Cette jeunesse que le pouvoir s’est pourtant employé, deux décennies durant, à soudoyer pour l’exclure de la politique, a fait montre d’une conscience politique sur les enjeux.
“Grandioses”, “historiques”, “impressionnantes” : les observateurs et les médias, particulièrement ceux de la presse privée, n’ont pas manqué de qualificatifs pour dépeindre la formidable mobilisation des Algériens lors des manifestations de vendredi. Jamais sans doute l’Algérie n’aura vécu une mobilisation d’une telle ampleur. Elle fera dire, d’ailleurs, pour les plus vieux que cela leur rappelait le jour de l’indépendance.“Beaucoup de monde a prévu qu’il y aurait plus d’Algériens dans les rues vendredi, que la sociologie allait se diversifier.
On a vu beaucoup de familles, des jeunes, des vieux, des filles et même des enfants. Elle avait un cachet populaire et national”, relève le sociologue, Nacer Djabi. Mais, c’est incontestablement, la forte mobilisation de la jeunesse qu’il convient de relever. Cette jeunesse que le pouvoir s’est pourtant employé, deux décennies durant, à soudoyer pour l’exclure de la politique. Bien mieux, contrairement à une idée assez répandue, elle a fait montre d’une conscience politique sur les enjeux.
En témoignent les slogans scandés et la réponse cinglante infligée à Ahmed Ouyahia qui, la veille, devant les parlementaires, brandissait la menace du chaos en évoquant le cas syrien. “Ouyahia, l’Algérie n’est pas la Syrie”, “Le peuple ne veut ni Bouteflika ni Saïd”, “Le peuple veut la chute du régime”, “Voleurs, vous avez pillé le pays” ou encore “Pacifique, pacifique”, comme pour signifier de leur degré de conscience sur l’enjeu de la stabilité. Autre image fort saisissante : cette fraternisation avec les policiers.

Un des policiers dont une vidéo est relayée sur les réseaux sociaux, n’a pu contenir ses larmes. Rue Hassiba-Ben Bouali, peu avant d’arriver à la trémie de la place Maurétania, des manifestants avaient même formé un bouclier autour des policiers pour éviter d’éventuels dérapages. Message sous-jacent : “Nous sommes frères”, comme le clameront, par ailleurs, les manifestants à la vue de colonnes de policiers dont certaines, auront droit à un tonnerre d’applaudissements.
Si la manifestation a vu la présence de nombreuses figures de la scène politique, du monde économique et de la société civile, certains, à l’image de Moussa Touati, n’ont pas échappé aux sarcasmes et aux huées des manifestants. Comme quoi, les jeunes savent séparer les “opposants” des “faux-semblants”. Il faut relever également l’absence des islamistes dont aucun slogan n’a été brandi même si certains leaders, à l’image de Makri du MSP ou encore de l’irréductible Abdallah Djaballah, ont tenu à participer à la marche.
Reste que comme tout mouvement de cette ampleur, sans encadrement et sans une homogénéisation de ses revendications, sa force, pour l’heure cristallisée autour du départ de Bouteflika, peut constituer à la longue sa faiblesse. L’exemple des Gilets jaunes en France est à ce titre assez édifiant. D’où le souci, pour certains, que la détermination affichée vendredi par les manifestants ne soit pas neutralisée et polluée par toute sorte d’artifices.