Canal+ et l’affaire des moines de Tibhirine,Le «documenteur» de Jean-Baptiste Rivoire

Canal+ et l’affaire des moines de Tibhirine,Le «documenteur» de Jean-Baptiste Rivoire

Un bien curieux timing pour relancer l’affaire de Tibhirine dans l’agenda des relations algéro-françaises.

Quel hasard! C’est au moment où les tensions entre l’Algérie et la France se ravivent à cause de la situation en Libye, que Canal+ a choisi de programmer un documentaire sur l’affaire des moines de Tibhirine qui risque de geler encore des relations déjà glaciales. Un bien curieux timing pour relancer cette affaire Tibhirine dans l’agenda des relations algéro-françaises. Le 19 septembre, diffusion du documentaire Crime de Tibhirine sur Canal+. Mercredi 21 septembre, diffusion du film-polémique Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvoix, toujours sur Canal+ et le 22 septembre sortie en France du livre Le Crime de Tibhirine, révélations sur les responsables aux éditions

La Découverte, alors que s’ouvre à Alger le Sila, en présence du ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand. Quinze ans après l’assassinat des sept moines de Tibhirine, Jean-Baptiste Rivoire en remet une couche avec cette fois de prétendues nouvelles pistes mettant en cause les services secrets algériens.

Jean-Baptiste Rivoire a, par le passé, déjà participé à tous les «sales reportages» de la décennie noire sur l’Algérie. De nombreux reportages pour Zone interdite sur M6, Envoyé spécial de France 2 ou Le Vrai Journal de Canal+. Des attentats de 1995 à Paris, à l’assassinat de Matoub Lounès en Kabylie, du massacre de Bentalha à l’affaire Khalifa. Il est devenu le spécialiste des sales besognes sur l’Algérie. Dès 1998, il réalise pour Canal+ un sujet sur la mort des moines de Tibhirine, dont il pressent déjà qu’elle cache des éléments non avouables: l’implication de la sécurité algérienne dans le drame et la possibilité d’une bavure de l’armée. A l’époque, la version officielle, vérifiée et contrôlée, désignait les islamistes sanguinaires du Groupe islamique armé (GIA), conduits par leur chef Djamel Zitouni, comme les seuls et vrais responsables de leur exécution.

La nouvelle enquête de Jean-Baptiste Rivoire – près de deux ans de travail – veut présenter l’hypothèse d’un faux «enlèvement islamiste» ordonné par feu le général Smaïl Lamari, chef des services secrets algériens, et d’une manipulation ayant mal tourné.

Une nouvelle version de Rivoire qui irrite au point de faire dire sur la place parisienne: «Encore un doc sur l’Algérie de Jean-Baptiste.». Bref, ses reportages commençaient à exhaler un fort relent de manipulation et d’acharnement. Rivoire était accusé d’être responsable du suicide de Contant qui enquêtait avec lui sur la mort, en 1996, des moines de Tibhirine.

Présenté sous une forme de fiction, le nouveau film de Rivoire s’appuie sur quatre pseudos «témoins-clés», dont deux ne sont pas identifiables, pour faire croire aux téléspectateurs que le GIA est innocent de l’enlèvement et de la décapitation des sept moines de Tibhirine.

Depuis la diffusion en 2002 de «l’opération Lune», le canular de William Karel, qui a dévoilé au grand jour la manipulation d’un événement qui marqua le XXe siècle: la course vers la Lune,

Le Crime de Tibhirine de Jean-Baptiste Rivoire, apparaît comme le nouvel épisode dans le genre «documenteur» ou l’art de travestir une vérité historique en mensonge d’État.

En décortiquant le témoin principal, Karim Moulaï, présenté comme un agent du Département de renseignement et de sécurité (DRS), on se pose cette question: comment un simple agent de renseignement, qui n’est même pas militaire, peut se retrouver dans la même pièce que le puissant général Smaïl Lamari, chef des services du contre-espionnage algériens? Et assister aux décisions d’envoi d’un commando de tueurs pour exécuter les otages. Une hypothèse qui ne tient pas la route et qui démontre que l’agent en question a menti pour quelques euros de plus.

Le deuxième témoin-clé dans cette affaire, est Tigha, un habitué de Rivoire puisqu’il a déjà témoigné dans les autres reportages et il en est à sa quatrième version des faits. Ce qui, aux yeux de la justice, n’est pas crédible.

Comment le Colonel Samraoui, qui était déjà en poste à Bonn en Allemagne, pouvait-il être en même temps à la caserne de Blida et affirmer qu’il avait vu Djamel Zitouni traîner dans les parages?

Quel crédit va-t-on accorder aux témoignages de ces félons qui n’ont qu’une idée en tête, salir l’image de l’Algérie et la réputation d’une institution qu’ils ont servie? Pas besoin de parler des anonymes, qui peuvent raconter n’importe quoi et avec n’importe quelle langue. Jean-Baptiste Rivoire a même inventé une nouvelle technique du documentaire, «la fiction documentarisée». Puisqu’il a reconstitué l’interview d’une personne qu’il avait déjà interviewée.

Le journaliste de Canal + décide de la conclusion et n’accepte pas les autres versions de l’enquête. Il dit dans son commentaire: «Selon une source dont la fiabilité n’est pas confirmée», démontre la faiblesse des preuves et l’urgence de les masquer dans une fiction.

Pour décrédibiliser les services secrets algériens, il avait aussi besoin d’humaniser les terroristes du GIA. Pour ce faire, il avait besoin des images de Fouzia Fikiri, qui avait réalisé un important reportage sur le groupe d’Ali Benhadjar. Ce dernier témoigne encore, mais se contredit, car il avait déclaré dans un autre documentaire que les membres du GIA avaient l’intention de kidnapper les moines et qu’ils lui avaient demandé des hommes pour mener cette opération. Après avoir refusé, ils ont accéléré les choses, envoyé des hommes et enlevé les moines. Ceux-là ont ensuite été détenus à Bougara puis assassinés par le GIA dans les alentours de Médéa. Dans son documentaire, Malik Aït Aoudia interviewa en 2004, dans un café de Médéa, un jeune homme enlevé en même temps que les moines. Il explique: «J’ai passé une journée avec les moines, leur première journée de détention, avant de réussir à m’enfuir. On était

à Guerrouaou [un refuge de montagne].» Donc, pas dans une caserne de l’armée à Blida, comme le stipule le nouveau documentaire de Canal+.

Dans une tribune dans l’hebdomadaire Marianne, Malik Aït Aoudia répond à Jean-Baptiste Rivoire et s’interroge, pourquoi le journaliste de Canal+ n’a pas interrogé un homme-clé dans cette affaire, à savoir Omar Chikhi, l’un des fondateurs du GIA, qu’il a quitté fin 1996? Le journaliste de Canal+ a également zappé un point capital dans cette histoire: la visite d’un émissaire du chef du GIA à l’ambassade de France le 30 avril 1996. Reçu par un officier de la Dgse, il remet une preuve de vie des moines, sous forme d’un enregistrement audio datant du 20 avril.

Puis la Dgse reconduit sous bonne escorte l’émissaire du GIA dans un quartier populaire d’Alger, muni d’une lettre à en-tête de l’ambassade proposant de maintenir le contact. Les autorités algériennes ne sont alors pas informées. Un accord est donc trouvé par les services français avec le GIA pour sauver les moines, quand, à Paris, tout dérape.

Le documentaire se base sur des témoins pour créer de toutes pièces de fausses pistes pour décrédibiliser l’institution militaire, l’ANP. La dernière scène sur la révolution arabe où le journaliste ramène un comédien pour parler à un agent du DRS non identifié (alors qu’il prétendait avoir les noms des responsables des services) est digne du film de Claude Zidi dans La Totale. Rivoire a raté sa vocation: scénariste de film d’espionnage.

La leçon à retenir: l’affaire des moines de Tibhirine est un bon film pour Rivoire, mais qui finira par s’éteindre avec le temps.