C’était le 16 janvier 1992 ?Mohamed Boudiaf répondait à l’appel de la patrie

C’était le 16 janvier 1992 ?Mohamed Boudiaf répondait à l’appel de la patrie

“Il ne faut pas renverser, il faut bâtir”(Goëthe)

Nous sommes aujourd’hui le 16 janvier, c’est la date du retour de Mohamed Boudiaf en Algérie, en 1992. Évoquer Boudiaf est affreux pour les auteurs de “l’acte isolé” et ceux qui prétendent être ses amis. Mais ne pas en parler c’est pire.

Le monde est dangereux à vivre, disait Albert Einstein, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. Boudiaf est revenu et a trouvé un pouvoir sans vision, et sans vision, on agit sans freins, et sans freins on s’est permis de l’assassiner en direct à la télévision.

Boudiaf n’a jamais été prudent dans le choix de ses ennemis. Il analyse une cause et quand il voit qu’elle mérite qu’on meure pour cette cause, il y va. Il l’a fait, avec Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Didouche, Bitat et Krim, pour déclencher le 1er Novembre 1954. En 1963, Ben Bella, obéissant à ceux qui l’ont placé provisoirement à la tête de l’Algérie, ne trouvera rien de mieux à faire que de l’envoyer, dans un fourgon, d’Alger à Adrar, en plein mois de juin 1963, pour le détenir dans une cave, dans des conditions des plus atroces.

Trente ans plus tard, on l’appelle de son paisible exil et il revient. Il est loin d’être dupe. Il analyse la situation et décide de revenir pour mourir pour l’Algérie. Mais comme ceux qui ont pensé à lui n’ont pas été prudents de choisir en Boudiaf un homme droit, juste, implacable dans sa logique de mettre “l’Algérie avant tout”, ils ne trouveront, eux aussi, rien de mieux que de le frapper dans le dos, avec une rafale qui s’adressait beaucoup plus au peuple qu’à Mohamed Boudiaf.

Son lâche assassinat, montré à dessein en direct à la télévision, est alors qualifié d’“acte isolé” par une justice algérienne qui obéit aux ordres du désordre. Après le lâche assassinat dont a été victime mon père, moi son fils, ses proches et les Algériens qui l’aiment réellement — pas ceux qui font semblant de l’aimer — avons compris, dans la douleur, que la politique est le seul domaine qui n’a pas besoin d’apprentissage, parce que les conséquences des fautes commises sont payées par ceux qui les subissent et non pas par ceux qui les commettent.

Le trop d’attention qu’on a du danger, fait le plus souvent qu’on y tombe, disait La Fontaine. Ceux qui ont peur du danger de la vérité qui guette ceux qui ont commis l’assassinat et maquillé en “acte isolé”, finiront par tomber dans ce danger. Le sang de Boudiaf, versé aussi lâchement que les lâches qui l’ont préparé, finira par être payé. Une sagesse asiatique dit clairement qu’il faut payer le bien avec le bien et le mal avec la justice. Mais la justice algérienne est-elle en mesure de rouvrir le dossier Boudiaf ? À elle de me répondre. Je n’oublie pas que la justice algérienne est celle du système qui a assassiné Boudiaf ; un système qui ne corrige pas ses fautes et qui commet sans arrêt ses mêmes erreurs.

Pour ma part, je ne me fie maintenant qu’à la réalité ; une réalité tellement bien décrite par Albert Camus quand il dit : “Un ordre qui consacrerait les puissances d’argent, les combinaisons de couloirs et les ambitions personnelles, cet ordre-là ne serait qu’un désordre puisqu’il consoliderait l’injustice.”

Mais ce qui fait mal, notamment à ma famille et tous ceux qui ont tant aimé Boudiaf, c’est que sa mort a été préparée dans un festin. Ainsi, me vient à l’esprit une pensée de Brillat-Savarin qui a si justement remarqué qu’“il ne s’est jamais passé un événement qui n’ait été conçu, préparé et ordonné dans les festins”. Certains de ceux qui ont mangé au festin qui a conçu, préparé et ordonné “l’acte isolé” contre mon père ne sont plus de ce monde. Les autres attendent et seront mangés dans le festin de la vérité sur l’assassinat.

Le système, qui a conçu, préparé, ordonné et exécuté l’assassinat de Mohamed Boudiaf est un système dont la faiblesse lui a fait faire un pacte avec le désespoir et il est historiquement prouvé qu’à force de désespoir, il n’a jamais été possible de formuler une politique d’espoir. C’est un système qui vit dans le désespoir et le désespoir le rongera jusqu’à bientôt le faire tomber comme une chose pourrie. “Ne faites rien contre votre conscience, même si l’État vous le demande”, recommande Einstein. Mais en Algérie, depuis l’assassinat de Abane, de Chaâbani, de Boudiaf et biens d’autres valeureux Algériens encore, on a opté pour le mot d’ordre : “Ne faites rien contre l’État, même si votre conscience vous le demande.” Où va l’Algérie, avec cet esprit, ce système, cette injustice ?

N. B