la place et le rôle du FLN dans la dilapidation des deniers publics : «C’est exactement ce qui est arrivé en Algérie lorsque le peuple s’est vengé des comportements des responsables du FLN qui ont commis d’énormes erreurs en dilapidant l’argent du peuple.
C’est cela la vérité […]. En vérité, je n’accuse pas l’ensemble du FLN et ce, parce que certains au sein du FLN ont accepté le résultat des élections et préféré que le FIS constitue son gouvernement. Ainsi, nous pouvions transférer le conflit politique à l’intérieur du parlement pour que chacun puisse donner son point de vue.
Il ne fallait pas que les choses arrivent jusqu’à cette grave crise dont on souffre encore aujourd’hui. J’étais pour le processus démocratique et à partir du moment où le peuple a choisi un autre cadre, «les islamistes», il était de notre devoir de leur céder le gouvernement et leur donner la possibilité de prendre les rênes du pouvoir en Algérie.
Mais des responsables du FLN qui avaient peur pour leurs personnes m’avaient demandé d’annuler le scrutin et d’organiser de nouvelles élections. J’ai refusé leur demande par respect pour la Constitution et conformément au serment que j’ai fait en jurant sur le Coran de respecter la volonté du peuple algérien. C’est pour cette raison que je n’ai pas demandé au peuple algérien de revenir sur sa décision de choisir les islamistes.
Qu’aurait dit l’opinion publique nationale et internationale si j’avais annulé les élections ? Ils auraient pensé que les réformes qu’avaient entreprises Chadli étaient une manoeuvre pour qu’il se maintienne au pouvoir. C’est pour cette raison que j’ai décidé de quitter le pouvoir et de présenter ma démission par respect pour le choix du peuple. Il est faux de dire que mon départ est un coup d’État parce que j’ai démissionné de mon propre gré sans aucune pression».
Hocine Adryen