Les partis politiques ont avancé plusieurs propositions économiques lors de cette campagne pour les législatives du 10 mai que des experts en économie qualifient d’« amateurisme », de « populisme » et de « propagande ».
Pour Farid Yaici, expert en économie et doyen de la faculté des sciences économiques de Bejaïa, « les quelques propositions des partis politiques, relatives aux volets économique et social, témoignent d’un amateurisme et/ou d’une démagogie de leurs auteurs et occultent les véritables enjeux qui se posent à l’économie et à la société algériennes ». Il s’interroge sur les propositions du FJD, parti de Abdallah Djaballah, dont « la promesse d’un taux de croissance à deux chiffres sachant que notre économie est dépendante des hydrocarbures ». Les propositions des trois partis islamistes, regroupés au sein de l’Alliance de l’Algérie verte (AAV), comme l’autosuffisance alimentaire ou encore « la libre cotation du dinar » et en « même temps le retour à l’administration des prix » sont qualifiées de fantaisistes ne serait-ce que parce que dans le domaine agricole où notre agriculture est tributaire de la pluviométrie. La taxation des fortunes à hauteur de 2,5% au profit du fonds de la zakat promise par l’AAV semble pour cet expert difficilement réalisable. « La déclaration des fortunes ne peut se faire sans un engagement à traiter l’informel et l’insuffisance du système fiscal », observe-t-il. S’agissant de la proposition du Parti des travailleurs (PT) sur le retour au secteur public et au monopole de l’Etat sur l’économie, le Pr Yaïci considère que « ce système aujourd’hui est dépassé ».
Que dire alors du relèvement du salaire minimum (SNMG) à 30 000 ou 35 000 DA et l’allocation chômage à 50% du SNMG, suggérée par le Parti socialiste des travailleurs (PST) et le Front pour le changement (FC) ? « Ces propositions ne peuvent être appliquées sans les justifier économiquement », indique l’économiste. Quant à l’éradication de la pauvreté en cinq ans comme le prône le FJD, cet objectif ne peut être atteint « sans le développement du pays dans son ensemble ». Concernant l’encouragement de l’épargne toujours prôné par le FLN, ce doyen de l’université de Bejaïa ne comprend pas comment on peut faire une telle offre « alors que les banques regorgent de liquidités ». Pour l’autre proposition du FC qui porte sur le crédit à un taux de 0%, l’économiste pose la question : « comment pourrait-il booster l’investissement alors que c’est le climat des affaires qui est en cause, en plus de la faiblesse des capacités d’absorption de l’économie algérienne ? ». En outre, cette mesure risquerait de mettre à mal la survie des banques, selon lui.
LA RENTE PÉTROLIÈRE COMME LEITMOTIV
Pour sa part, l’économiste et enseignant Mourad Goumiri considère les propositions économiques des partis politiques comme étant soit « dépassées » ou « populistes ». Ainsi, pour lui, les 281 propositions du FLN, dont celle de promouvoir la production nationale et l’encouragement de l’épargne pour avoir un taux de croissance de 7% par an, relève d’un programme économique qui « n’a pas varié depuis 50 ans avec un mélange de nationalisme, d’angélisme et de volontarisme, sans partir de la réalité mais proposant des objectifs irréalistes comme les 7% de taux de croissance sans expliquer par quel miracle ils vont atteindre ce chiffre ».
L’éradication de la pauvreté en 5 ans, l’autosuffisance alimentaire et le taux de croissance économique à deux chiffres (10%), promesses de Djaballah, ne sont pour le Pr Goumiri que « des slogans typiques de personnes « politiques » qui n’ont jamais eu à gérer leur budget familial ». Sentence, « cela montre l’extravagance de leurs propositions qui, bien sûr, ne sont pas chiffrées ». L’expert qualifie aussi de miracle un PIB qui passe de 5 à 10%. A l’instar du Pr Yaici, M. Goumiri estime que la promesse de relèvement du SNMG et l’allocation chômage aura des conséquences négatives. « Pourquoi pas un salaire minimum à 50.000 DA ? », ironise-t-il tout en se posant la question sur ses effets sur les entreprises, l’inflation et le pouvoir d’achat. Il explique que « lorsque l’on accepte d’allouer une allocation chômage, cela signifie que l’on accepte le principe du chômage comme élément structurel de notre économie », remarque-t-il. Et d’ajouter qu’« en regardant le nombre de travailleurs étrangers qui activent en Algérie, on peut en douter ! ».
S’agissant de l’Alliance de l’Algérie verte (AAV) qui propose la révision de la loi sur la monnaie et le crédit, cet enseignant à l’université n’est pas contre mais se demande « pour y introduire ou retirer quoi ? ». Quant à l’impôt appelé zakat accumulé dans un fonds, il « ne change rien au problème majeur de l’égalité du citoyen devant l’impôt et de sa juste répartition ». Quant aux subventions des produits de premières nécessité, « c’est un argument classique des régimes populistes », estime-t-il en se posant la question de savoir « avec quel argent on va financer ces subventions ? Avec la rente pétrolière encore et toujours ? ».
Les 14 directives économiques du RND ne trouvent pas non plus grâce à ses yeux. Pour le PT, fervent militant pour le retour du monopole de l’Etat et l’annulation de l’accord d’association avec l’UE, cet économiste dira : « Dans la pure tradition stalinienne, il se trompe d’époque ». Enfin, pour les suggestions du FC, il estime que ce « programme populiste, sans chiffrer la dépense, joue sur la rente pétrolière ».
Fella Midjek