« Seule la langue est en mesure de le prononcer » reconnaît un célèbre adage bien de chez nous : 4.000 km ! Non pas à pied, s’entend-on.
Ça serait, ni plus ni moins, aller droit au casse-pipe, avec à la clé une fatigue que même Hercule ne saurait contenir. Mais presque, avouons-le sans fard : sur le dos d’un carrosse pas très propice à ce genre de trajets-projets. C’est vous dire…
Alger-Tam. L’équipée est naturellement assommante, y compris pour ceux qui ont l’aventure dans le ventre. Mais passionnante à bien des égards. Et chanceux sont ceux qui y mettent les bouchées doubles. Encore plus ceux qui s’ébranlent avec leurs bolides, des 4X4 de toute puissance, ou par-dessus leurs motos détonantes (quelque 300 compétiteurs) mobilisés pour réussir le grand rallye organisé par la Fédération algérienne des sports mécaniques (Fasm) qui fête son cinquantenaire. Au-delà de son aspect hautement sportif, l’événement est essentiellement touristique, et au grand tour opérator public Touring Club Algérie (TCA) d’en faire un énième pupitre pour fêter, à son tour, ses cinquante ans d’existence et rappeler aux mémoires courtes l’importance du sport dans la promotion mondiale de la destination Algérie.
Alger mouille, Djelfa grelotte
On aurait tant aimé que les pauses soient plus étalées. Histoire de profiter des lieux et d’humer leurs senteurs, n’étaient-ce les contraintes de cette compétition qui ont eu raison de l’envie générale. M’enfin. En fuyant la pluie torrentielle qui s’abattait comme des cordes, dès l’aube, sur Alger, on priait une météo plus clémente une fois les plaines verdoyantes du Titteri, l’ancienne ville garnison des Ottomans, Médéa, enjambées. L’occasion aurait été sûrement plus belle si les parrains du rallye osaient bifurquer sur El Achir, à vol d’oiseau du chef lieu de la wilaya, pour rappeler, sinon faire découvrir, à leurs poulains, le très peu de vestiges qui restent de la première capitale de la dynastie musulmane berbère, Ziride, échafaudée par le roi Menad Ben Ziri, père de Bologhine, le fondateur d’Alger. A défaut, la caravane déboule droit sur le pays des Ouled Naïl, se tirant du versant sud de l’Atlas tellien jusqu’aux confins de Laghouat. Une partie de méchoui s’imposait de facto, non pas seulement pour venir au secours d’une panse affamée, mais surtout pour déguster la saveur des viandes de la capitale du mouton. Le décor djelfaoui n’a jamais trahi son identité. Soumis au diktat d’un climat glacé et sec, les descendants ou non de la grande tribu (présentée tantôt comme d’origine arabe, tantôt comme berbères pur-sang) emmitouflés dans leur kachabias para-froid vaquent à leur quotidien, curieux, mais sûrement heureux de voir parader, en file indienne, la traînée mécanique. Ce n’est certainement pas en quelques lignes que l’on saurait résumer toute la richesse, naturelle, humaine, culturelle, historique… de la vallée du M’Zab. Encore moins si l’on n’eut la chance d’y élire domicile, fut-ce pour une courte nuitée. Mais de loin, la grande Chebka, comme surnommée par ses fondateurs, défile devant nos yeux ébahis, par monticule, ses vieux ksour, classés, en 1982, patrimoine universel par l’Unesco, Bounoura, Melika, Ghardaïa, Beni Isguen…inutile d’en rappeler l’ensorcellement qui prend, du coup, même l’habitué du coin. Bichons, sans trop s’attarder sur les fioritures, à l’idée que la quiétude séculaire des Mozabites n’ait pas été ébranlée par le vrombissement de la pelotée pétaradante. Une aubaine également pour ces milliers de touristes, étrangers où non, dont l’heureux pèlerinage se passerait à qui mieux mieux d’un tel vacarme. Dieu soit loué !
Ménéa, l’oasis de la reine berbère
Depuis les hauteurs mozabites, la caravane se laisse guider dans les vastes étendues qui ouvrent la voie à ce Grand Sud, où à ce Sahara fascinant chanté par tant de poètes. Plus de 400 km de vive allure et nous voici campant, le temps d’une petite escale somme tout méritée, à Ménéa, l’ex-Goléa dont l’histoire ancienne reste à ce jour matérialisée par le somptueux ksar de Taourirt, surplombant une palmeraie étalée jusqu’à la démesure, et dont l’illustre histoire n’est pas mieux rapportée que par une légende qu’entretiennent quelques nostalgiques des temps impériaux. « Gouvernée par une reine, Sultane d’El Goléa, qui comme celle de tous les contes, était, dit-on, d’une grande beauté, intelligente et énergique, elle habitait au sommet du k’sar, protégée par la dernière enceinte, préférant son existence solitaire aux agréments et aux servitudes de la vie matrimoniale. Or, il advint que son voisin, le sultan du Maghreb, (c’est à dire du Maroc, pays du couchant) s’éprit d’elle, à la suite du portrait que lui en firent des caravaniers qui avaient eu le privilège d’approcher la sultane. Ainsi que le prince de la fable, le sultan amoureux dépêcha auprès de l’objet de ses vœux ses meilleurs ambassadeurs porteurs de riches présents. Ceux-ci ayant été éconduits et ceux-la repoussés, le prétendant malheureux vint, à la tête d’une nombreuse armée, mettre le siège devant Tourirt. Le village et sa reine, confiants dans la solidité des murailles et l’abondance des victuailles, ne doutèrent point de lasser, un jour ou l’autre l’insolent Marocain. Mais le sultan, homme tenace comme tous les Berbères, assiégea le k’sar, et de ce jour, laissa le temps faire son œuvre. Au bout de plusieurs mois, la confiance des assiégés fut ébranlée : les provisions allaient manquer. C’est alors, qu’en souveraine avisée, la sultane de Taorirt résolut de recourir à un stratagème. Un jour, les assiégeants virent apparaître sur la plus haute muraille des linges éclatants de blancheur que l’on mettait à sécher. En même temps, les défenseurs jetèrent par dessus les remparts d’appétissantes galettes, pendant que la porte extérieure, un instant entrouverte, livrait passage à une grosse chèvre poussée par une vieille femme. Le Sultan comprit le langage de ces symboles : Vois ! Nous avons de l’eau en abondance puisque nous l’utilisons pour laver notre linge ! Crois-tu que nous oserions gaspiller notre blé si nous en étions à court ! Quant à la viande, elle ne nous fait pas défaut puisque nous t’offrons une de nos plus belles chèvres. La vieille femme confirma le langage des choses. Le Sultan persuadé qu’il ne réussirait jamais à réduire Taorirt par la famine, leva le camp est rentra dans son pays. La reine avait sauvé son k’sar.
L’Ahaggar ou le tam-tam des Touaregs
Bercés par le conte de la sultane amazighe, il ne nous aurait pas fallu trop de marches pour tomber en pamoison devant le décor qui s’apprêtait à installer, par tantinets, ces merveilles géologiques. L’étendue infinie du grand reg reliant Ménéa à In Salah, truffée d’une ribambelle de mirages que les plus niais prendraient volontiers pour des étangs, s’est, du coup, estompée une fois escaladant le somptueux canyon d’Arak. Une petite bourgade rocheuse hantée par une poignée de Touaregs dont l’unique labeur, indépendamment du commerce transitaire, se résume à pâturer quelques caprins en quête du premier signe de verdure. Disons-le tout net, quitte à hérisser l’irréductible ego des touristes sahariens, c’est par Arak, et seul par Arak, et non pas du haut d’un Boeing, que l’on vit toute la magie du pays des Touareg : l’Ahaggar qu’on n’allait pas tarder à retrouver au terme d’une longue, très longue escapade de trois jours. Ensorcelés par l’équipée du rallye, les Tamanrastis, fidèles à leur légendaire hospitalité, nous ouvrirent grands les bras et se sont fait plaisir à partager avec les compétiteurs leur joie. Deux jours durant, la caravane a pétaradé sans relâche, à travers une nuée d’exhibitions mécaniques (compétition de moto-cross, Jimkhana et autres exercices acrobatiques) au grand plaisir d’une jeunesse qui n’en demandait pas moins, parce que laissée, des décades durant, en marge de l’intérêt public. Mais qui retrouve, grâce à ce nouvel élan de fraternité, toute l’expression d’un pays uni dans sa multiplicité, sinon, tout simplement, dans sa richesse. PS : grand fut notre regret de n’avoir pu escarper l’ensorcellent mont de l’Assekrem, élevé à quelque 80 km de la ville, d’où l’on aurait pu apprécier l’un des plus beaux couchers de soleil au monde.
A. G.