La tentation chinoise ou tunisienne ? Depuis deux jours, l’accès en Algérie aux réseaux sociaux Facebook et Twitter passe au compte-goutte. Des milliers d’internautes se plaignent des difficultés d’accéder à ces sites qui comptent plus d’un million d’utilisateurs aux quatre coins du territoire algérien. Les internautes s’inquiètent et redoutent une tentative du gouvernement algérien de censurer internet. Explications.
Censure ? Filtrage? Lenteur de la connexion ? Tout à porte à croire que les autorités algériennes ont décidé de verrouiller l’accès à Facebook ainsi qu’à Twitter, voire même aux sites de partages vidéo Youtube et Dailymotion, devenus de véritables instruments d’expression libre et citoyenne au moment même où l’Algérie vit les émeutes les plus graves depuis la révolte d’octobre 1988.
De nombreux témoignages d’internautes à Alger, Bejaia, Oran, Annaba, Tizi Ouzou, Ouargla, Tiaret confirment l’impossibilité, sinon la difficulté, d’accéder à Facebook et Twitter alors que tous les autres sites sont accessibles. Que les internautes se connectent du bureau, de la maison ou d’un cybercafé, qu’ils soient hébergés chez des providers publics ou privés, la problématique est la même : Facebook n’est pas accessible, ou très poussivement.
Toutefois, il convient de signaler que dans certaines régions du pays, notamment dans le sud, Facebook est accessible sans difficultés. Pour le moment. Il convient aussi de préciser que le réseau Facebook est libre d’accès dans tous les pays de la planète là où la censure ne se pratique pas.
Selon des informations obtenues par DNA, ni le CERIST (Centre de recherche sur l’information scientifique et technique) ni l’ARPT (Autorité de régulation de la poste et des télécommunications) ne sont à mettre en cause dans ce goulot d’étranglement qui assèche aujourd’hui Facebook. D’où viendrait alors le verrouillage, qui s’en charge et surtout dans quels intérêts ?
Algérie Telecom étant l’établissement qui détient le monopole d’internet qu’elle redistribue à différents providers, il est donc plus que probable que le filtrage s’opère au niveau de cet organisme public.
D’après nos investigations, des spécialistes procèdent actuellement à tests liés à l’enregistrement du flux entrant et sortant en Algérie concernant Facebook ainsi que d’autres réseaux sociaux ou de partages de vidéos (Twitter, Youtube, Dailymotion…) afin de garder une copie pour un traitement ultérieur.
Ces testes expliqueraient la lenteur du serveur à certains moments. Ces interventions se font sur les équipements de la plateforme Djaweb d’Algérie Telecom qui permettent de connecter l’Algérie à internet via la fibre optique.
Peut-on bloquer l’accès au réseau social ? Explications d’un ingénieur algérien, spécialisé dans les réseaux internet, qui souhaite garder l’anonymat : « C’est très facile. Puisque la plupart ou la totalité du trafic passe à travers Algérie Telecom, il suffit donc d’aller sur l’équipement de sortie et introduire sur le filtre les sites qu’on veut bloquer. Sur le navigateur Internet Explorer par exemple, on peut activer un filtre de blocage parental pour interdire aux enfants d’accéder à certains sites (à travers le nom) ou bien à travers des mots clés bannis. Ce que fait un père pour son enfant, le gouvernement pourrait le faire à grande échelle. » Un jeu d’enfant presque.
Objectif : pouvoir enregistrer tout ce qui s’écrit sur Facebook et sur les autres sites à propos de l’Algérie, faire un suivi des statistiques, des tracés de discussions de certaines personnes ou groupes et en garder une copie. Bref, surveiller, contrôler l’accès des Algériens à internet comme cela se fait en Chine, en Tunisie ou en Corée du Nord.
Selon une étude publiée en octobre et réalisé par deux entreprises algériennes spécialisées dans les conseils en webmarketing ( Med &Com) et des solutions logicielles ( IDEATIC), l’Algérie compterait quelque 1,2 millions d’utilisateurs de Facebook.
Le climat d’émeutes et d’incertitudes politiques dans lequel vit aujourd’hui l’Algérie, couplé à l’interruption d’internet comme outil de communication, de dialogue et de transmissions d’informations à temps réel, outil qui échappe, pour le moment, au contrôle des autorités, expliqueraient sans doute l’accélération des filtrages des réseaux sociaux.
Les autorités franchiraient-elles le pas pour censurer ces sites ? Cela n’est pas du tout exclu. « Ces interventions pourraient déboucher sur la possibilité de filtrer les sites complètement comme cela se fait dans certains pays », explique notre ingénieur.
La tentation liberticide n’est donc pas loin. Cela est d’autant plus vrai que le gouvernement algérien a fait adopter en juillet 2010 une loi portant règles particulières de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Sous couvert de lutte contre la cybercriminalité, ce texte de loi donne ainsi autorisation au gouvernement de procéder à la surveillance des sites internet, à leur filtrage et le cas échéant à leur censure.
Onze après l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika, celui-ci refuse toujours de procéder à l’ouverture du champ audiovisuel à la concurrence privée alors que les espaces d’expressions publics sont largement soustraits aux partis d’opposition, aux syndicats autonomes et aux associations qui n’émargent pas dans le giron du pouvoir.
Facebook et autre Twitter sont-ils désormais passés sous le contrôle du gouvernement algérien ou s’agit-il d’une opération de filtrage ponctuelle? Il est encore trop tôt de s’avancer. Deux choses sont certaines tout de même. Au soir du lundi 10 janvier, des milliers d’internautes sont privés de Facebook en Algérie. Les internautes sont en train de trouver des astuces pour contourner ce qui s’apparente à une censure.