Pendant que les représentants de l’ordre colonial français tentaient de minimiser l’ampleur des massacres du 8 mai 1945, dont ils sont les auteurs, en publiant des chiffres erronés sur le nombre de victimes algériennes, d’autres observateurs, témoins directs de ses événements macabres, ont rendu compte fidèlement des tenants et aboutissants de ce crime contre l’humanité.
Il s’agit notamment du Consul général de la Grande Bretagne, alors en poste à Alger, John Eric Maclean, qui dans un compte rendu adressé au ministère des Affaires étrangères de son pays, avait collecté une foule d’informations sur le déroulement du massacre ayant coûté la vie à plus de 45.000 Algériens sortis dans les rues de Sétif, de Guelma et de Kharrata pour clamer leur colère et leur douleur.
Dans des regroupements pacifiques, des milliers d’Algériens revendiquaient la concrétisation des promesses faites par la France en contrepartie d’une mobilisation des « indigènes » pour la libération de ses territoires de l’occupation nazie, durant la deuxième guerre mondiale.
Les manifestants algériens scandaient également la libération du leader politique, Messali Hadj, emprisonné par les autorités coloniales françaises. L’ »impitoyable » riposte des troupes françaisesL’hebdomadaire français le Point avait publié, dans son numéro du 16 septembre 2010, de larges extraits du rapport « inédit » du diplomate britannique nommé à son poste à Alger le 5 décembre 1942.
« Le consul britannique en Algérie est un visionnaire. Non seulement, il avait relaté l’insurrection qui a embrasé Sétif, Guelma et Kherrata les journées qui suivi le 8 mai 1945, mais il a prédit que ce soulèvement populaire et sa répression féroce, sanglante par les troupes françaises allaient passer dans la clandestinité pour ressurgir plus tard sous une autre forme.
Ce sera donc la guerre d’indépendance (d’Algérie) de 1954 », avait souligné le journal français dans son article. Le 9 février 1945, John Carvelle envoie en urgence un télégramme dans lequel il fait part de la tension qui régnait à cette époque en Algérie.
Il met en garde contre un soulèvement populaire « dès que les troupes britanniques et américaines quitteront le territoire algérien ». John Eric Maclean a, par ailleurs, envoyé de nombreux autres rapports à l’ambassadeur britannique établi à Paris. Dans une note manuscrite le 23 mai 1945 le diplomate écrit : « Je suis certain qu’autant de sang n’aurait pas coulé si les militaires français n’avaient pas été aussi impatients de perpétrer un massacre ».
Des villages et des douars pilonnés sans distinction
John Eric Maclean relate : « Quand le cortège, très discipliné et sous le contrôle de la police, arriva en face du bureau de la compagnie A du 44e bataillon de l’armée de l’air sud-africaine, un policier essaya de s’emparer de la banderole où on lisait + Libérez Messal Hadj +. Une bagarre éclata alors, un policier sortit son revolver et tua un indigène. D’autres coups de feu furent tirés, par la police et par des civils français qui regardaient le défilé depuis leurs balcons ».
Le diplomate britannique poursuit : « Un désordre indescriptible s’ensuivit, une fusillade des indigènes, sans distinction », ajoutant que « très vite, l’insurrection qui touche d’abord la ville de Sétif se propage vers les régions de Guelma, Kherrata, Constantine. La riposte des troupes françaises sera impitoyable ».
« Dès le 23 mai, les tirailleurs sénégalais, réputés pour leur incroyable férocité, sont jetés dans le bain de la répression. L’aviation est mise à contribution et les navires de guerre stationnés sur les côtes de Bejaia et Jijel pilonnent villages et douars sans distinction », a-t-il encore écrit.
John Carvell raconte aussi que « les autorités françaises prirent immédiatement de fortes contre mesures, essentiellement sous forme de mitraillages et de bombardements (…) Des observations aériennes relèvent que des villages entiers furent détruits ».
Le Consul général de la Grande Bretagne affirme, par ailleurs, que les Britanniques et les Américains avaient décliné la demande de la France de prêter aide et assistance à ses troupes pour réprimer les Algériens.
« Il m’est venu à l’esprit que si les mesures françaises étaient excessivement dures, il risquerait d’y avoir des répercussions embarrassantes dans le monde arabe si l’on apprenait que nous (Britanniques) y avons porté assistance », avait-il témoigné.