Dès demain matin, quelque 21,6 millions d’Algériens seront appelés à se rendre aux bureaux de vote pour élire leurs représentants au sein de la nouvelle Assemblée populaire nationale, une chambre basse qu’on annonce depuis presque un an comme dépositaire de l’avenir du pays pour plusieurs générations à venir.
Si aucun sondage sérieux ou étude comportementale ne classifient les priorités qui président aux choix des électeurs, il n’en demeure pas moins vrai que la chose économique, ressentie par les populations à travers ses effets sociaux sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat, occupe une place non négligeable. Seulement, face à des salles à moitié vides, les chefs de parti et leurs têtes de liste à travers les 48 wilayas du pays ont développé un discours, certes prolixe mais par trop empreint de rhétorique.
C’est ce qu’a constaté Malek Aïdoun, enseignant d’économie. Pour cet observateur averti, la précipitation dans laquelle cette campagne s’est présentée avec la nécessité de mettre en branle en quelques semaines seulement tout un nouvel arsenal juridique accompagné de l’agrément de plus d’une vingtaine de formations politiques à moins d’un mois du lancement des rencontres publiques n’a pas permis aux nouveaux partis de bien structurer leurs approches sur les questions économiques. “De facto, déplore-t-il, ils sont tombés dans la facilité en promettant ce que les électeurs voulaient bien entendre, c’est-à-dire des engagements pour régler les problèmes de chômage, de logement, etc.” “D’ailleurs, fait-il observer, il est intéressant de voir comment les questions de corruption et de favoritisme ont été peu audibles lors des meetings.” Il relève au passage le manque de dialogue et de consultation des experts de la part des formations politiques, donnant naissance très souvent à un discours aussi “improvisé qu’inconsistant”, parfois contenant des contradictions flagrantes entre la pensée économique de laquelle se revendique un politicien et les mesures qu’il voudrait mettre en œuvre une fois aux commandes. Consultant en stratégie de communication, Sofiane Ghazi voit dans ce point précis des contradictions dans le discours économique un élément amplificateur des incompréhensions, dans le sens où la classe politique continue à prendre l’électorat d’en haut. “Or, dit-il, le monde a changé et les électeurs sont aujourd’hui bien plus conscients et instruits qu’auparavant et savent donner du sens aux mots. C’est ce qui fait que les promesses économiques restent peu crédibles.”
Mohamed Selmi, docteur en management stratégique, croit savoir que ce ne sont pas que les nouvelles formations politiques qui ont du mal à se positionner sur les questions économiques. Même celles pourtant en activité depuis plus d’une quinzaine d’années n’arrivent pas à formuler un projet économique à la fois “viable et défendable”, car elles ne disposent pas d’une donne essentielle : l’information économique.
“Sans cette matière première, aucune analyse sérieuse n’est possible. Par conséquent, aucune extrapolation et projection avec la moindre erreur ne peuvent être envisagées”, analyse-t-il avant de donner pour preuve l’“absence totale d’objectifs chiffrés lors des nombreux meetings tenus”. “Avez-vous entendu un parti se fixer un taux de croissance hors hydrocarbures ? Un plafond du niveau de chômage ?”, s’interroge-t-il avant de répondre : “Aucun.”
Et le peu de chiffres avancés est “irréaliste”. “Lorsque vous entendez une promesse aussi invraisemblable que la création immédiate de plus de trois millions d’emplois directs par la réouverture des entreprises dissoutes ou d’annuler carrément des accords que l’Algérie a conclus et que le parlement a lui-même ratifiés, vous ne pouvez pas empêcher l’interrogation sur l’ampleur du vide qui sépare la classe politique de la réalité, non seulement de la réalité algérienne mais celle du monde dans lequel nous vivons”, constate M. Selmi.
Si le manque de précision dans les propositions est bien évident, il est tout aussi vrai, souligne notre stratège en management, que les trois semaines de campagne ont permis tout de même de rendre plus visibles les frontières idéologiques qui façonnent le penchant économique des uns et des autres.
Les libéraux qui s’expriment pour la levée des contraintes pesant sur l’acte d’investir et une plus grande liberté d’initiative ont marqué leur territoire. Ceux pour une présence dosée de l’état dans les affaires économiques, notamment dans les secteurs stratégiques, ont également été identifiés.
Aussi bien que l’ont été les partisans du tout-état allant jusqu’à prôner la renationalisation des entités privatisées y compris celles cédées aux travailleurs. Finalement, la seule tendance qui n’a pas suffisamment assumé sa différence reste celle des islamistes qui n’a, à aucun moment de la campagne sinon à de rares moments, fait valoir le modèle économique islamique.
Maintenant que les salles ont été vidées et que les micros se sont tus, place au peuple pour dire son mot…
M. Y