Le Brésil se prépare à trois semaines mouvementées avant un duel lors du deuxième tour de la présidentielle qui s’annonce incertain entre le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro en position de force et le poulain de Lula.
Le député nostalgique de la dictature militaire et coutumier des dérapages racistes et homophobes s’est largement qualifié dimanche avec 46% des suffrages, obtenant près de 50 millions de voix. Dans sa première interview télévisée depuis l’annonce des résultats, Jair Bolsonaro a assuré lundi soir sur TV Globo, la plus grande chaîne du pays, qu’il resterait «esclave de la Constitution» brésilienne, promettant de gouverner «avec autorité, sans autoritarisme». Interrogé sur la même chaîne, son adversaire Fernando Haddad, candidat du Parti des travailleurs (PT), arrivé en deuxième position avec 29% des voix, a insisté sur «le futur de la démocratie». «Le futur de notre pays est en jeu. Le futur de la démocratie est en jeu. Le futur de vos droits est en jeu», a martelé le successeur de Luiz Inacio Lula da Silva qui, fait rare lors d’une intervention publique, n’a pas cité le nom de l’ex-président incarcéré qu’il a remplacé au pied levé. Le gros score de Jair Bolsonaro a été salué dès lundi par les marchés: l’indice Ibovespa de la Bourse de Sao Paulo a bondi de 4,57% à la clôture et le réal brésilien, en fort recul ces derniers mois, était coté à 3,76 réais pour un dollar, contre 4,20 il y a deux semaines. La nette victoire du candidat d’extrême droite s’est assortie d’un raz-de-marée au Congrès. Sa formation, le Parti social libéral, auparavant insignifiante, a multiplié par six le nombre de ses députés à l’issue de l’élection législative, qui a également eu lieu dimanche. Une performance à la mesure du phénomène électoral que Bolsonaro est devenu ces dernières semaines après avoir été victime d’un attentat à l’arme blanche qui a failli lui coûter la vie. L’ancien parachutiste de l’armée n’a toutefois pas été élu président au premier tour comme il l’espérait tout en dénonçant des «problèmes dans les urnes». La cheffe de la mission d’observation électorale de l’Organisation des Etats Américains (OEA), Laura Chinchilla, a admis lundi avoir enregistré certaines irrégularités lors du premier tour de scrutin la veille, mais «aucune donnée sérieuse suggérant des irrégularités d’une échelle pouvant altérer le résultat du scrutin».
«Appui des lobbys conservateurs»
Jair Bolsonaro se retrouvera le 28 octobre Fernando Haddad dans un duel tendu et symptomatique de l’extrême polarisation que cette campagne a mise au jour. Les deux candidats ont fait la course en tête dans les sondages ces dernières semaines en semant leurs 11 concurrents, pour se retrouver dans un face à face des extrêmes. Mais M. Haddad, qui a obtenu le score le plus bas du PT au premier tour d’une présidentielle depuis 1994, va devoir mettre les bouchées doubles. «Bolsonaro surfe sur la vague conservatrice», titrait lundi en une le quotidien économique Valor, rappelant que le nombre de députés du PSL est passé de 8 à 52, sur 513 au total. Le parti sera aussi représenté à la chambre haute, avec 4 sénateurs sur 81, contre aucun actuellement. Mais pour former sa base parlementaire, il compte surtout sur l’appui de puissants lobbys conservateurs, notamment ceux de l’agro-business et des puissantes Eglises évangéliques.
Séduire le centre
Pour le second tour, Jair Bolsonaro et Fernando Haddad devraient essayer d’être plus consensuels en nouant des alliances vers le centre, très convoité. Dans sa campagne, «Haddad a beaucoup oublié le centre», dit André César, des consultants Hold à Brasilia. Lundi, le candidat de gauche a tenté de rectifier le tir en tendant notamment la main à Ciro Gomes (centre gauche), arrivé en troisième position du premier tour, avec 12,5% des suffrages. «Nous allons parler avec toutes les forces démocratiques du pays», a-t-il affirmé en sortant de sa visite hebdomadaire à son mentor Lula dans la prison ou l’ex-président purge une peine de 12 ans et un mois pour corruption. «J’ai parlé au téléphone hier avec Ciro et nous sommes totalement disposés à ajuster des points de notre programme pour qu’il soit plus représentatif de l’alliance démocratique que nous souhaitons nouer», a ajouté le candidat du PT. Pour Fernando Meireiles, politologue à l’Université fédérale de Minas Gerais, «la possibilité que Bolsonaro gagne paraît la plus forte actuellement». «Il me semble difficile que Haddad l’emporte, mais ce n’est pas impossible», dit-il toutefois. «Pour Bolsonaro, il est primordial d’éviter tout type d’erreur. Il doit garder un profil bas», ajoute-t-il.