Carte nationale biométrique électronique: Un marché sur mesure pour Gemalto

Carte nationale biométrique électronique: Un marché sur mesure pour Gemalto
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Le ministère de l’Intérieur a déclaré infructueux l’avis d’appel d’offres pour la réalisation de la carte nationale d’identité biométrique électronique (CNIBE) lancé en 2014. Le département de Tayeb Belaïz a cependant lancé un nouvel avis d’appel d’offres qui semble être à l’avantage de Gemalto, une entreprise franco-néerlandaise en situation de monopole en Algérie.

La carte nationale d’identité biométrique n’a pas échappé à la règle : le projet tourne au scandale au même titre que celui de la carte Chifa et du passeport biométrique.

Au début du mois de décembre 2014, le ministère de l’Intérieur a lancé un avis d’appel d’offres (n°24/2014) pour l’acquisition d’un système de réalisation de la CNIBE.

Plusieurs opérateurs avaient déposé des soumissions pour ce marché dont le montant s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros, l’objectif étant de doter près de 30 millions d’Algériens en cartes hautement sécurisées.

LG Algérie

Contre toute attente, le département de l’intérieur décide de déclarer le marché infructueux. «Un nouvel avis d’appel d’offres (07/2015) a été lancé au courant du mois de mars. Des modifications ont été introduites par rapport à celui de 2014.

Le ministère a fait en sorte que les soumissionnaires ne peuvent pas présenter d’offre s’ils ne sont pas fabricants, personnalisateurs, encarteurs et certifiés avec un minimum de références (nombre d’usines et de cartes produites annuellement), et ce, même dans le cadre d’un groupement international», précise une source proche du département de Tayeb Belaïz.

Ces nouveaux critères de participation ont éliminé, de fait, plusieurs opérateurs présélectionnés dans le cadre du premier avis d’appel d’offres.

Un élément important est également à relever : l’obligation de produire des cartes en polycarbonate. Un critère technique très pointu qui place Gemalto en pole position pour remporter ce méga-marché.

En effet, il s’avère que la firme franco-néerlandaise a récemment fait l’acquisition du suisse Trüb AG, géant mondial de la carte en polycarbonate.

«La situation est particulièrement troublante car le rachat de Trüb AG coïncide avec l’annulation du premier avis d’appel d’offres et le lancement du second. Comme s’il existait une volonté délibérée d’attendre pour permettre à Gemalto de constituer sa filiale spécialisée en support en polycarbonate», souligne notre source.

S’il remporte le projet de la CNIBE, Gemalto n’en sera pas à son premier succès en Algérie. Ni à son premier scandale. En effet, le groupe franco-néerlandais, dont le siège est aux Pays-Bas, garde le monopole sur une série de programmes hautement sensibles lancés par les autorités algériennes ces dix dernières années.

Santé et épargne

La carte Chifa a été le premier contrat remporté par cette firme. Attribué début 2006 par la Caisse nationale de sécurité sociale des travailleurs salariés (CNAS), le marché de la carte vitale algérienne est entaché de nombreuses irrégularités.

L’avis d’appel d’offres avait été remporté initialement par le français Sagem. Mais ce dernier sera «éliminé» d’une étrange manière.

En effet, selon le procès-verbal de la Commission d’évaluation tenue le 21 janvier 2006, c’était bien l’offre de Sagem qui était arrivée en tête avec 96,61 points.

L’offre d’Axalto (racheté depuis par Gemalto) était classée deuxième avec 90,59 points et celle d’Oberthur arrivait loin derrière avec 72,02 points. L’offre financière de Sagem, 13,59 millions d’euros, était également plus intéressante que celle de Gemalto (16 millions).

Mais quelques semaines plus tard, les responsables de Sagem apprenaient que le projet avait été confié à Gemalto. Sagem n’obtiendra jamais gain de cause, le tribunal administratif d’Alger s’étant déclaré «incompétent».

Outre le retard dans sa mise en œuvre, le projet de la carte Chifa s’est également caractérisé par des avenants, de nombreuses modifications, des suppressions, des surcoûts non évalués, beaucoup de prestations supplémentaires, des surprises, des équipements annoncés par le client et qui se sont avérés soit obsolètes soit inexistants, des logiciels qui ont été développés et qui ne sont pas encore à ce jour opérationnels, un déploiement bien en deçà des promesses chez la cible professionnelle, en l’occurrence les pharmaciens et autres professionnels de la santé.

Autre «niche» de Gemalto : les puces qui équipent les cartes bancaires délivrées par la Société d’automatisation des transactions interbancaires et de monétique (Satim) ainsi que les cartes qui font office de livrets d’épargne de la Cnep.

Données personnelles et téléphonie

L’empreinte de Gemalto, nous la retrouvons également dans le fameux passeport biométrique. Après avoir écarté la petite PME française Fasver, le ministère de l’Intérieur et l’Hôtel des monnaies ont finalement décidé de se fournir en e-covers (document du passeport avec puce intégrée) auprès de ce groupe.

C’est d’ailleurs Gemalto qui s’est chargé d’en faire l’annonce au mois de mai 2014 en précisant également fournir aux autorités algériennes son logiciel e-travel, pour la gestion des données des citoyens algériens. Il est important de relever que des opérateurs ont également acquis chez le même fournisseur un système de gestion appelé «plateforme over the air».

Pour faire simple, cette plateforme représente une technologie qui permet à un opérateur GSM de gérer à distance les communications de ses abonnés, de télécharger les nouvelles applications et de manager les habilitations de menus des cartes Sim (privilèges, abonnements, suspension de ligne, mises à jour, traitement des sms et autres messages USSD, etc.) sans être connecté physiquement à la carte.

Souveraineté

Cette technologie ne comporte pas que des avantages. Il faut avant tout rappeler que lors de l’ouverture du secteur de la téléphonie mobile, les autorités avaient imposé à toutes les institutions publiques de doter tous les corps constitués de l’Etat algérien (personnel de la Fonction publique, militaires, police, gendarmerie, conseillers ministériels, cadres de la nation, services de renseignement, etc.) de puces d’Algérie Télécom.

L’objectif étant de ne pas défavoriser l’opérateur historique face à ses deux concurrents entrants.

Mais voilà, au mois de février, le site The Intercept dévoile des informations fournies par l’ancien sous-traitant des services secrets américains Edward Snowden, faisant état du piratage des clés de cryptage des cartes Sim de Gemalto par les agences du renseignement britannique (GCHQ) et américaine (NSA). Ce piratage aurait permis aux services de renseignement électroniques américain et britannique (NSA et GCHQ) d’avoir accès aux données de centaines de millions de téléphones mobiles. Les failles techniques, sources de graves atteintes à la confidentialité, que Gemalto a confirmées.

L’image du groupe franco-néerlandais s’est fortement dégradée à travers le monde… sauf en Algérie. Souveraineté, sécurité, confidentialité, ces notions semblent perdre tout leur sens lorsqu’il est question de protection des données personnelles des citoyens, voire même des plus hauts responsables du pays.

Grâce à la carte Chifa, Gemalto se retrouve aujourd’hui seul possesseur de la base de données personnelles des assurés sociaux algériens et des professionnels de la santé du pays (état civil, photo, pathologies, traitements indiqués, remboursements, prise en charge…).

Une sacrée aubaine pour les services de renseignement avec lesquels Gemalto travaille, sans parler de l’incroyable valeur d’une telle «étude de marché» que cette base de données représente pour les laboratoires pharmaceutiques internationaux.

Avec la Satim et la Cnep, Gemalto garde également un œil sur l’argent des Algériens et une oreille attentive sur leurs communications grâce à Mobilis. Le passeport biométrique et bientôt la carte nationale biométrique ne sont en fait qu’un bonus.

M. B.