Le général-major à la retraite, ex-ministre de la Défense, Khaled Nezzar a été auditionné par la procureuse fédérale suisse, jeudi et vendredi dernier, suite à une plainte déposée contre lui pour «suspicion de crimes de guerre».
Il a été auditionné, en qualité de prévenu, en tant que ministre de la Défense entre 1991 et 1993. L’audition a porté sur son rôle au sein de l’Armée populaire nationale (ANP), celui du Haut comité d’Etat (HCE) et diverses questions liées à la situation sécuritaire en cette période douloureuse qu’a traversée l’Algérie. En voici quelques bribes du procès-verbal de l’audition
A PROPOS DE LA DÉCENNIE TERRORISTE
Toute guerre civile est une sale guerre. Il y a des dépassements partout, c’est sûr. Beaucoup de civils sont morts pour rien. Cette guerre s’est déclenchée, car le FIS, à l’époque, voulait le pouvoir, quitte à utiliser la violence. Il y·a eu un premier tour d’élections où le FIS, arrivé avec 26% des suffrages, a eu la majorité des sièges.
Suite à cela, il y a eu la démission du Président. S’est posé le problème de savoir s’il fallait laisser le processus électoral continuer, auquel cas le pays serait allé vers la catastrophe, ou s’il fallait intervenir. Il y a eu arrêt du processus électoral de la part du Conseil de sécurité nationale ; c’était pour nous une réponse politique, alors que le FIS s’est lancé dans une guerre civile. Il y avait des attentats, c’était le chaos total.
La violence a commencé avant, le FIS voulait la majorité alors qu’il n’avait eu que 21% des voix. C’était début 1992. Il y avait de la violence quotidienne, des menaces ; les gens invoquaient la charia en tant que Constitution. Le FIS voulait changer la manière de se nourrir et de se vêtir. Le FIS était, en fait, un parti totalitaire qui voulait gouverner par la loi islamique.
A PROPOS DU FIS DISSOUS
C’était un parti totalitaire qui prônait une loi que j’abhorrais. Je ne suis pas un éradicateur. Je ne partageais pas leurs opinions et leur manière de voir les choses, leur façon d’associer l’Islam à la politique. Sur cette question, je n’étais pas un militant politique, si ce n’est qu’avant 1989, j’étais membre du FLN, parce que nous étions encore sous le régime révolutionnaire. Lorsqu’il y a eu la Constitution de 1989, qui prônait le multipartisme, l’armée s’est retirée du FLN. Dès ce moment, je n’étais plus catalogué politiquement, mais en tant que citoyen algérien je n’appréciais pas la manière de voir du FIS.
A PROPOS DU RÔLE DE L’ARMÉE EN 1991-1992
Dans une situation de subversion, l’armée a été appelée par le HCE, comme les autres services de sécurité, à participer à la contre-subversion, soit à la lutte antiterroriste. Sur cette question, l’armée m’était hiérarchiquement subordonnée. L’engagement de l’armée était décidé au niveau du HCE. Il a été décidé de créer des camps d’éloignement sous tutelle de la justice, dont certains étaient gérés par l’armée. Il devait y avoir quatre ou cinq camps. Pendant une période, ces gens étaient éloignés parce qu’ils créaient de l’insécurité.
Les services de sécurité ou les enquêtes judiciaires déterminaient qui devait être éloigné. L’armée dans certains cas a été appelée à la rescousse, sinon ce n’est pas un service de police. Elle apportait son aide. Les gens mis dans les camps étaient arrêtés dans les rues.
C’était la justice qui décidait systématiquement qui devait être placé en détention. Il s’agissait d’une justice nationale. Les juges dépendaient de tribunaux nationaux de première instance (…). Pour vous donner un exemple, un ancien militaire ayant commis des dépassements est seulement récemment sorti de prison.
On peut comprendre ces dépassements, mais il faut quand même prendre des mesures. On veut faire croire que c’était les autorités qui étaient responsables. S’il y a eu des dépassements de la part des autorités, ça ne pouvait être que des dépassements d’individus isolés qui, une fois portés à la connaissance de l’autorité, étaient sanctionnés.
Tous les autres carnages sont le fait d’éléments du FIS qui, eux, ne sont pas sanctionnés. J’ajoute même qu’un de ces éléments se trouve en Suisse, à savoir M. Aït Ahmed. J’ajoute que pendant la période difficile (les années 1990), j’ai été agressé à l’aéroport de Genève par un élément du FIS.
Lakhdari Brahim