Le chef de l’État, qui a fait de sa présidence une affaire de famille et de réseaux d’intérêts, devait être réélu jeudi à la tête du pays pour la troisième fois.
Abdelaziz Bouteflika est prêt à rempiler. À 72 ans, l’ancien combattant de l’insurrection nationaliste, devenu ministre des Affaires étrangères à 28 ans puis président de la République à 62 ans, s’apprête à jouer les prolongations après un deuxième mandat placé sous le signe de la maladie et de l’argent.
La maladie d’abord, avec son hospitalisation au Val-de-Grâce à Paris en décembre 2005 pour un ulcère hémorragique. Le président frôle alors la mort. L’épreuve l’affecte. Sa pénible convalescence l’oblige à s’économiser. Son mysticisme s’accentue. Sa ferveur religieuse se traduit par le projet d’une mosquée pharaonique qui devrait devenir, si Dieu le veut et si le prix du baril de pétrole le permet, l’une des plus grandes du monde.
Sa famille et ses proches lui servent de carapace. L’homme à la vie privée aussi hermétique qu’un coffre-fort d’une banque suisse vénère sa mère toujours vivante. Son frère Mustapha est son médecin traitant. Saïd, le cadet de la fratrie, est son chef d’orchestre politique : il pilote sa communication, sert de relais lorsque la fatigue se fait sentir. Ses proches s’occupent de l’intendance : Noureddine Yazid Zerhouni tient la police, Chakib Khelil veille sur le pétrole et le gaz, son chef de protocole, son directeur de cabinet et son secrétaire particulier complètent l’équipe restreinte.
L’argent ensuite. Le retour à la stabilité après la guerre civile a ouvert l’Algérie et les pétrodollars de la manne des hydrocarbures à la mondialisation, sur fond de corruption. Une aubaine pour les milieux d’affaires algériens. Les hommes d’affaires se sont engouffrés dans le sillage de Moumen Khalifa, ce milliardaire sulfureux dont la faillite a viré au scandale au début des années 2000. Souvent associé à des membres de familles de militaires, le cercle des grands patrons prospère. Le Forum des chefs d’entreprise (FCE), le Medef local dirigé par Réda Hamiani, a ainsi largement contribué à la campagne électorale du président sortant. Une façon de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Le dernier grognard de la guerre d’indépendance
Autocrate, Abdelaziz Bouteflika tient les rênes du pays selon son bon vouloir. Ses relations complexes avec les militaires l’obligent certes à quelques compromis. Mais, pour le reste, le chef de l’État a les mains libres. Les courtisans du sérail se chargent de flatter son ego.
«Ces gens qui en réalité ne l’apprécient pas le couvrent de compliments. Bouteflika veut croire qu’il est un dirigeant hors du commun aimé de son peuple. Ses obligés sont là pour lui cacher la vérité», explique l’écrivain Boualem Sansal.
Abdelaziz Bouteflika est l’inverse d’un réformateur. Son objectif est de conserver en l’adaptant le système mis en place au lendemain de la guerre d’indépendance. Le modèle est usé à la corde ? Peu importe. L’essentiel est de durer.
Issu des rangs de l’Armée nationale de libération (ANL), il est le dernier acteur de l’ère de la décolonisation algérienne encore aux affaires. Sa carrière ministérielle commence à la Jeunesse et aux Sports en 1962. Passé aux Affaires étrangères, il fait d’Alger la capitale des révolutionnaires tiers-mondistes. Homme lige du président Houari Boumediene, il prononce son oraison funèbre en 1978. C’est son dernier discours. La disgrâce l’oblige à l’exil. En 1994, en pleine guerre civile à l’issue incertaine, les militaires lui proposent de revenir. Il refuse la présidence. L’offre est renouvelée en 1999. Il accepte. «C’est le moins mauvais des candidats», estime Khaled Nezzar, l’ex-chef des armées. Ses rivaux se retirent de la course présidentielle en dénonçant une mascarade. Petit à petit, il grignote les prérogatives des vieux généraux. Il est confortablement réélu en 2004, sans leur appui, sur base d’un pacte de non-agression passé avec le général Tewfik Mediene, le patron des services spéciaux. Pour ce drogué du pouvoir, un nouveau quinquennat est une nécessité.