C’est vraiment dommage que l’on en soit là surtout que Daoud est un jeune auteur qui vient à peine de commencer sa vie et qui, dans d’autres contrées, aurait été entouré de toute l’attention de ses aînés et aurait eu toute leur aide.
Finalement, pour pouvoir dire que, dans un pays, cela ne va pas, il faut que cela n’aille pas dans tous les secteurs, dans toutes les sphères et à tous les niveaux. Et c’est malheureusement ce que vient de confirmer un de nos écrivains, à la réputation jusque-là pourtant considérée acceptable, en laissant libre cours, sur la voie publique, à une jalousie viscérale, et surtout inattendue, à l’égard d’un autre écrivain. Ce comportement, frappant de par son aspect inattendu, a même fait passer, un moment, à l’arrière-plan, l’appel au meurtre lancé certes par un ignorant. Les Algériens n’ont pas compris pourquoi Rachid Boudjedra, sollicité pour donner son avis sur l’appel au meurtre, a sauté sur l’occasion pour dire tout le mal qu’il pense de Kamel Daoud.
A 73 ans, Rachid Boudjedra, qui est pourtant romancier, poète, scénariste et se présente comme un philosophe et un défenseur de la liberté d’expression, ne semble pas avoir compris encore que l’on ne peut détester l’art sous aucun prétexte. On peut aimer ou ne pas aimer un talent, une oeuvre, un génie mais on ne peut pas les haïr car l’art n’est pas haïssable.
Tout le monde ne peut pas avoir le même talent, c’est une répartition divine contre laquelle on ne peut rien! Aussi, lorsqu’un compatriote reçoit des prix, lorsqu’il est applaudi, lorsqu’il réussit mieux que nous, la première chose à faire c’est de l’encourager, de le féliciter, au lieu de vomir notre jalousie en public. Jusqu’à preuve du contraire, on n’a jamais nominé au prix Goncourt et encore moins donné ce prix à une oeuvre mineure. Comment pourrait-on dire alors d’un roman qui n’a été dépassé que par une seule voix (4 voix contre 5) que c’est une oeuvre mineure? Qui met en place les normes et qui fixe les standards? C’est vraiment dommage que l’on en soit là surtout que Daoud est un jeune auteur qui vient à peine de commencer sa vie et qui, dans d’autres contrées, aurait été entouré de toute l’attention de ses aînés et aurait eu toute leur aide. Mais, chez nous, société «disqualifiante» oblige, dès qu’une tête émerge, on coupe et chacun y va à sa manière, certains faux imams lancent des appels au meurtre, des romanciers, comme Rachid Boudjedra, minimisent la portée des oeuvres pour diminuer mérites, etc. L’auteur de L’escargot entêté n’apprécie pas que l’on écrive à propos de Camus parce qu’il était du côté de la colonisation. A l’écouter, on ne doit pas parler de Le Pen parce qu’il était parachutiste en Algérie et qu’il est extrémiste, on ne doit pas parler d’Hitler parce qu’il était nazi, on ne doit pas parler d’Einstein, de Newton ou de Maslow parce qu’ils sont juifs. Il semble aussi ne pas apprécier que l’on écrive en français, que l’on publie en France… De quoi se tordre de rire!
Au bout d’une vie entière, l’auteur de Printemps, un roman qui tourne autour d’une «professeure de littérature érotique arabe à l’université d’Alger», qui est présenté par certains comme étant un défenseur de la liberté, ne semble pas avoir compris encore que les hommes sont libres. Libres de penser, libres d’exprimer ce qu’ils pensent, libres de choisir le support qu’ils considèrent adéquat à cette expression, libres de choisir leur manière de vivre et de le dire et, tant que cela ne porte pas atteinte à l’intégrité morale ou physique de personne, alors nul n’a le droit de juger cette liberté sous aucun angle que ce soit.
Jusque-là beaucoup d’écrivains algériens s’expriment en français et publient en France, y compris Boudjedra lui-même.
Y-a-il jamais eu problème? Pourquoi faudrait-il que «Meursault, contre-enquête» pose problème dès lors qu’il est rédigé en français et publié en France et, pour l’anecdote, le livre avait d’abord été publié en Algérie aux éditions Barzakh avant d’être «republié» en France.
On s’attendait à mieux, sérieusement, de la part de nos intellectuels! En tout cas, on ne s’attendait pas à ce que certains jouent à noter et encore moins à distribuer des bons et des mauvais points. De toute façon, pour cette fois, la position qui a aussi surpris est celle de Ali Benhadj qui n’a pas tardé à répondre à l’auteur de l’appel au meurtre en lui rappelant qu’il n’entrait pas dans ses prérogatives de condamner les gens. Comme quoi, dans notre chère Algérie, ceux qui nous mènent à la dérive, ce ne sont pas toujours ceux qu’on croit, ni les mêmes d’ailleurs!