Cela s’est passé un 25 janvier 1994, Abdelaziz Bouteflika se rétracte et décline l’offre des généraux décideurs de prendre la présidence de l’État

Cela s’est passé un 25 janvier 1994, Abdelaziz Bouteflika se rétracte et décline l’offre des généraux décideurs de prendre la présidence de l’État

En janvier 1994, c’est Abdelaziz Bouteflika qui devait être président de l’Etat après l’expiration du mandat du HCE, et non Liamine Zeroual. A la dernière minute, il se rétracte et décline l’offre des généraux décideurs de succéder

Pourquoi Abdelaziz Bouteflika avait peur d’être désigné président en janvier 1994

Ces faits se sont déroulés entre décembre 1993 et janvier 1994. A l’époque, Bouteflika avait été approché par une poignée de généraux pour prendre la tête de l’Etat. Après plusieurs semaines de consultations, Bouteflika accepte l’offre avant de se rétracter. Nous avons reconstitué l’événement à partir de plusieurs témoignages d’acteurs directs. Enquête.

Mercredi 25 janvier 1994. Le jour se lève à peine sur Alger lorsque le général Liamine Zeroual, ministre de la Défense, quitte sa résidence à bord d’une voiture blindée, escortée par une garde rapprochée.

Assis à côté de lui, Chérif Belkacem, ancien ministre sous Houari Boumediene dans les années 1960-1970. Les deux hommes sont chargés d’une mission de haute importance.

Après quelques minutes de route, le petit cortège arrive devant un immeuble plutôt chic, entouré de hautes végétations : le domicile d’Abdelaziz Bouteflika, ex-ministre des affaires Etrangères. La mission de Zeroual et Belkacem? Tenter de convaincre Bouteflika d’accepter le poste de chef d’Etat.

Si Bouteflika reçoit les deux hôtes avec courtoisie, l’entretien s’avère très vite une pure formalité. Il durera moins d’un quart heure. Tout juste une quinzaine de minutes, pas plus. C’est que Bouteflika a déjà pris sa décision, et il ne reviendra pas dessus.

«Je ne fais plus de politique. Je ne veux plus faire de politique. Je jure de ne plus faire de politique»

Bouteflika ne veut plus du pouvoir. Décision irrévocable. Zeroual et Belkacem sont atterrés devant les arguments de l’ancien ministre. « Je ne fais plus de politique. Je ne veux plus faire de politique. Je jure de ne plus faire de politique…», répète Bouteflika au deux émissaires dépêchés par les généraux pour une médiation de la dernière chance.

Pendant une dizaine de minutes, Liamine Zeroual tente de le raisonner. Peine perdue. Abdelaziz Bouteflika ne reviendra pas sur sa décision. Il refuse le poste que les généraux lui offrent après d’âpres négociations qui ont duré prés d’un mois.

Game over pour la poignée de généraux qui espéraient durant des semaines que l’ancien ministre de Boumediene accepte l’offre. Décision irrévocable, donc.

Les deux émissaires quittent le domicile de Bouteflika.

Pourquoi Bouteflika refuse-t-il le pouvoir?

Ainsi s’achève le dernier round d’une longue partie de négociations entre Abdelaziz Bouteflika et les militaires, prêts à tout pour déléguer leurs pouvoirs à celui qui se considérait comme l’héritier naturel de Houari Boumediene, décédé en décembre 1978.

Si en 1979, les militaires ont préféré un des leurs, le colonel Chadli Bendjedid pour la succession de Boumediene, cette-fois ce sont eux qui sont partis chercher Bouteflika pour lui confier les rênes du pouvoir.

Comment l’armée a-t-elle choisi Bouteflika? Comment celui-ci a-t-il négocié avec les généraux ? Qu’a-t-il négocié ? Et pourquoi Bouteflika a-t-il finalement refusé le poste de chef de l’Etat alors qu’il avait donné accord ?

Le mandat du HCE arrive à expiration

Nous sommes en décembre 1993. Le mandat du HCE (Haut comité d’Etat), instance de présidence collégiale mise en place en janvier 1992 après la démission du président Chadli, arrive à expiration. Les militaires tentent de trouver une issue politique au problème de la succession.

C’est que ni le HCE en tant que structure, ni ces membres ne peuvent prétendre au poste. Alors à qui donc les militaires pourraient-ils confier le pouvoir ? Qui pourrait être cet homme providentiel capable d’arrêter la spirale de violence qui gangrène le pays ? Qui pourrait être cet homme capable de mener l’Algérie vers le progrès et la stabilité ?

Bouteflika, le candidat idéal pour les généraux

Très vite, le nom d’Abdelaziz Bouteflika, 56 ans, commence à circuler dans les arcanes du sérail algérien. Retiré de la scène politique depuis 1981, l’ex chef de la diplomatie algérienne pourrait faire l’affaire. Et pourquoi donc lui ?

Khaled Nezzar, l’homme fort de l’armée à l’époque, trace le profil du candidat : « Nous avons opté pour le personnage dont le profil paraissait répondre le mieux à ce que le pays attendait : le rebond économique, la déconfiture définitive de la violence intégriste et la mise en œuvre rapide d’un train de réformes. » 1

Alors Bouteflika chef de l’État ? Les principaux responsables militaires n’y voient pas d’inconvénients. Le diplomate traîne une réputation de bosseur et jouit d’une aura sur le plan international. Retiré des affaires depuis 1981, Bouteflika passait son temps entre Alger, Paris Genève et aux Emirats Arabes Unis où il possédait un pied-à-terre grâce à la bienveillance du Cheikh Zayed.

« Traversée du désert »

Effectuant sa « traversée du désert », il ne s’était ainsi mêlé ni de prés ni de loin des tumultes de la vie algérienne. Voila donc quelques atouts que militaires se pressent d’accorder à l’intéressé pour valider sa candidature au poste de chef de l’Etat.

Alors, Boutefklika est discernement approché par des émissaires, des amis, tous chargés par les généraux de sonder ses intentions.

L’offre est acceptée, mais elle est assortie d’une condition : Bouteflika souhaite rencontrer les principaux dirigeants de l’armée avant de prendre sa décision.

La rencontre se déroule dans un restaurant huppé, Dar El Afia, un mess des officiers, un lieu privilégié où les hauts gradés ont leurs petites habitudes. Si la rencontre est cordiale, la méfiance est de mise. Bouteflika demande un temps de réflexion. Il affirme à ses interlocuteurs vouloir prendre tout son temps pour mener des consultations.

L’armée prise à la gorge

Et Bouteflika prendra le temps de recevoir chez lui et de se rendre chez ses connaissances pour faire le tour de la question.

Alors pendant des jours, Il prend le pouls de la situation, consulte, palabre, s’enquiert des avis des uns et des autres. Se sentant désiré, convoité et choyé, Bouteflika prolonge le temps de la réflexion et de la consultation.

Il sait qu’en se remettant à lui, les militaires, ceux là même qui lui avaient barré la route du pouvoir en 1979, sont pris à la gorge.

En cette fin de l’année 1993, L’Algérie traverse une grave grise. Le pays est quasiment plongé dans une guerre civile qui fait des dizaines de morts par jour. Les caisses de l’Etat sont vides en raison de la chute des cours du pétrole, principale richesse du pays. Sur le plan international, l’Algérie est devenue un pays infréquentable.

Bouteflika : « Je suis incontournable»

C’est peu dire que les décideurs sont acculés. Et Bouteflika sait tout cela. Il est convaincu, qu’en faisant appel à lui, les généraux n’ont pas d’autres solutions. Bouteflika, homme de la dernière chance ? Bouteflika, sauveur de la patrie ? L’intéressé en est persuadé. Tellement persuadé, qu’à l’un de ses proches, il fait part de cette confidence: « Je suis incontournable ».

Janvier 1994. Bouteflika poursuit encore ses consultations. L’échéance du départ du HCE approche. Le président doit être désigné avant le 30 janvier, à l’issue de la conférence du dialogue nationale, une sorte de congrès qui doit réunir les principaux partis politiques du pays, les organisations de masse et les associations dites civiles.

La conférence dont le porte-parole est Abdelkader Bensalah doit se tenir les 24 et 25 janvier. Le temps presse et l’armée doit être fixée sur la décision du prétendant.

« Nous sommes tous dans la même tranchée »

Moins de trois semaines avant la tenue de cette fameuse conférence, Bouteflika reprend attache avec les généraux. Il pose ses premières conditions : rencontrer le chef d’état major en tête à tête, les commandants de forces ainsi que les chefs de régions militaires.

Selon les propos de Khaled Nezzar, rapportés dans son livre, « Bouteflika, l’homme est son bilan », le candidat se montre solidaire dans le combat que mènent les militaires contre le terrorisme islamiste : « Nous sommes tous dans la même tranchée », déclare-t-il à ses interlocuteurs. 2

Toufik : « Bouteflika souhaiterait être seul à la tête de l’Etat »

Et le prétendant ne tardera pas de ce fait à formuler de nouvelles exigences : être seul maître à bord. Et surtout, il ne souhaite, mais pour rien au moindre, devoir partager ses prérogatives avec d’éventuels adjoints ou de vice-présidents. Bouteflika entend exercer ses prérogatives. Sans partage.

Le général Mohamed Médiene, dit Toufik, patron du DRS (département du renseignement et de la sécurité,) les services secrets, le dit sans ambages à Khaled Nezzar en ces termes : « Bouteflika souhaiterait être seul à la tête de l’Etat ».

Mais Bouteflika souhaite plus : il veut détenir sa légitimité des militaires, uniquement d’eux. C’est l’armée, à savoir le HCS (Haut conseil de sécurité), qui le désignera en tant que premier magistrat du pays, exige-t-il. Et non une conférence nationale à laquelle il ne reconnaît aucun droit. Aucune légitimité.

Bouteflika avait posé trois conditions

« Une chose est sure : je ne veux pas être nommé par un Abdelhak Benhamouda (ex-secrétaire général du syndicat UGTA, assassiné en 1997) ou par une conférence de cadres », confie Bouteflika à l’un de ses amis.

Il tiendra le même langage à Chérif Belkacem, un ancien compagnon avec qui il s’entretient pendant de longues heures ce samedi 22 janvier 1994, en marge du congrès des anciens maquisards, tenu dans un grand hôtel à Alger.

Cherif Belkacem raconte à l’auteur : « Bouteflika avait posé trois conditions : aucun amendement ne sera apporté à la Constitution, diriger le pays sans vice-président et être adoubé par l’armée. Bouteflika a placé la barre très haut dans l’espoir que les militaires refusent ses exigences. »

Après plus d’un mois de consultations, de discussions et de palabres, l’ancien ministre des Affaires étrangères est arrivé à un dilemme. Refuser l’offre des généraux après avoir donné son accord de principe serait assimilable à un acte de pure lâcheté. Accepter de se faire désigner président de l’Etat par une conférence des cadres serait une humiliation pour lui.

«Je voudrais que tu me trouves une idée pour me débarrasser de l’offre des militaires»

Il cherche désormais une échappatoire. Car il est convaincu que, même si les militaires acceptent ses exigences, ces derniers souhaitent pour autant sauvegarder les formes. En cela, Bouteflika devra au moins faire acte de présence devant les participants à la conférence du dialogue nationale, au Club des Pins, une station balnéaire située sur le littoral ouest d’Alger.

Une formalité pour les généraux, une offense pour Bouteflika.

Pour trouver une parade, pour justifier son refus, Bouteflika consulte alors Chérif Belkacem. « Je voudrais que tu me trouves une idée pour me débarrasser de l’offre des militaires. Ils refusent mon refus », déclare-t-il à son ami, selon le récit fait par Belkacem à l’auteur.

En effet, maintenant qu’ils ont accédé à toutes ses exigences, les militaires ne veulent pas d’une possible dérobade de dernière minute.

Chérif Belkacem répond à Bouteflika par une boutade. « Tu es un idiot. Tu aurais dû exiger deux adjoints : Mohamed Lamari, le chef de l’état-major, et Abdelkader Chebouti, le chef terroriste islamiste, ils auraient refusé. Ainsi, tu t’en serais définitivement débarrassé de cette offre qui te met désormais dans l’embarras. »

« Dites à Bouteflika de nous donner sa réponse et si c’est possible, affirmative »

Le mois de janvier 1994 court à sa fin. Le mandat du HCE arrive à échéance et les discussions engagées entre les deux parties sont à ce point arrivé avancées qu’il n’est plus possible de reculer. C’est qu’après moult hésitations, les militaires acceptent enfin les conditions de Bouteflika.

Liamine Zeroual, le ministre de la défense prend attache avec Chérif Belkacem, le go-between. Ce dernier est ainsi chargé d’obtenir auprès de l’intéressé la réponse définitive. Zeroual au téléphone avec Cherif Belkacem : « Dites à Bouteflika de nous donner sa réponse, et si c’est possible, affirmative. »

Abdelaziz Bouteflika donne alors son accord, assorti d’une nouvelle exigence : rencontrer les plus hauts responsables de l’armée pour mettre au point les dernières modalités de l’arrangement.

Ultime rencontre au MDN : Nous sommes tous des réconciliateurs

L’une des ultimes rencontres qui devrait sceller le pacte entre Bouteflika et l’armée se déroule au siège du ministère de la Défense nationale.

Devant un parterre d’une centaine d’officiers supérieurs, Bouteflika expose sa vision du pouvoir. Il nourrit de grandes ambitions pour le pays et souhaite parvenir à une « réconciliation nationale » avec tous les courants politiques, y compris avec la mouvance islamiste.

Son dernier postulat jette un froid parmi l’assistance. Bouteflika dans le costume quasi officiel d’un réconciliateur avec les intégristes en face d’une armée qui mène le combat contre l’intégrisme ?

La pilule est dure à avaler pour les officiers et surtout pour Mohamed Lamari, chef de l’état-major, l’un des généraux le plus engagés dans la lutte contre le terrorisme. Selon le récit fait à l’auteur par une des personnes présentes à ce conclave, le chef de l’état-major a peu apprécié cette sortie.

Piqué au vif, Lamari fait une mise en point à Bouteflika : « Nous sommes une armée républicaine », déclare le général.

Ce conclave, tenu au siège du ministère de la défense, achève d’aplanir les divergences et dissiper les malentendus entre les uns et les autres.

Bouteflika un personnage déroutant, imprévisible

Les généraux acceptent toutes les conditions posées par Bouteflika. Pourvu que l’homme ne renonce pas à la dernière minute. Pourvu qu’il ne claque pas la porte.

Ceux qui connaissent l’ancien chef de la diplomatie algérienne savent que le personnage est imprévisible. Déroutant. Un homme capable de changer d’avis à la dernière minute.

L’accord arraché, Il reste tout de même un épineux problème de protocole à régler. Qui va désigner le futur président ? De qui Abdelaziz Bouteflika va-t-il tenir son mandat ?

Les généraux lui font savoir qu’ils souhaiteraient qu’il soit adoubé par la conférence du dialogue national pour éviter que le pouvoir ne perde la face devant l’opinion nationale et internationale.

Mais Bouteflika refuse ce modus operandi. Les militaires sont extrêmement gênés par le le refus obstiné de Bouteflika de se voir « élu » dans le cadre de cette conférence.

Il veut être président et exige de détenir son mandant de l’armée

Ils tentent un dernier compromis. Le chef de l’Etat sera désigné par le HCS, mais il devra faire acte de présence pour quelques minutes devant les conférenciers, réunis au Club des Pins. Bouteflika campe sur ses positions. Il veut être président et exige de détenir son mandant de l’armée. Seulement de l’armée.

La conférence du dialogue nationale s’ouvre mardi 24 janvier. L’objectif des participants est de parvenir à un programme politique commun à l’issue duquel, le président de l’État, sera désigné. Très vite, on se rendra compte que les vraies décisions se prennent ailleurs. Ailleurs, dans les bureaux du ministère de la défense nationale, au domicile du prétendant mais surtout à la résidence d’Etat qu’occupe le ministre de la Défense.

Une dernière soirée avec Lamari, Mediene et Zeroual

Une dernière entrevue est organisée dans la soirée du dimanche 23 janvier, à la résidence d’État. Sont présents à ce conclave, le ministre de la Défense Liamine Zeroual, le chef d’État major Mohamed Lamari et le patron des renseignements, le général Mohamed Mediène.

Lorsque Bouteflika se présente sur les lieux avec quelques heures de retard, il se braque devant l’assistance. Envahi par les soupçons, il subodore un coup tordu. Les trois généraux ont-ils manigancé dans son dos ? Ont-ils changé d’avis ? La suspicion de Bouteflika est d’autant plus grande que les cendriers sont remplis à raz de mégots de cigarettes et de bout de cigares. Ces trois-là ont donc passer à la soirée à manigancer.

Entre ces trois militaires et Bouteflika la discussion tourne court. Très vite. Abdelaziz Bouteflika se rétracte. Peu avant minuit, il annonce aux trois généraux son refus définitif de briguer la présidence. C’est simple : il ne veut plus être président. Il regagne alors son appartement d’El Biar. Les généraux sont atterrés.

Pour quelle raison jette-t-il l’éponge alors que toutes ses exigences ont été satisfaites ? Bouteflika n’a pas donné l’occasion à ses interlocuteurs de connaître ses motivations. Malgré ce refus sec, les généraux ne désespèrent pas de vouloir lui changer d’avis.

Chérif Belkacem à la rescousse

Il reste alors une dernière carte à jouer. Tenter de le faire raisonner par le biais de son ami Chérif Belkacem.

Mercredi 25 janvier 1999. Il est 1h45 du matin lorsque ce dernier reçoit un coup de fil de la part du ministre de la Défense pour l’informer du désistement de Bouteflika.

Zeroual et les militaires veulent tenter une dernière chance. L’aide de Cherif Belkacem ne serait pas de trop.

Une voiture amène ce dernier à la résidence d’Etat occupée par Zeroual. Ce dernier reçoit Cherif Belkacem, sans nourrir trop d’illusions sur les intentions de Bouteflika.

Au tour d’un café, les deux hommes déroulent le film à l’envers. Ils tentent de comprendre la volte-face de l’intéressé. « J’ai dis à Zeroual que je connaissais bien Bouteflika. Je savais que sa décision était définitive », témoigne Cherif Belkacem à l’auteur de ces lignes.

Oui mais voila, Zeroual, mandaté par ses pairs ne désespère pas de faire revenir l’intéressé sur sa décision. Le petit déjeuner avalé, les deux hommes se rendent à 6h30 du matin au domicile de Bouteflika.

« Ce fut très rapide, avoue Belkacem. D’ailleurs ce n’était même pas la peine d’essayer de le convaincre. Il est même allé jusqu’à jurer de ne plus faire de politique. Il manquait seulement qu’il nous dise que c’est sa mère qui a refusé le poste. Après la mort de Boumediene, il a très souvent avancé l’argument de sa mère pour justifier ses décisions et ses prises de positions. »

La claque est terrible pour les généraux

Cette confidence n’est pas dénuée de fondement. El Hadja Mansouria, la mère d’Abdelaziz Bouteflika (décédée en juillet 2009) n’est pas tout à fait étrangère à son refus. On saura comment celle-ci a joué un rôle clé de cette affaire.

Peu de temps après avoir quitté le domicile de Bouteflika, le ministre de la défense informe ses pairs de la décision irrévocable de Bouteflika.

Dans la matinée du mercredi 25 janvier, on annonce son retrait officiel de la course à la présidence. La conférence du dialogue nationale s’achève sur un échec retentissant

Pour les militaires, la claque est terrible. Khaled Nezzar, le seul à s’être publiquement exprimé sur cet épisode, fait son mea culpa. Les militaires auraient dû être plus vigilants à l’égard d’un homme qui fut absent des affaires du pays pendant de longues années.

Quand Nezzar découvre que Bouteflika est « un petit coeur et une petite âme »

« Nous aurions dû être plus regardant sur le gabarit de l’homme, nous qui mesurions avec réalisme le fardeau que nous lui proposions. Le pays résonnait de détonations et d’explosions, les caisses étaient vides, lé pétrole était au plus bas et la société occidentale bien pensante vouait le pouvoir algérien aux gémonies. C’était l’époque où les journaux et les médias du monde entier, ceux du golfe- surtout sa lecture de prédilection- prédisaient tous les matins la chute d’Alger et la victoire des GIA. Notre homme avait écouté la voix de la prudence. Devant mes yeux dessillés, Abdelaziz Bouteflika venait d’apparaître tel qu’on lui-même : petit cœur et une petite âme. Il venait de refuser d’être le timonier du dernier recours et de prendre une place dans l’Histoire autrement que par l’intrigue ou le complot. » 3

La page Bouteflika est tournée

La page Abdelaziz Bouteflika est tournée. Liamine Zeroual, ministre de la défense, est désigné chef de l’Etat. Elu en 1995, il quittera ses fonctions en 1998. Depuis, il garde le silence.

Mais alors pourquoi Abdelaziz Bouteflika a-t-il refusé le pouvoir ?

Nous sommes vendredi 28 janvier 1994. Bouteflika se rend au domicile d’Abdelkader Dehbi, ancien ami et confident pendant plusieurs années.

Inévitablement, la discussion tourne autour du lâchage de Bouteflika. Comment explique-t-il son geste ? Comment justifie-t-il son refus alors que les généraux avaient accepté toutes ses exigences, toutes ses conditions ?

« Puisque la seule institution du pays qui est l’armée ne m’as pas placé à la présidence, ce n’est pas une conférence qui va le faire. J’ai honte d’avoir dit non mais c’était plus fort que moi. Il est hors de question que je me laisse embarquer dans une telle aventure. J’ai un blocage, donc je refuse d’y aller », explique-t-il en substance.

Comme s’il s’était enfin soulage d’un fardeau, Bouteflika livre enfin la vraie explication de son refus d’être nommé chef de l’Etat.

La mère de Bouteflika consultée

Au cours d’une nuit, raconte-t-il à son ancien ami, assailli par les doutes, il décide de s’en remettre à Dieu. Il fait alors une prière, la prière El Istikhara, un rite sunnite musulman sensé permettre à un individu, confronté à un dilemme, de recevoir un signe du ciel à même de lui donner une orientation sur la décision à prendre.

Bouteflika affirme avoir également demandé à sa mère d’effectuer la même prière ainsi qu’au cheikh Zaoui, un homme avec lequel il entretient des relations privilégiées. « Il m’a affirmé, raconte Dehbi à l’auteur, que sa mère avait aperçu les mêmes signes. » Des signes de mauvais augures.

Le vénérable cheikh Zaoui semble être du même avis que la maternelle. Cheikh Zaoui avait appelé Bouteflika pour lui faire cette surprenante confidence : « Ma conclusion est que les choses ne sont pas claires. Je ne te recommande de ne pas t’engager », explique en substance le cheikh à l’ex-futur président.

Bouteflika s’en remet à Dieu

Forts de ces deux recommandations qu’il considère indiscutables, le candidat des généraux décide de rejeter définitivement l’offre. Bouteflika s’en remettant à Dieu et sous l’influence directe de sa mère et d’un cheikh, voila des explications que les militaires algériens étaient loin d’imaginer.

Dans la même matinée du vendredi 28 janvier 1994, Bouteflika s’envole en direction de Genève pour y subir des soins. Il renonce à ce pouvoir pour lequel ces mêmes généraux le solliciteront quatre plus tard.

Le 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika est élu président de la république. Il avait 62 ans.

« Je voulais en effet être le candidat de l’armée. Uniquement de l’armée .»

A la journaliste française, Elisabeth Schemla, auteur du livre « Mon journal d’Algérie, novembre 1999- janvier 2000 », il expliquera son refus en ces termes : « Je voulais en effet être le candidat de l’armée. Uniquement de l’armée. Je ne voulais avoir de fil à la patte ni avec la société civile ni avec la mouvance islamiste. En tant que candidat de l’armée, je me présentais en réconciliateur. Avec une totale liberté d’action. Je pouvais discuter aussi bien avec les uns qu’avec les autres. »

Sources :

  1. Le Temps d’Algérie
  2.  Enquête : Comment Abdelaziz Bouteflika avait peur d’être désigné président en janvier 1994 | DNA – Dernières nouvelles d’Algérie