Bras de fer entre l’armée et les frères Musulmans,L’Egypte à feu et à sang

Bras de fer entre l’armée et les frères Musulmans,L’Egypte à feu et à sang

Le pays des pharaons sombre dans le chaos

Des centaines de morts; un millier pour les frères musulmans et près de 300 selon la presse. C’est le bilan d’une journée sanglante au Caire et dans les principales villes d’Egypte.

L’Egypte s’est réveillée hier avec l’odeur du sang et des cadavres. L’intervention de la police pour disperser les partisans du président islamiste déchu, Mohamed Morsi, a tourné au drame. On déplore plusieurs dizaines de victimes. Un bilan provisoire indiquait hier 300 morts, alors que de leur côté les frères musulmans font état d’un millier de morts.

Après avoir menacé à maintes reprises d’intervenir pour déloger ces rassemblements que la justice égyptienne a qualifié d’illégaux, la police est passée à l’action hier aux alentours de 6h du matin. L’opération a été lancée peu après l’aube, surprenant tout le monde. La police et l’armée ont enfoncé rapidement les barricades édifiées sur la place Nahda et les hélicoptères ont vrombi dès l’aube au-dessus des manifestants, tandis que les forces de l’ordre arrosaient la place de grenades lacrymogènes.

Ils avançaient sur les places Rabaa al-Adawiya et Nahda, où des milliers d’islamistes se sont barricadés depuis un mois et demi avec femmes et enfants pour réclamer le retour de M.Morsi, destitué et arrêté par l’armée, le 3 juillet. La concentration des gaz a fait fuir des dizaines de femmes entièrement voilées, certaines avec des masques de chirurgien collés sur le nez, tirant par la main des enfants aux yeux rougis par les larmes.

Des images de télévision montraient des bulldozers enfoncer des barrières de fortune de ces deux places faites de pavés et de sacs de sable. Sur ces barricades, des hommes casqués font face à la police et à l’armée qui progressaient au milieu d’un ballet d’ambulances.

Les grenades lacrymogènes pleuvaient sans discontinuer et les rafales assourdissantes d’armes automatiques le disputaient aux «Allahou Akbar» des islamistes crachés par les haut-parleurs de la tribune voisine. Des affrontements sanglants avaient alors commencé entre la police et les manifestants. Pierres, lance-pierres, cocktails molotov, tout est bon pour essayer de retarder l’assaut final et protéger le coeur de la contestation: la mosquée Rabaa al-Adawiya, servant de QG et de centre de presse aux responsables des Frères musulmans qui n’avaient pas encore été interpellés, mais sont sous le coup d’un mandat d’arrêt. Quelques hommes font également face, armés de fusils d’assaut, accréditant la thèse du gouvernement selon laquelle des terroristes pro-Morsi ont stocké des armes sur les places Rabaa al-Adawiya et Nahda. Le gouvernement, la majorité de la population et la presse quasi unanimes accusaient les Frères musulmans d’être des «terroristes» ayant stocké des armes automatiques sur les deux places et de se servir des femmes et des enfants comme «boucliers humains». «De toute façon, on va mourir!», lance l’un d’eux au milieu des tirs de snipers les visant depuis les balcons d’immeubles résidentiels qui ceignent la place Rabaa. Une heure à peine après l’assaut, le ministère de l’Intérieur annonçait triomphalement que la place Nahda était «totalement sous le contrôle» des forces de l’ordre, offrant aux caméras un champ de bataille désert. Mais les manifestants de Rabaa al-Adawiya tenaient encore le réduit autour de la mosquée, à la mi-journée.

Al Azhar se désolidarise de l’opération policière!

L’Egypte est plongée dans la violence! Au fil du temps, les victimes commencent à s’accumuler. Des traînées de sang conduisent à la morgue improvisée sous une tente près du QG des manifestants pro-Morsi, place Rabaa al-Adawiya, raconte un journaliste de l’AFP, présent sur place.

Là, sont déposés les cadavres de même que sont soignés les blessés. On parle d’un véritable massacre. Les «chargés de communication» de l’Alliance anti-coup d’Etat retranchés dans la mosquée Rabaa al-Adawiya, parlent de plus de 2200 morts et 10.000 blessés. Alors que le gouvernement évoque une vingtaine de blessés chez les islamistes et deux victimes chez les forces de l’ordre. Parmi les victimes, un caméraman de Sky News qui a été tué par balles. On cite aussi la fille âgée de 17 ans d’un des principaux leaders des Frères musulmans, dont est issu le président déchu Mohamed Morsi, qui a aussi été tuée par balles. Asmaa al-Beltagui, dont le père Mohammed al-Beltagui est l’un des rares chefs de l’influente confrérie à n’avoir pas encore été arrêté, a reçu une balle dans la poitrine et une dans le dos lors de l’assaut de la police contre Rabaa al-Adawiya occupée depuis le 3 juillet par les manifestants islamistes, ont fait savoir les Frères musulmans. L’issue sanglante de cet assaut a vu la réaction, notamment de l’Institut d’Al Azhar qui s’est désolidarisé de l’action de la police contre les manifestants. Les Frères musulmans ont appelé «les Egyptiens à descendre dans la rue pour arrêter le massacre». «Ce n’est pas une tentative de dispersion, mais une tentative d’écraser d’une façon sanglante toute voix opposée au coup d’Etat militaire», a dénoncé Gehad el-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, sur Twitter. En représailles à la dispersion, des islamistes bloquaient des axes du Caire en incendiant des pneus pour tenter de paralyser le pays. Des heurts avaient lieu dans différents quartiers du Caire et ont fait plusieurs morts dans d’autres villes du pays.

A Alexandrie, la deuxième ville du pays dans le Nord, des échanges de tirs nourris à l’arme automatique avaient lieu. Dans les provinces d’el-Menia et de Sohag (centre), des pro-Morsi ont incendié des églises de la communauté copte, dont le patriarche avait lui aussi soutenu la décision de l’armée de destituer M. Morsi, toujours retenu au secret.

Pour éviter la propagation de ces manifestations vers les autres ville du pays, les trains entrant et sortant du Caire ont été bloqués. Face à la situation qui menaçait d’empirer, les autorités provisoires égyptiennes ont décrété l’état d’urgence pour un mois.

Le gouvernement égyptien a egalement instauré le couvre-feux au Caire et dans 11 autres provinces du pays, «Après que la présidence a annoncé l’état d’urgence, des couvre-feux seront imposés de 19h00 (17h00 GMT) à 06h00 (04h00 GMT) jusqu’à nouvel ordre», a indiqué un porte-parole du gouvernement.

La veille de cet assaut, de violents affrontements ont mis aux prises pro et anti-Morsi qui avaient induit la mort d’une personne au Caire. Avant l’assaut d’hier, les violences entre pro et anti-Morsi et entre pro-Morsi et forces de l’ordre avaient déjà fait plus de 250 morts depuis le 30 juin, essentiellement des manifestants islamistes.

Mohamed El Baradei démissionne

Le vice-président égyptien, le prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei, a annoncé avoir présenté sa démission au président par intérim, après l’intervention des forces de l’ordre pour déloger les manifestants islamistes pro-Morsi de deux places du Caire. «Il m’est devenu difficile de continuer à assumer la responsabilité de décisions avec lesquelles je ne suis pas d’accord», écrit-il notamment dans sa lettre au président Adly Mansour.