Ces restaurants pullulent aux quatre coins du pays, La chorba de la rahma

Ces restaurants pullulent aux quatre coins du pays, La chorba de la rahma
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à vos assiettes!

La tradition est ancestrale. Elle est perpétuée aux quatre coins du pays. Les Algériens n’ont pas redécouvert les «resto du coeur», mais juste adopté une méthode développée ailleurs pour pratiquer ce qu’ils ont toujours fait durant le mois sacré de Ramadhan. On les appelle les Chorba du coeur ou les restaurants de la Rahma, la pratique d’inviter des étrangers à partager sa table à la rupture du jeûne est une tradition très enracinée chez l’ensemble des couches sociales. Cette tradition ne s’est pas effilochée avec les exigences de la vie moderne, notamment dans la capitale.

Et pour cause, les Algérois qui ont tous des origines paysannes ont conservé le sens de la solidarité. Aussi, un tour dans les différents établissements qui offrent l’iftar gratuitement, nous a permis de constater que les Algérois de tout âge et de toute condition sociale se sentent concernés. Un tour dans un restaurant, celui d’El Achour, d’El Biar, de Ben Aknoun ou de Bab El Oued, on trouve les jeunes bénévoles qui sacrifient avec plaisir un repas en famille pour apporter leur contribution en tant que serveur ou aide-cuisinier.

Il y a des femmes au foyer qui font office de cuisinières et des hommes d’âge mûr, dont la mission est de ravitailler le restaurant. Et ceux qu’on ne voit pas forcément, les donateurs se recrutent dans les classes aisées de la société. Tout ce beau monde est nécessaire, il forme la chaîne de solidarité avec au bout un repas chaud pour les plus démunis d’entre nous. Pas que les démunis, en réalité, puisque ces resto sont aussi fréquentés par des travailleurs loin de chez eux. Bref, Alger, comme l’ensemble des villes du pays, respire la solidarité et c’est tant mieux.

Cela dit, les Algériens ne découvrent pas la solidarité avec l’apparition des restaurants de la Rahma mais la pratiquent avec, disons-le, plus de visibilité. Une visibilité du reste contenue dans les limites de la discrétion. Les âmes charitables qui donnent de leur personne pour permettre à des Algériens dans le besoin de rompre le jeûne dans la dignité sont plus nombreux que ceux qui font commerce de la misère des gens.

Dans le dossier que nous vous invitons à lire, nos reporters ont été au plus près des restaurants. Ils ont discuté avec les premiers concernés, mais ont également vu du côté de l’administration locale, histoire de savoir comment s’organise la solidarité «officielle».

TIZI OUZOU

Tout le monde y vient

Ils sont 32 à offrir le f’tour aux sans-abri, aux mendiants et autres catégories de personnes démunies. Il y a même des gens de passage.

Kamel BOUDJADI

Il ne reste que quelques minutes à l’imam pour appeler à la rupture du jeûne. Les rues et avenues de la ville de Tizi Ouzou sont vides. Seules quelques ombres marchaient encore à pas légers, pressées d’arriver chez-elles le plus tôt possible. La vie retient son souffle.

Toutefois, ce silence citadin inhabituel cache des petits recoins pleins de bruit et d’animation. Alors que le calme règne sur la cité, des foules de gens s’attroupent devant les restaurants de la Rahma ouverts en ce mois de Ramadhan. Ils sont 32 à offrir le f’tour aux sans-abri, aux mendiants et autres catégories de personnes démunies. Il y a même des gens de passage.

Avant que la voix de l’imam n’appelle à la rupture du jeûne, c’est déjà la bousculade. «Nous, les Algériens, on se bousculera même à l’entrée de la tombe si chacun n’avait pas la sienne réservée», ironise, une personne qui restait calme donnant l’air de ne pas avoir faim. Le restaurant Rahma en question est très fréquenté car il est situé au centre-ville.

C’est l’oeuvre du Croissant-Rouge algérien et de quelques donateurs. Déjà les tables sont toutes occupées; beaucoup se tiennent toujours debout. «Ce n’est pas un problème… tant qu’on a faim. Les réclamations, c’est après; une fois rassasiés», nous dit un autre jeune qui ne présente aucune apparence de pauvreté d’un sans-abri. En fait, on se trompe en croyant que les restaurants Rahma sont uniquement fréquentés par les démunis. Sur les 32 ouverts à Tizi Ouzou et les grands centres urbains de la wilaya, beaucoup se remplissent de gens de passage, de jeunes issus de familles nombreuses et autres catégories qu’on ne suspecterait pas même sur leur état précaire: «Pourquoi vous me demandez cela? Je mange ici parce que c’est gratis c’est tout. La vie est chère, alors une occasion comme ça, ça ne se rate pas. Je mange ici et je rentre chez moi», nous dit un homme âgé de la cinquantaine.

Dans ces restaurants, l’on rencontre aussi des travailleurs qui ne rentrent chez-eux que les week-ends: «Oui, je ne rentre pas à la maison tous les jours alors au lieu d’acheter et cuisiner, je préfère venir ici», avoue un jeune qui dit travailler dans le bâtiment.

En fait, dans ces restaurants, c’est une vie qui se déroule l’espace de quelques instants.

C’est le côté humain du dénuement. A voir l’accueil, la qualité du service prodigué dans ces restaurants, la diversité des catégories qui les fréquentent, on oublie vraiment, durant un instant, que la vie n’est pas toujours rose. Ces lieux rendent la misère moins affreuse. Lors de l’iftar, les gens louent Dieu et le prient de leur donner une vie meilleure. Dans ces moments que l’on croit, étant chez soi, misérables, sont pleins de bonnes choses. L’on s’y raconte des blagues, on y rie, on y discute, on se chamaille et surtout on partage le meilleur comme le pire. Et c’est ça finalement la Rahma dans sa dimension concrète et spirituelle.