«J’ai dépanné l’EN comme arrière droit et cela m’a desservi» > «Sans Bougherra et Halliche, le groupe n’était pas inquiet» > «Aucun public devant lequel j’ai eu l’occasion d’évoluer n’arrive à la cheville du kop algérien» > «Jamais je n’oublierai le MCA»
Le défenseur international algérien des Heart of Midlothian, Ismaël Bouzid débute cette année 2011 comme il a terminé la précédente, c’est-à-dire en trombe. Après de multiples pépins physiques contractés toujours au mauvais moment et qui lui avaient un peu «plombé» sa carrière, ses récentes prestations lors des 30 matchs de cette saison qu’il a disputés, notamment face aux Glasgow Rangers et au Celtic, nous indiquent que l’ancien Mouloudéen est bel et bien de retour.
«Bouzid the Warrior», comme l’appellent ses supporters du stade de Tynecastle Park, est prêt pour le combat et son récent sans faute face au Maroc nous indique que l’équipe nationale devra sans nul doute compter sur lui pour essayer de décrocher le graal que serait une place à la prochaine CAN 2012. Ismaël Bouzid ne nous a pas accordé une interview comme nous avons l’habitude d’en lire dans la presse sportive, mais ce qu’on appelle communément une «discussion au coin du feu» où il révèle des facettes de sa personnalité.
– Ismaël, on a envie de vous dire félicitations pour la victoire de l’Algérie face au Maroc. A froid, quelle est votre analyse de ce match ?

– Les premiers mots qui me viennent à l’esprit, ce sont «satisfaction du devoir accompli». Nous avions en quelque sorte, même si ce n’est que du sport, une mission pour notre pays, qui était de répondre aux attentes de victoire de notre peuple et, grâce à Dieu, nous n’avons pas failli.
Maintenant, concernant le volet purement sportif, cette victoire nous a permis de nous remettre dans le droit chemin dans ces éliminatoires, de recoller au peloton si j’ose dire et de remettre tous les compteurs à égalité, c’est-à-dire quatre points qui nous permettent à nouveau de rêver de qualification. Nous n’avions pas droit à l’erreur sur ce match et el hamdoulillah, ça s’est bien passé. Maintenant, cette victoire, il faut l’oublier très vite, rester humble et se remettre chacun au travail, individuellement dans son club pour être fin prêt à la prochaine échéance, incha Allah.
– Avec toute l’attention qu’avaient focalisée sur eux, les 7 titulaires habituels des Verts qui allaient manquer ce derby face au Maroc, la victoire de cette EN inédite n’est-elle pas «la révolte du banc» ?
– Je ne peux pas parler au nom de mes camarades, mais en ce qui me concerne, j’ai toujours été frustré en équipe nationale, car je n’ai jamais eu l’occasion de jouer à mon poste. Je ne le regrette pas, car en équipe nationale, contrairement à un club, on doit servir son pays et dépanner l’équipe quel que soit le poste qu’on vous propose. Cela a été un grand honneur pour moi d’avoir joué pour mon pays arrière droit pour dépanner, mais j’ai été jugé sur un poste qui n’était pas le mien et j’en garde une certaine amertume, car quelque part cela m’a desservi alors que j’étais au service du coach et du collectif. Pour la première fois face au Maroc, j’ai eu l’occasion et la chance d’évoluer à mon vrai poste, celui de défenseur central. Cela a décuplé mes forces, car je voulais que le peuple algérien me voit briller dans la charnière centrale.
– Même s’il y a beaucoup de choses à améliorer au sein de l’EN, on peut dire à l’issue de ce match, qu’avec cette profondeur de banc, la défense s’en sort renforcée ?
– C’est vrai que les absences de Madjid Bougherra et de Rafik Halliche ont permis au grand public de s’apercevoir que l’Algérie possédait d’autres défenseurs centraux de talent. Mais hormis les médias et le grand public, le groupe n’était pas inquiet, car dès les premiers entraînements, lorsqu’on a pressenti que Madjid Bougherra ne pourrait pas jouer, le sélectionneur national Abdelhak Benchikha nous a dit qu’il n’était pas inquiet, car dans le groupe, il y avait du monde et de la qualité à ce poste ce qui nous a mis en confiance très tôt dans le stage et nous a permis de travailler dans la sérénité.
– Justement, puisque vous abordez le sujet, quelle impression vous a laissé le sélectionneur national ?
– Je peux facilement vous donner mes impressions, car étant «le petit nouveau», c’était la première fois que je le rencontrais en personne. J’ai rencontré un homme qui m’a tout de suite mis à l’aise en me disant : «Bienvenue dans ton pays». Entre nous, il ya tout de suite eu un bon feeling, j’ai senti tout de suite que c’était un homme qui connaissait son métier et qui avait le sens des valeurs et de la responsabilité. En tout cas, la première impression a été positive et elle a donné le ton de cette semaine. Abdelhak Benchikha a toutes les qualités et les compétences à ce poste. Il a tout compris au football africain d’aujourd’hui.
– Lors du match face au Maroc, contrairement aux Verts, on a senti le Maroc céder à la pression de l’enjeu et du public. Comment avez-vous fait pour ne pas exploser ?
– En fait, la pression du public et de l’enjeu, c’est un facteur de match comme un autre, il se gère. Même si notre public est unique au monde, et je sais de quoi je parle puisque j’ai joué deux saisons en Turquie. Aucun public devant lequel j’ai eu l’occasion d’évoluer, n’arrive à la cheville du public algérien, que ce soit le public d’une équipe nationale ou d’un club. Je regardais le reportage que Canal Plus a consacré au match et lorsqu’ils ont dit qu’à 13h, le stade était déjà plein alors que le match ne débutait qu’à 21h, j’ai eu des frissons. Moi, cette pression du public, je l’ai apprivoisée lorsque je jouais au Mouloudia d’Alger, lorsque nous jouions au stade du 5-Juillet à guichets fermés et que les Chnaoua mettaient le feu.
Cette pression du public ne m’inhibe pas, au contraire, elle me transcende et je ne ressens plus ni la fatigue, ni les coups. Concernant la pression engendrée par l’enjeu du match et le caractère derby, nous ne l’avons pas ressentie, car nous avons été préservés par l’intelligence du coach Benchikha qui a endossé toute la responsabilité et la pression du match sur ses épaules, se mettant volontairement en avant pour «encaisser» les reproches ou le stress à notre place. Certains pensent qu’il aime se mettre en avant, qu’il se livre trop à la presse, mais c’est faux. Il a, au contraire, la tête sur les épaules et connaît bien son métier. La preuve, il a su que ce match Algérie-Maroc allait se jouer dans les têtes et a aspiré toute la pression pour nous permettre de rester sereins jusqu’au jour du match. Cela a été une des clés de notre réussite.
– Vous qui avez joué en Europe, mais aussi dans le championnat national, que vous inspire la querelle «joueurs pros contre joueurs locaux» ?
– Je vous répondrais que ce débat n’a pas lieu d’être, car c’est une querelle complètement obsolète dans le monde d’aujourd’hui. Je peux d’autant plus facilement le dire que j’ai eu la chance d’évoluer au Mouloudia d’Alger et aussi en Europe. Il y a de grands joueurs algériens qui évoluent en Europe et c’est une chance pour notre pays, l’Algérie. A côté de cela, nous avons aussi de grands joueurs en Algérie qui évoluent dans le championnat national et qui font de très bonnes prestations dans les coupes d’Afrique des clubs. La finalité, c’est d’avoir 23 joueurs algériens les plus en forme du moment quel que soit leur club pour honorer l’Algérie et faire gagner le pays. Nous avons la chance d’avoir un sélectionneur national qui est aussi l’entraîneur des A’, qui connaît les joueurs locaux sur le bout des doigts, en plus des expatriés qui sont beaucoup plus médiatisés et qui est le plus à même de faire une liste objective, sans polémique aucune. Pour résumer, avec ce système-là, tout le monde peut avoir sa chance.
– On vous sent vraiment à l’aise en Ecosse.
– Honnêtement, j’y suis bien. Je suis en Ecosse et dans le même club depuis deux ans. Ce passage à Heart m’a permis de me stabiliser un peu dans un club. En plus, pour Heart, ça marche fort cette année, nous sommes troisièmes et nous sommes la seule équipe qui titille vraiment les deux grandes équipes de Glasgow. J’ai fait une saison pleine puisque j’ai déjà joué trente matches. De plus, si en fin de saison, nous accrochons l’Europa League, le club pourra dire : objectif atteint.
– Vous avez encore de belles années footballistiques devant vous, mais ayant déjà beaucoup voyagé durant votre carrière, quel est le top 3 des clubs dans lesquels vous avez joué ?
– C’est vrai que les aléas de ma carrière et du football professionnel ont fait que j’ai beaucoup voyagé durant ma carrière entre la France, l’Algérie, l’Allemagne, la Turquie et l’Ecosse. Dans chacun de ses championnats, j’ai appris quelque chose et vécu de grandes aventures. Toutefois, comme vous me demandez le top 3, je veux bien m’exécuter :
> En 1, je vous répondrai sans aucune hésitation, le Mouloudia Club d’Alger. C’est le club qui m’a le plus marqué et que je n’oublierai jamais jusqu’à la fin de ma vie. Je n’avais que 22 ans, j’étais jeune et j’ai débarqué dans un club hors normes avec une ferveur hors du commun, des Chnaoua qui n’existent dans aucun autre pays au monde. Je n’oublierai jamais mon premier match et surtout mon premier but avec le MCA. Rien que d’en parler, j’en ai des frissons. Le match avait lieu en plein Ramadhan, c’était le derby de la capitale face à l’USM Alger, dans un stade du 5-Juillet chauffé à blanc par 80.000 supporters des deux équipes en furie. Non seulement, j’ai joué ce match, mais j’ai marqué l’unique but de la partie et le MCA s’est imposé 1 but à 0.
> En 2, je dirai Kaiserslautern, qui marquait mon retour en Europe par la grande porte, dans un grand club au passé prestigieux, un transfert qui récompensait notre belle saison avec le MCA. Nous avions débarqué Nono (Nouredine Daham) et moi sans faire de bruit, mais très vite, nous nous sommes imposés. J’ai très vite pris la place de l’Allemand dont je devais être la doublure et j’y ai fait une de mes saisons les plus abouties.
> En 3, enfin, je dirai Galatasaray, le très grand club turc et européen qui m’avait recruté après m’avoir supervisé plusieurs fois en Allemagne avec Kaiserslautern. J’ai découvert à Galatasaray, le haut niveau européen, j’ai joué la coupe de l’UEFA, j’y ai même marqué un but et nous avons été champions de Turquie. Malgré la présence de la star de l’équipe nationale de Turquie, Servet, j’ai pu avoir un temps de jeu honnête et savourer ce titre à part entière.
– Maintenant Ismaël, on va parler un peu plus personnellement de vous. Après la victoire face au Maroc, votre première pensée fut pour votre grand-père. On vous a senti vraiment très ému. Pouvez-vous nous en parler ?
– C’est très simple. Je reviens en équipe nationale après une longue traversée du désert. Le mektoub a fait que je me retrouve avec le maillot aux couleurs de mon pays, titulaire, et face à nos voisins marocains dans un match capital. Dès le coup de sifflet final, voyant le peuple algérien exulter, et les milliers de drapeaux s’agiter, j’ai eu une pensée pour mon grand-père, Allah yarahmou, mort au champ d’honneur durant la guerre de libération. Pour le petit-fils de chahid que je suis, avoir rendu service à mon pays, même si ce n’est que du football, m’a immédiatement fait penser à mon grand-père.
– C’est en quelque sorte le retour par la grande porte après une traversée du désert.
– Vous savez, le croyant que je suis ne peut pas parler de traversée du désert. Je vous dirai que c’est le mektoub tout simplement. Quoi qu’il vous arrive dans la vie, positif comme négatif, il faut toujours s’en remettre à Dieu. Il faut continuer à travailler sans relâche, garder sa place propre, avoir une bonne hygiène de vie et accepter son destin. Moi, j’étais en équipe nationale en 2007, puis lorsqu’on n’a plus fait appel à moi, j’ai continué d’y croire, je n’ai jamais abandonné ni rien lâché et mon mektoub a fini par arriver puisque Abdelhak Benchikha m’a sélectionné, m’a fait jouer à mon poste et m’a mis titulaire. Cette marque de confiance, après plus de trois ans d’absence, m’a boosté et m’a fait entrer au stade d’Annaba comme un affamé ne serait-ce que pour remercier le coach de m’avoir fait confiance et pour lui donner raison de m’avoir aligné. J’ai tout donné sur le terrain pour Benchikha. El-hamdoullah, je pense avoir fait un match honorable et avoir fait mon travail.
– Le Ismaël Bouzid 2011 semble plus rugueux dans son jeu que par le passé. Est-ce l’Ecosse qui vous a forgé ce caractère de battant ?
– Non, non pas l’Ecosse, je dirai que ce sont toutes les galères cumulées que j’ai subies dans ma vie qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui et qui ont forgé mon caractère. Je n’aime pas trop m’épancher sur ma vie, mais ma carrière a été sabotée par les blessures à tel point qu’on m’a conseillé plusieurs fois d’arrêter, que ma carrière ne s’en relèverait pas, je me suis toujours battu et j’ai toujours réussi à revenir grâce à Dieu et à la volonté. A 17 ans, je remporte avec la génération dorée du FC Metz, le doublé historique coupe Gambardella et championnat.
Ma carrière démarrait de la meilleure des manières et l’année suivante, j’intégrais le groupe professionnel. Au moment où tout allait commencer, j’ai ressenti des douleurs atroces au dos, au point de subir une opération de la colonne vertébrale qui m’a éloigné des terrains de longs mois et m’a fait perdre ma place au club. Une fois rétabli, je traversais la frontière et signait dans un club allemand où tout se passait bien. Dès que les choses commençaient à bien tourner pour moi, je me suis fracturé le bras gauche et on a dû me mettre 8 vis, autant dire que ma carrière dans ce club s’arrêtait là. Ensuite, mon passage au MCA à 22 ans qui a bien commencé, mais le jeune inexpérimenté que j’étais n’a pas résisté à l’instabilité chronique qui régnait au Doyen. Je ne vous parle même pas de Kaiserslautern qui voulait que mon remplaçant allemand touche le double du salaire que moi le titulaire percevait. Tout cela forge le caractère, je vous assure. Moi, je suis un battant et je ne lâche pas l’affaire, sinon je ne serai pas là où je suis aujourd’hui.
– Comment voyez-vous la suite des éliminatoires de la CAN 2012 ?
– Je les vois de manière très simple. Certes, nous avons gagné, il y a deux semaines, mais malheureusement c’est du passé. Le football ne s’occupe pas du passé, il ne s’occupe que du présent et du futur. Ce match nous devons donc l’oublier, rester humble, ne pas s’enflammer et retourner dans son club travailler chacun individuellement de son côté pour arriver inchallah au top de sa forme à la prochaine échéance.
– Un dernier mot pour le peuple algérien et vos fans ?
– C’est à chaque fois un énorme bonheur de retrouver l’Algérie, le public algérien est unique, surtout pour moi dont c’était la première à Annaba. Je remercie le peuple algérien pour le soutien qu’il nous a apporté et sa présence que nous avons sentie de notre arrivée jusqu’à notre départ.