Le territoire connu aujourd’hui sous le nom de «Algérie» a-t-il jamais existé ?
C’est la question que l’on se pose, à écouter ou lire les propos ou les écrits de responsables politiques et/ou historiens de nos voisins de l’Est et de l’Ouest.
C’est le cas de le dire face aux appétits insatiables de voisins qui n’ont jamais pu s’accommoder d’un pays qui, réellement, dérange tant par une histoire spécifique, multiséculaire, par sa farouche résistance face aux avatars de l’histoire que des multiples occupations qui, en fait, ont façonné la géographie et l’histoire de l’Algérie au long des siècles.
Une Algérie dont les frontières ont à peine été modifiées par une présence étrangère qui s’est étalée sur des dizaines de siècles que l’on veut, ou l’on tente de réduire à un couloir entre les prétendus «mastodontes» marocain et tunisien. L’Algérie sans passé historique ? Voilà une contrevérité qui, curieusement, persiste car, il faut bien l’admettre, ses dirigeants eux-mêmes semblaient avoir accrédité ce fait en faisant remonter l’existence de l’Etat algérien à l’Emir Abdelkader.
En nous inscrivant en faux contre cette assertion, ce n’est certes pas remettre en cause la figure historique qu’est l’Emir qui reste pour le peuple algérien une icône. Mais il convient de remettre les choses à l’endroit en reconnaissant que bien avant d’avoir embrassé l’Islam, il y a quinze siècles, l’Algérie a été un Etat, un royaume qui a connu maintes civilisations, dont les plus marquantes ont été les civilisations gétule et numide, nonobstant l’apport romain, byzantin, arabe, turc et même français. Autrement dit, les Amazigh (Berbères – Gétules et Numides) qui occupaient tout le territoire qui correspond à l’Algérie d’aujourd’hui, ont joué un rôle dans la civilisation méditerranéenne.
Pourquoi remonter jusqu’à la préhistoire, même à la protohistoire, pour dire la sécularité de ce pays, dont la dénomination «Algérie» est certes récente par rapport à la durée du temps mais sans incidence sur l’existence séculaire de ce pays et sur ses frontières quasi inamovibles depuis des millénaires, quel que soit l’envahisseur qui passa par ce territoire et le nom qu’on lui donna. Ainsi, les Gétules d’abord, les Numides (nom donné à ce territoire par les Grecs, qui veut dire «le pays des nomades»), ensuite, représentent ce qui est connu sous le nom de «Maghreb central» et correspondait au territoire de la République algérienne actuelle.
Pourquoi revenir sur un passé qui reste certes à mieux connaître et à mieux investir pour le plus grand profit des peuples du Grand Maghreb et particulièrement la jeunesse algérienne qui n’a pas suffisamment de repères historiques pour situer son pays dans l’historicité universelle? Cette absence de repères permet à d’aucuns de refaire la géographie et la carte politique de cette région du nord de l’Afrique à leur guise.
Pourtant, les peuples du Maghreb ont en commun, durant des périodes plus ou moins longues, des histoires communes qui, d’une période à l’autre, se sont chevauchées, voire se sont fondues, avant que leurs territoires reprennent leur autonomie, les uns par rapport aux autres. Malgré donc les vicissitudes de l’histoire nous avons, au long des siècles, formé globalement un seul peuple, même si la politique nous a toujours partagés. Pourquoi donc ce long rappel? Une fois encore, nos voisins de l’Ouest et de l’Est s’amusent à refaire l’histoire à leur mesure et de fabuler sur des frontières que l’histoire ne leur a jamais accordées. Après «nos frères» marocains qui prétendaient refaire la carte de l’Ouest algérien, allant jusqu’à revendiquer la région d’Oran et du Sud-Ouest algérien, comme étant «territoires marocains», voilà donc «les frères» tunisiens qui, à leur tour, fabulent et étendent les frontières de la Tunisie jusqu’à… Béjaïa et sur tout le Constantinois jusqu’aux territoires du Sud. Rien que ça! Ne mentionnons même pas les revendications farfelues du guide libyen, Mouamar El Gueddafi sur la région de Djanet.
Ignorons donc cette pantalonnade, et venons-en au fait. Dans ses mémoires «Habib Bourguiba: le bon grain et l’ivraie» parus récemment à Tunis, l’ancien ministre tunisien des Affaires étrangères, Béji Caïd Essebsi, rapporte un fait étrange, qui met en avant l’antienne d’une «Algérie tunisienne». Caïd Essebsi rapporte dans ses mémoires des propos qu’il eut avec le dirigeant libyen, Mouamar El Gueddafi. Celui-ci a lancé sous forme de boutade à son invité tunisien – qui fait état de ces propos dans ses mémoires – «Si l’Algérie avait envahi la Tunisie avant d’être occupée par les Français, vous auriez été aujourd’hui un seul et même pays», écrit Béji Caïd Essebsi qui, loin de prendre cette boutade pour ce qu’elle est, a eu cette insolite réplique: «L’Etat tunisien, lui dis-je, écrit Caïd Essebsi, était établi bien avant l’institution de l’Algérie, et il comprenait, avant et après l’invasion arabe, Béjaïa et tout le Constantinois du nord au sud jusqu’aux routes caravanières du Sahel. Plus à l’ouest, l’Etat marocain est lui aussi plus ancien que l’Algérie, avec une superficie plus vaste mais avec des frontières variables qui lui ont toujours valu des difficultés avec son voisin de l’Est» (c’est-à-dire l’Algérie). Fin de citation. Donc, aux dires de l’ancien diplomate tunisien, l’Algérie n’aurait pas, ou jamais, existé, puisque selon toute apparence, nos voisins de l’Est et de l’Ouest contestent cette existence en s’inventant des frontières qui n’auraient existé que dans leur esprit. Aussi, convoquons l’histoire et demandons-lui de témoigner.
Ouvrons le Larousse Dictionnaire encyclopédique (2008) et lisons! Algérie antique: «Peuplée par les Berbères, l’Algérie est dès la haute antiquité influencée par les brillantes civilisations des Phéniciens (à partir de la fin du IIe millénaire avant J.-C.) puis des Carthaginois (VIIe siècle-IIIe siècle avant J.-C.) qui établirent des comptoirs prospères sur ses côtes (…)». Maroc antique: «Aux IXe-VIIIe siècle avant J.-C., les Phéniciens créent des comptoirs sur le littoral qui, au VIe siècle, passent sous contrôle de Carthage (…)» Tunisie antique: «Vers 814 avant J.-C. les Phéniciens fondent Utique et Carthage. 146 avant J.-C. Carthage est détruite et la province romaine d’Afrique organisée (…)». Ce qui atteste de l’antériorité de l’Algérie par rapport à ses voisins de l’Est et de l’Ouest, pour ce qui est de l’ancienneté des trois territoires du Grand Maghreb.
A en croire les historiens antiques (grecques notamment), du Moyen Age et modernes, l’existence «historique» de l’Algérie ancienne est nettement plus affirmée, quel que soit le nom sous lequel ce territoire était connu, car il s’agissait bien de ce que les Arabes appellent le «Maghreb Central». Cette ancienneté de l’Algérie, précurseur de la protohistoire et de la préhistoire de la région maghrébine, est confirmée notamment par Ibn Khaldoun (Ibn Khaldoun, «Histoire des Berbères», Traduction du Baron de Slane, Tomes I, II, III et IV, Alger, 1852-1856) et le Professeur Émile Félix Gauthier «Les siècles obscurs du Maghreb», Paris, Payot 1927). Les tout premiers habitants de ce territoire central d’Afrique du Nord, étaient les Gétules, peuple nomade berbère concentré dans le Sud-Constantinois.
Le peuple gétule descend directement de la branche de la civilisation capsienne ayant émigré au Sahara vers 3000 av. J.-C. et «est certainement le peuple qui aura dominé de la façon la plus certaine l’Algérie durant les 1500 ans de son antiquité», nous disent les historiens qui parlent «d’Algérie» et non de la Tunisie ou du Maroc. C’est également le cas des Numides sans doute mieux connus, établis dans un territoire qui correspond exactement à l’Algérie d’aujourd’hui. L’histoire, qui est un agrégat de périodes, est précédée d’une protohistoire et d’une préhistoire. Les sites de Aïn El Hanach (wilaya de Sétif), considéré comme le plus ancien gisement archéologique d’Afrique du Nord, fait remonter la présence humaine dans ce territoire à près de 2 millions d’années avant notre ère. Et Sétif n’est pas en Tunisie.
Le site acheuléen de Tighennif («l’homme de Palikao» anciennement Ternifine, wilaya de Mascara) a également livré des vestiges dont l’âge est évalué entre 800.000 et 400.000 av. J.-C. Ces vestiges ont permis la définition de l’Atlanthrope, aujourd’hui considéré comme un Homo erectus. Cela établit clairement l’existence d’un territoire (l’Algérie) qui n’est ni la Tunisie ni le Maroc. Maintenant pour ce qui est de l’histoire proprement dite, l’ancien diplomate tunisien semble faire allusion à la dynastie hafside qui régna de 1229 à 1574 dont le territoire comprenait une partie de l’Est algérien, dont Béjaïa a été l’une des capitales, et une partie de la Tunisie comme de la Libye, jusqu’à Tripoli. M.Caïd Essebsi semble méconnaître ou feindre de méconnaître que l’histoire des dynasties maghrébines qui se chevauchaient est enchevêtrée, à l’image des Zianides et des Mérinides à l’ouest, les Almohades et les Almoravides qui régnèrent sur une partie ou l’ensemble du Grand Maghreb.
Pour ce qui est des Hafsides, le calife Mohammed El Nasir parti à la reconquête de la partie Est du Maghreb, entra à Tunis en 1206 (in ‘Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères). Il y reste un an pour rétablir l’autorité almohade sur l’ensemble du territoire puis, avant de repartir pour le Maroc, confia le gouvernement de la province à l’un de ses lieutenants, le cheikh Abû Mohammed Abd Al Wahid ben Abî Hafs. A la mort de ce dernier, son fils, Abû Zakariyâ Yahyâ, lui succéda en 1228. Un an après sa nomination, il se proclame indépendant du calife almohade et fonde la dynastie «Hafside» en 1229. Le territoire sur lequel régnaient alors les Hafsides n’était pas la Tunisie, ni d’ailleurs l’Algérie. Cela a été le cas de toutes les dynasties maghrébines.
Nous ne donnerons pas de leçons d’histoire au distingué diplomate tunisien, mais il nous semble qu’il aurait dû savoir raison garder et faire la part des choses surtout lorsqu’on évoque des faits dans lesquels les peuples du Maghreb sont impliqués quand les dynasties du Maghreb ont souvent joué un rôle unificateur qui dépassait le partage artificiel que sont les frontières. Béji Caïd Essebsi a donc commis un brûlot qui ne rehausse en rien son mérite d’autant que son écrit a une connotation revancharde. Il faut noter toutefois que l’actuelle équipe dirigeante de la Tunisie est plus sensée et est exempte de ces rodomontades dont fait montre l’ancien ministre des Affaires étrangères de Bourguiba, survivance d’une époque révolue, dont fait partie Caïd Essebsi, condamnée aux oubliettes de l’histoire. Nous avons, en revanche, toutes les raisons de nous féliciter de la sincérité et de la largeur de vue du président Ben Ali.
Ce qui ne semble pas être le cas à l’ouest de nos frontières où l’on continue de délirer sur le «Grand Maroc». En effet, pas plus tard que mercredi, un «comité marocain» appelant à la «restitution» des régions «marocaines situées en territoire algérien» a adressé une lettre de «protestation» au SG du parti Istiqlal, et Premier ministre, Abbas El Fassi, pour lui exprimer ses «contestations» suite aux déclarations de l´ex-ministre des Communications, Mohamed Arbi Massari, où ce dernier a relevé que la question des frontières Est du Maroc placées aujourd´hui sous contrôle algérien, a été tranchée depuis une longue période quand les défunts Hassan II et Houari Boumediene ont co-signé une convention frontalière, publiée alors dans le Journal officiel marocain (c.f. Il s’agit du traité d’Ifrane de 1972 qui fixe les frontières entre l’Algérie et le Maroc, avalisé le 17 mai 1973 par le Parlement algérien et le 28 mai 1992 par le Parlement marocain).
Selon toute évidence, l´ancien ministre marocain des Communications est aujourd´hui l´une des rares personnes sensées dans un pays qui a perdu le sens de la mesure qui croit sérieusement que l´Algérie va céder ses territoires nationaux dont chaque mètre a été arrosé du sang des martyrs. Encore une affabulation de Marocains en mal d´expansionnisme qui rêvent éveillés. Il n’y a en fait que l’Algérie qui n’a jamais remis en cause les frontières de ses voisins, qu’ils soient au sud, à l’est et à l’ouest de cette grande région qu’est l’Afrique du Nord. Laissons l’histoire aux historiens et occupons-nous du présent.