On insistait dans le reportage d’hier sur l’élégance de Fabio Cannavaro. Eh bien mardi encore, l’Italien a prouvé qu’il reste un grand gentleman. Après nous avoir demandé gentiment de reporter l’interview pour le lendemain Cannavaro s’est présenté à l’heure, prêt à répondre à toutes nos questions même les plus embarrassantes. Face aux caméras du Buteur et d’El Heddaf et aux crépitements du flash de l’appareil de notre photographe, Cannavaro semblait très à l’aise avec son sourire qui ne le quittait jamais.
Avant tout, on vous remercie beaucoup d’avoir accordé cette interview exclusive au Buteur et à El Heddaf ?
C’est moi qui vous remercie de m’avoir invité et de m’avoir ainsi donné l’occasion de découvrir Alger pour la première fois. J’ai été heureux d’être parmi vous.
Dites-nous sincèrement : comment avez-vous trouvé la fête du Ballon d’Or hier soir ?
Je vais justement être sincère et vous dire qu’il y a eu un peu de retard avant le début de la cérémonie, mais une fois que la cérémonie a commencé tout s’est très bien déroulé. J’ai remarqué le grand intérêt accordé aux jeunes puisqu’il y a eu, je crois, au moins trois prix pour les jeunes. C’est une très bonne chose et cela va les motiver à travailler davantage pour atteindre le haut niveau. Cela sans parler de Boudebouz qui est encore jeune et qui a été élu Ballon d’Or. J’espère qu’il sera bientôt le symbole du football algérien comme l’ont été d’autres avant lui. Je garde donc un très bon souvenir de cette fête qui s’est déroulée dans une ambiance familiale.
Quelle idée vous aviez de l’Algérie avant cette visite et que pouvez-vous nous dire sur notre pays quelques heures avant votre départ aux Emirats ?
Je savais avant de venir ici que je n’allais pas me sentir dépaysé. Je suis au bord de la Méditerranée, à une heure de vol d’Italie, mais je ne pensais sincèrement pas qu’Alger allait me faire rappeler à ce point mon Napoli natal. Je ne parle pas uniquement des ressemblances géographiques mais aussi humaines, les Algérois sont aussi chaleureux et hospitaliers que nous autres Napolitains. Comme Naples, Alger est une ville qui bouge beaucoup, il y a de la vie dans votre ville.
Durant la cérémonie du Ballon d’Or, vous étiez à la même table que Rabah Madjer. Que vous a-t-il dit ?
La discussion avec Madjer est toujours agréable. Je l’ai déjà rencontr récemment à Dubaï pour un match de bienfaisance au profit des enfants libyens et il m’a paru très sympathique et humble malgré l’incroyable carrière qu’il a eue. Je trouve d’ailleurs qu’il a arrêté le foot relativement jeune. Il m’a parlé de son expérience comme sélectionneur de l’équipe d’Algérie avec une telle passion que j’ai senti en lui l’envie de servir de nouveau son pays. Oui, Madjer donnait l’impression lors de notre discussion de vouloir mettre sa riche expérience au service de l’Algérie.
Beaucoup d’internationaux algériens ont choisi de jouer au Golfe à la grande déception des supporters. Vous qui avez joué et qui travaillez aux Emirats, pensez-vous qu’on va au Golfe uniquement pour assurer une retraite dorée ?
Non. Dans ces pays, il y a certes beaucoup d’argent, mais pas que dans le football. Je crois même qu’on gagne beaucoup plus en Europe que dans les pays du Golfe. Il ne faut donc pas taxer les joueurs algériens d’être allés dans les pays du Golfe juste pour l’argent. Peut-être qu’ils n’ont pas eu des offres intéressantes en Europe. Moi, en tout cas, je suis de ceux qui pensent qu’on doit respecter les choix des autres. Après, c’est au sélectionneur de voir s’ils peuvent encore aider la sélection.
Pensez-vous que le niveau des championnats des pays du Golfe leur permet de rester compétitifs ?
Tout le monde sait que pour rester compétitifs, il faut jouer en Europe. Le championnat des pays du Golfe n’est pas comparable à ce qui se fait en Europe, mais il faut reconnaître qu’il est en progression constante. Il y a quelques années, les joueurs partaient là-bas pour jouer deux ou trois saisons avant de prendre leur retraite. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de trentenaires qui y vont. Cela prouve que le niveau est acceptable.
Maradona qui travaille aux Emirats comme vous pense que le plus grand problème dans les pays du Golfe c’est l’absence du public dans les stades qui, selon lui, bloque la progression du football. Etes-vous de son avis ?
Quand Maradona donne son avis sur le football, il a forcément raison. Je suis donc totalement d’accord avec lui car quand un joueur entre sur le terrain et voit des gradins vides, sa motivation s’en ressent. A mon avis, cela n’est pas dû au désintéressement des Emiratis ou des Qataris pour le football, mais plutôt à leurs habitudes. Aux Emirats, les gens sont casaniers et préfèrent rester chez eux et comme tous les matchs sont télévisés, ça les arrange. Ça n’arrange pas les joueurs (il sourit).
Il vous est arrivé de rencontrer Maradona à Dubaï ?
Oui, à l’occasion de son anniversaire. Il m’a paru en très grande forme et heureux d’être sur un terrain de foot. Vous savez, toute la vie de Maradona a été liée au football au point où il ne supporte plus d’en être éloigné. C’est vrai que la pression aux Emirats n’est pas la même qu’en Argentine, mais le fait qu’il soit sur un banc est très bon pour lui.
Alors que vous débutiez à Naples à 18 ans, vous avez osé le bousculer au cours d’un match d’entraînement. Se rappelle-t-il de cette intervention énergique ?
Même moi je ne m’en rappelle pas trop. Je me souviens beaucoup plus de sa réaction qui a été impressionnante pour un joueur considéré comme une idole à Naples à l’époque. Alors que tout le monde me regardait d’une drôle de manière, Diego est venu vers moi pour me dire que je devais jouer comme ça, même à l’entraînement. Pour calmer tout le monde, il a déclaré à la presse que mon intervention faisait partie du jeu. Maradona a prouvé qu’il était non seulement un joueur très intelligent, mais aussi qu’il savait contenir ses nerfs et encourager les jeunes.
Connaissez-vous les joueurs algériens qui évoluent au Qatar ?
Je n’ai pas encore eu l’occasion de les connaître parce que je ne suis pas beaucoup le championnat du Qatar. Je crois que le plus important pour un footballeur c’est de se sentir heureux là où il est, d’avoir toujours envie de prendre son sac pour aller à l’entraînement. Au Qatar, ils auront aussi la responsabilité de bien représenter leur pays.
Vous connaissez sans doute les Algériens du Calcio…
Je vais peut-être vous décevoir, mais aucun nom ne me vient à l’esprit. J’ai sans doute affronté des Algériens durant mes dernières années dans le Calcio, mais je ne me rappelle pas des noms. Je sais toutefois que le joueur algérien est connu pour ses qualités techniques à l’image de Ryad Boudebouz qui vient de remporter le Ballon d’Or et qui peut encore progresser dans tous les domaines vu son jeune âge.
Vous ne connaissez même pas Yebda qui a fait un bon passage à Naples, votre équipe de cœur ?
Oui, celui-là je le connais et je l’apprécie beaucoup pour sa sobriété sur le terrain et ses qualités physiques et techniques. Je ne comprends pas pourquoi, après une année aussi bonne à Naples, il est parti. J’aime beaucoup ce genre de joueurs qui ne perdent jamais la tête sur un terrain de football.
Quel conseil pourriez-vous donner à Boudebouz pour qu’il puisse progresser ?
Sur ce que j’ai vu sur les images pendant la cérémonie, Boudebouz est un joueur très doué. Le seul conseil que je peux lui donner c’est de ne jamais mettre de limites dans sa progression. Il doit voir loin et améliorer ses grandes qualités. Je l’ai trouvé par contre assez petit, ce ne serait pas mal s’il fait un travail physique supplémentaire même si j’avoue qu’il peut compenser ça par son talent.
Il n’y a pas mieux que l’Italie pour travailler le physique…
(rire) Non, pas forcément l’Italie. Je trouve même que le football français est assez athlétique et peut lui permettre d’améliorer ses qualités physiques. Le plus important pour Boudebouz c’est de se convaincre qu’à son âge il est au début de sa carrière, il ne faut pas qu’il pense qu’il a atteint ses limites juste parce qu’il vient d’être sacré meilleur joueur de son pays. Le Ballon d’Or doit être le premier d’une longue série de titres, qu’ils soient individuels ou collectifs.
Qu’avez-vous ressenti au moment où les images de la finale de la Coupe du monde 2006 défilaient à l’écran pendant la cérémonie du Ballon d’Or ?
Sur le terrain, le jour de la finale, tu ne réalises pas trop ce qui t’arrive. C’est après lorsque tu revois les images que tu es gagné par l’émotion. C’était le cas hier (Ndlr. Entretien réalisé mardi). J’étais d’autant plus ému que c’est la première fois que je vois ces images, entouré d’un public algérien. Avant de venir ici, je ne savais même pas que beaucoup d’Algériens avaient supporté l’Italie en finale contre la France. Je pensais que toute l’Algérie était derrière la France de Zidane.
Que retenez-vous de cette finale ?
Que techniquement et physiquement, la France était meilleure que nous. Mais, mentalement nous avons eu le dernier mot. Nous avons battu une équipe qui était supérieure à nous sur tous les plans grâce à notre mentalilé de gagneurs.
Il y a eu aussi le fameux coup de tête de Zidane en fin de match…
Je suis désolé pour Zidane qui, au vu de tout ce qu’il a donné au football, méritait une meilleure sortie que celle-là. On ne peut pas ne pas dénoncer un geste comme ça, ce n’était pas le meilleur exemple à donner aux enfants du monde entier qui ont regardé le match. Mais Zidane restera Zidane et personne n’a le droit de le juger ou de réduire sa grande carrière à ce geste malheureux.
Avez-vous été insulté sur un terrain et comment avez-vous réagi ?
Les insultes et les provocations sont monnaie courante en football et si on s’amuse à réagir à chaque fois par des coups de tête, aucun match n’ira à son terme.
Vous avez toujours rêvé de terminer votre carrière à Naples, mais cela ne s’est pas fait. Avez-vous des regrets ?
Je ne peux pas regretter quoi que ce soit du moment que j’ai voulu rejouer dans l’équipe de mon cœur et de ma ville. Cela ne m’empêche pas de rester fidèle à ce club d’autant plus que les résultats sont très bons ces dernières années et que mon frère Paolo en est le capitaine. Non, je n’ai pas vraiment de regrets.
Vous êtes assez petit pour un défenseur central. Comment un joueur qui mesure 1m 76 peut-il devenir le meilleur défenseur du monde ?
C’est vrai qu’un bon défenseur doit être grand de taille pour réussir dans le haut niveau, mais il n’y a pas que ça. Il y a la lecture du jeu, l’intelligence, l’anticipation, la vitesse mentale qui sont plus importantes que la taille. Au début de ma carrière, beaucoup de gens n’ont pas cru en moi surtout à l’époque où, pour être un défenseur central, il faut mesurer au moins 1m 86.
Quel est à votre avis le meilleur défenseur central au jour d’aujourd’hui ?
Il n’y a pas un joueur en particulier qui émerge. Je dirais même qu’il n’y a plus de grands arrières centraux comme à mon époque avec Thuram, Materrazzi, Maldini, Nesta, Costacurta, Ferrara…
Mais, il n’y a que des Italiens là…
Il y a aussi l’Argentin Samuel, le Hollandais Stam. Même ceux-là, ils ont joué en Italie (rire). Bon, je vais citer d’autres, actuellement par exemple j’aime bien Piqué, Pepe, Thiago Silva et Sergio Ramos lorsqu’il joue en défense centrale.
Il était prévu que votre épouse vous accompagne à Alger. Pourquoi ne l’a t-elle pas fait ?
On avait prévu effectivement de venir ensemble, mais elle a préféré s’occuper des enfants surtout que le séjour est court. Si on doit revenir, ce sera pour une période plus longue.
Elle va sans doute vous demander comment ça a été. Qu’allez-vous lui répondre ?
C’est déjà fait. Ce matin, elle m’a appelé pour me poser la question. Je lui ai dit que tout s’est bien déroulé et que mon voyage en Algérie a été une expérience pour moi. C’est pour ça que je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir permis de découvrir votre beau pays. J’espère pouvoir retourner un jour parmi vous.
Tout le monde sait que vous êtes très attaché à Naples. Après le club de votre cœur, quel est l’autre club que vous avez appris à aimer ?
Sincèrement, je garde un excellent souvenir de tous les clubs où j’ai joué même à l’Inter où je n’ai pourtant gagné aucun titre. Que ce soit à Parme, à la Juve ou au Real, j’ai passé des moments extraordinaires que je n’oublierai pas de sitôt. Toutefois, l’année 2006 restera gravée à jamais dans ma mémoire malgré la rétrogradation administrative de la Juve. J’ai gagné la Coupe du monde pour être ensuite désigné meilleur joueur du monde. Pour un défenseur, c’est exceptionnel.
Depuis cette année, vous êtes devenu El Muro de Berlin pour tous les Italiens.
(Il rit). C’était parce qu’on avait gagné la Coupe du monde en Allemagne après avoir éliminé les Allemands en demi-finale. C’est vrai que pour les Italiens, battre l’Allemagne a un goût particulier parce que c’est une grande nation du football et parce que nous avons une forte communauté italienne là-bas. Voilà à peu près l’histoire du mur de Berlin.
Vous avez joué à la Juve et au Real, mais vous n’avez jamais pu évoluer aux côtés de Zidane. Le regrettez-vous ?
Ce n’est pas que je le regrette, mais j’aurais vraiment souhaité jouer aux côtés d’un très grand joueur comme Zidane. J’ai eu quand même la chance de côtoyer d’autres grands joueurs durant ma longue carrière dans le foot.
Lesquels par exemple ?
Il y en a beaucoup. Ronaldo, Raul, Del Piero, Totti, Guti et d’autres encore. Je n’ai peut-être pas joué aux côtés de Zidane, mais je l’ai affronté sur le terrain à plusieurs reprises et cela me rend également fier.
Vous avez gagné le Ballon d’Or de France Football et vous avez remis le Ballon d’or algérien à Boudebouz. C’est quoi la différence entre les deux cérémonies ?
La médiatisation. A France Football, il s’agit de choisir le meilleur joueur du monde et cela intéresse les médias du monde entier. N’oubliez pas aussi que France Football en est à sa 53e édition. Le Ballon d’Or algérien me rappelle beaucoup plus les Oscars du Calcio qui désignent le meilleur joueur italien de l’année.
Vous résidez aux Emirats, donc pas loin du Qatar qui va organiser la Coupe du monde-2022. Beaucoup ont critiqué cette désignation à cause du climat chaud qui règne dans ce pays. Y aura-t-il, selon vous, un problème à cause de la chaleur ?
C’est un sujet très compliqué parce qu’il ne s’agira pas seulement de matchs de football sous une forte chaleur en juin et en juillet, mais aussi de séances d’entraînement. Je crois que si la FIFA a désigné le Qatar pour abriter la Coupe du monde, c’est qu’elle aura des solutions d’ici à 2022.
Surtout avec les moyens dont dispose le Qatar…
Sans doute oui surtout que l’organisation d’un tel évènement aura des répercussions positives sur le football dans toute la région et pas seulement au Qatar.
Merci encore une fois de nous avoir accordé cet entretien et d’avoir accepté de venir en Algérie…
J’ai été heureux d’être parmi vous.