Chadli Bendjedid, de l’article 120 au multipartisme et à la liberté de la presse

Chadli Bendjedid, de l’article 120 au multipartisme et à la liberté de la presse

Abdelhamid Mehri, Ben Bella, Pierre Chaulet, Chadli Bendjedid. La génération de Novembre tire sa révérence. Bilan de l’un d’entre eux, Chadli Bendjedid.

Le président Chadli Bendjedid, décédé samedi à Alger à l’âge de 83 ans, est le chef de l’Etat algérien au bilan le plus controversé. Alors qu’il a introduit le multipartisme et la liberté de la presse, il passe, paradoxalement, pour une large partie de l’opinion, pour le président algérien au bilan le moins flatteur.

Désigné en 1979 pour succéder à Houari Boumediène en tant qu’officier «le plus ancien dans le grande plus élevé», Chadli Bendjedid a mis du temps pour entrer dans le costume de sa nouvelle fonction.

Piètre orateur, ce militaire de carrière, arrivé au grade de colonel, ancien maquisard, n’avait pas de formation particulière, et partait avec un handicap certain. Il était, de plus, considéré comme une sorte d’usurpateur, face aux favoris de la succession, des personnages flamboyants comme Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Salah Yahiaoui.

Chadli Bendjedid mettra de longues années pour éliminer ses rivaux et asseoir son pouvoir. Il intronise progressivement de nouvelles équipes, et fait de nouveaux choix économiques, pour tenter de briser l’étouffement qui enserre alors le pays. Mais le pays tourne en rond, et les changements introduits par le premier ministre Abdelhamid Brahimi ne font que déplacer le problème.

Chadli Bendjedid tente alors de faire amender la Charte Nationale, le texte idéologique qui théorise le système du parti unique et brise toute velléité de changement. Il se heurte, là encore, aux appareils politiques, en premier celui du FLN, qui verrouille le jeu, et saborde sa tentative, pourtant limitée. A partir de l’été 1987, il engage des réformes économiques, qui introduisent un changement radical dans la gestion du pays.

Et, contrairement aux idées reçues, ces réformes ne sont pas le résultat des évènements d’octobre 1988, mais elles le précèdent largement : les lois sur la réforme économique sont adoptées par le parlement en janvier 1988, et mises en application à partir du printemps. Mais le pays est alors confronté à une grave crise économique, alors que le système politique est visiblement à bout de souffle. Les émeutes d’octobre 1988, qui font 189 morts, constituent une sérieuse alerte.

Chadli réussit cependant à reprendre rapidement la main. S’appuyant sur les réformateurs du FLN, qui lui offrent une issue possible, il met à l’écart les principaux dirigeants qui symbolisent le parti unique, lance le multipartisme, ouvre les médias, libère la société civile, et surfe sur la vague de liberté qui déferle alors sur le pays.

EUPHORIE DÉMOCRATIQUE

L’Algérie vit alors son printemps démocratique, un moment de liberté unique, qui dure jusqu’en juin 1991. Chadli Bendjedid savoure ces moments, et accepte de jouer le jeu. Une liste comportant les noms de certains proches ayant indûment bénéficié de certains privilèges est publiée. Il ne bronche pas, et se contente d’appeler au strict respect de la loi. Il en profite pour couper toutes les branches pourries.

Ses proches quittent discrètement leurs fonctions : l’homme ne veut plus donner prise à la moindre critique sur ce terrain. Mais la situation se retourne rapidement. Les islamistes du Front Islamique du Salut veulent le pouvoir, et tout de suite. Ils font le forcing. Leur grève générale de juin 1991 force Chadli Bendjedid à se séparer du gouvernement des réformateurs.

A partir de là, son pouvoir est miné. Le gouvernement travaille en sous-main dans une autre perspective. L’administration lui échappe. Le FLN, dirigé par Abdelhamid Mehri, adopte les nouvelles règles, mais n’arrive pas à faire sa mue.

Quand les islamistes du FIS remportent la majorité aux élections législatives de décembre 1991, Chadli Bendjedid veut, dans un premier temps, les laisser accéder au gouvernement, dans un strict respect du jeu institutionnel. Mais la hiérarchie militaire ne veut pas en entendre parler.

Elle le pousse à la sortie. Et c’est ainsi que Chadli Bendjedid, qui avait failli passer à la postérité en menant le pays au pluralisme, est finalement sorti par la petite porte, sous la pression des islamistes et de la fraction la plus conservatrice de la hiérarchie militaire.

UNE IMAGE DÉCALÉE

Malgré des attaques d’une rare violence contre sa politique et contre sa personne, Chadli Bendjedid est rarement sorti de sa réserve après avoir quitté le pouvoir. Il vivait entre Alger et Oran, rencontrant peu de gens. Souffrant d’une maladie des yeux, il avait été ensuite progressivement handicapé par une maladie rénale, qui l’a emporté. Ses mémoires devraient être publiées incessamment.

On y découvrira un personnage très différent de l’image traditionnelle véhiculée jusque-là, ce qui permettra de mesurer le décalage entre un homme politique et l’image imposée par les appareils politiques. Ainsi, Chadli Bendjedid n’a jamais été dans l’armée française. Pourtant, il a toujours été présenté comme un ancien officier ou sousofficier de l’armée française, ce qui aurait expliqué certains de ses choix.

Des historiens renommés se sont laissés abuser par ces manipulations, avant que Chadli Bendjedid ne s’en rende compte et rétablisse la vérité quinze ans après avoir quitté le pouvoir ! Dans la même veine, Chadli Bendjedid a toujours été présenté comme un homme insignifiant de l’ère Boumediène.

Pourtant, celui-ci lui avait confié la seconde région militaire, la plus importante d’un point de vue militaire. Des témoignages précis montrent également que Boumediène avait plus confiance en Chadli Bendjedid qu’en aucun autre chef militaire.

Chadli Bendjedid a aussi été attaqué sur son hostilité supposée à la révolution agraire. Après l’échec avéré de cette expérience, et vingt ans après avoir quitté le pouvoir, Chadli rétablissait la vérité : oui, la révolution agraire a été un échec, oui, j’ai été un partisan de cette initiative, sous Boumediène et plus tard aussi, a-t-il dit.

Au-delà de l’image véhiculée, c’est donc un homme plutôt simple, proche de la timidité, qui disparait. Un homme avec une grille de lecture simple, mais d’une grande sincérité. Il n’avait pas l’aura de Ben Bella, ni le charisme de Boumediène, ni l’image de Boudiaf. Mais c’est le président algérien qui a été le plus en mesure de se remettre en cause, pour bousculer des évidences : après avoir été l’home de l’article 120, il a été celui de la liberté de la presse et du pluralisme.