A soixante jours des législatives, aucun parti, n’a une idée précise de son poids électoral. Même les plus riches et les mieux pourvus en moyens n’ont pas daigné avancer le moindre diagnostic sur les intentions de vote des Algériens ni sur leur participation aux législatives.
Tout le monde énonce des hypothèses, des projections. Tout le monde aussi attend des miracles, espère une petite folie électorale des Algériens, mais personne n’a été capable de financer un minisondage, juste pour ajuster son discours et affiner ses programmes et ses plans. Même Belkhadem n’est pas aussi sûr comme il l’était il y a deux mois, lorsqu’il prédisait une victoire écrasante frôlant les 40%.
Aujourd’hui, il préfère être sceptique et lâche qu’il démissionnerait si son parti ratait le coche. Même son de cloche chez les leaders de l’alliance verte, qui n’arrivent pas à pronostiquer le moindre taux, le moindre chiffre sur le nombre de sièges qu’ils sont susceptibles de gagner grâce aux listes communes.
Le plus ambitieux de tous, Djaballah, n’a pas été non plus capable de trancher la question. Bref, nos partis politiques font du bricolage et naviguent à vue, alors que d’autres espèrent une zakat électorale de la part du pouvoir, sorte de rente pour services rendus, tant ils ont été éduqués à la longue tradition des quotas et des partages.
En fait, les états-majors de nos formations politiques se concentrent sur des calculs à la traditionnelle, comme les précédents résultats, sur le nombre des sièges à pourvoir dans une vingtaine de wilayas et sur les arithmétiques complexes de la proportionnelle. Tout se fait sur la base des ouï-dire, de sermon d’aârch, de clans, de familles, de tribus, d’allégeances parentales, de cheikhs de zaouiya et de moqadems.
Dans les grandes agglomérations urbaines, on préfère miser sur des acteurs chefs de file d’associations de quartier, sur des promesses de voirie ou de logement. Naturellement, on ne daigne point mettre sur la liste des noms plus connus, issus du terroir, sorte de personnalités crédibles et respectées par le peuple, comme des vedettes de foot ou des visages médiatisés. On attend que ces atouts populistes gagnent des voix et drainent les gens à venir voter en masse.
On attend d’eux qu’ils puissent convaincre la plèbe de venir visiter l’isoloir le 10 mai prochain. Quant aux sondages, c’est une affaire d’intellectuels de salon, un caprice pour certains barons de notre élite acoquinée aux pouvoirs. Mieux, pour nos partis, les sondages, c’est une affaire qui concerne les laboratoires du ministère de l’Intérieur ou des services de sécurité.
Pis, comment peut-on qualifier la désertion et la démission de nos universités et de nos facultés de sociologie ou de sciences politiques de cet événement ? N’ont-ils pas les moyens de faire un petit sondage sur la base d’un échantillonnage rigoureux, juste pour affiner les connaissances de leurs étudiants et les entraîner sur les techniques de sondage ?
Certains observateurs diront que des cercles au sein du pouvoir ont déjà bouclé le vote, et qu’ils connaissent les résultats du vote, le nombre de sièges de chaque parti et qu’ils préparent même, sur la base de ces projections, le futur gouvernement et son programme jusqu’à la présidentielle de 2014.
Ont-ils raison, d’autant que l’Etat a toujours utilisé des instruments de veille pour appréhender les opinions publiques et sociales, ainsi que les intentions de vote. D’ailleurs, l’Etat sait très bien que la participation aux législatives n’a jamais été un souci majeur pour notre électorat. Il connaît parfaitement les taux désastreux de 2002 et de 2007.
Mais le plus grave dans cette histoire de sondage, c’est que le plus grand parti du pays ne sait même pas s’il va gagner ces élections, ni même combien il aura de députés. Alors, qui a tort, qui a raison ? Le pauvre citoyen qui profitera d’une nouvelle journée fériée pour voter ou non, ou le parti politique qui veut gouverner un pays et changer sa Constitution ?
Hani Rabah