Brahim Guendouzi, économiste et consultant: “Le dilemme est de réformer sans rompre le fragile équilibre social”

Brahim Guendouzi, économiste et consultant: “Le dilemme est de réformer sans rompre le fragile équilibre social”

Liberté : Dans sa dernière analyse de l’économie algérienne, le FMI avait prévu, à l’issue des consultations de ses experts avec les autorités algériennes, un retour à l’assainissement des finances publiques et à l’ajustement budgétaire dès 2019. Qu’est-ce que cela peut-il signifier ?

Brahim Guendouzi : Les dernières recommandations du FMI sur l’économie algérienne après les consultations annuelles au titre de l’article IV de ses statuts préconisent un ajustement à partir de la politique budgétaire, ainsi qu’une plus grande flexibilité du taux de change pour éliminer la surévaluation, et ainsi rééquilibrer l’économie à moyen terme. Cependant, le manque flagrant de diversification de l’économie nationale fait que la commande publique reste encore le moteur de la croissance économique.

D’où, justement, la problématique des réformes touchant aussi bien les dépenses que les recettes à travers le système fiscal. Les pouvoirs publics doivent faire évoluer le système actuel vers celui de budget de programmes et de performance, comme c’est le cas dans la plupart des pays à travers le monde. Le moment est venu pour l’adoption d’un budget à partir de programmes bien définis sur une vision de moyen terme avec des ressources financières clairement affectées et surtout dont les résultats seront évalués par des critères de performance préalablement établis.

Cela suppose évidemment des réformes structurelles dont le pilotage tarde à venir.

L’une des réformes défendue à cor et à cri par les experts de Washington porte sur les subventions généralisées qui grèvent la trésorerie de l’État. Pensiez-vous que le gouvernement allait reprendre ce chantier qu’il avait mis en veille pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, faute de volonté politique ?

La question des subventions est actuellement au centre des préoccupations dans la politique budgétaire. Pour lever toute équivoque, il y a lieu de distinguer avec les transferts sociaux qui concernent toutes les aides accordées par l’État, y compris les multiples subventions accordées aux consommateurs et aussi aux producteurs. Les transferts sociaux existent dans tous les pays et visent essentiellement à lutter contre les inégalités sociales et à protéger les catégories les plus démunies. Dans la loi de finances complémentaire 2019, ils représentent 1 772 milliards de dinars, soit 8,2% du PIB. C’est un effort considérable accordé par l’État, mais dont la logique d’ensemble pose problème.

Les catégories concernées par ces transferts sont le logement (avec différents types d’aides), la santé (système de soins et médicaments), le soutien des prix directs, l’éducation, les familles et les retraites. Il y a, par ailleurs, les transferts non budgétisés appelés subventions implicites, car n’apparaissant pas directement dans les dépenses publiques. Il s’agit, essentiellement, des subventions des prix des produits énergétiques (essence, gasoil, gaz butane) et des exonérations fiscales. Le dilemme pour le gouvernement aujourd’hui est de réformer tout ce dispositif, mais avec quelle démarche et à quelle vitesse pour ne pas rompre le fragile équilibre social qui caractérise actuellement la société algérienne ?

Dans la réforme des subventions, pensez-vous qu’il y a véritablement un moyen de faire des économies et quels sont les postes sur lesquels un coup de rabot serait possible ?

Les subventions implicites touchant les prix des produits énergétiques par exemple constituent un objectif dans la mesure où la rationalisation de la consommation de l’énergie devient indispensable. La révision des subventions à la production peut constituer aussi un autre levier de réforme. Des financements alternatifs peuvent se substituer au profit de la politique actuelle du logement et du système de santé. S’agissant des prix à la consommation des produits de première nécessité (farine, semoule, lait), la prudence est de mise eu égard au degré de sensibilité auprès de l’opinion publique nationale.

L’État injecte des milliards de dinars pour construire des logements sociaux qu’ils cèdent gratuitement, des milliards de dollars dans le soutien aux importations des céréales et de la poudre de lait, d’autres milliards dans le soutien fiscal à des produits importés, etc. N’est-ce pas là le côté perverti des subventions qui fait perdre à l’État des milliards de dollars au nom de la paix sociale ?  

faut faire la part des choses. Les transferts sociaux s’imposent partout, en Algérie ou ailleurs, car il y va de la cohésion sociale et de l’évolution des rapports de force dans la société. Maintenant, il existe des vicissitudes occasionnées par les pratiques de certains acteurs et que, par ailleurs, les institutions en place n’arrivent pas toujours à endiguer les effets pervers dès lors que nous sommes encore en présence d’une économie de rente (syndrome hollandais !).

À force de colmater des brèches à l’occasion des différentes difficultés financières en raison du retournement des prix du pétrole sur les marchés internationaux, on est arrivé à bâtir un système économique dont la régulation ne peut donner que ce que l’on a actuellement. Vouloir même le réformer, on n’arrive pas à trouver les mécanismes qui conviennent.

L’action future et aussi un grand défi consistent à bâtir une économie productive reposant essentiellement sur la richesse que créent les entreprises et dont l’acte d’investir devient le leitmotiv de l’Algérie entière.