Bouteflika, l’attentat contre l’église copte en Egypte et la dénonciation sélective du terrorisme

Bouteflika, l’attentat contre l’église copte en Egypte et la dénonciation sélective du terrorisme

Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a adressé dimanche 2 janvier un message de condoléances à son homologue égyptien, Hosni Moubarak, dans lequel il dénonce l’attentat qui a visé dans la nuit du vendredi 31 décembre une église copte d’Alexandrie. Au-delà du geste de sympathie, de compassion et de dénonciation, l’attitude de Bouteflika laisse perplexe. Que dit le message du président Bouteflika ?

« C’est avec une grande tristesse et une profonde affliction que j’ai appris la douloureuse nouvelle du crime terroriste qui a ciblé l’église des Saints (Al-Qiddissine) à Alexandrie faisant d’innocentes victimes parmi les citoyens égyptiens », écrit le chef de l’Etat algérien. « Je demeure convaincu que cet horrible acte criminel qui nous a tant peinés, le peuple algérien et moi-même, ne fera que renforcer la volonté du peuple égyptien et raffermir sa détermination à aller de l’avant, lui qui a toujours su faire preuve de solidarité dans les circonstances les plus éprouvantes », souligne-t-il encore.

Au-delà de son geste de sympathie, de compassion, de solidarité et de dénonciation, l’attitude du président Bouteflika laisse pantois. Elle laisse perplexe et pantois parce que le chef de l’Etat algérien a rarement fait preuve d’assaut de sympathie, de compassion et de dénonciation lorsque des attentats terroristes ciblent ses propres citoyens en Algérie.

On a rarement vu le président Bouteflika dénoncer les actes terroristes qui endeuillent l’Algérie depuis son arrivée au pouvoir en avril 1999. On l’a rarement vu rendre public un communiqué, une déclaration dans lesquels il exprimerait sa sympathie et sa compassion à l’égard des familles dont les proches ont été fauchés par des attaques terroristes. On a rarement vu Bouteflika se porter au chevet des victimes algériennes du terrorisme.

Oui, bien sûr, ici et là, on pourrait dire que ce nous disons n’est pas tout à fait vrai. On nous rétorquerait qu’on a vu Bouteflika à la télévision algérienne dans un hôpital rendant visite à un blessé. C’était le cas lors de l’attentat qui a visé son cortège le 6 septembre 2007 à Batna. Oui, ce jour-là, le président s’est rendu à l’hôpital, devant les caméras de la télévision nationale, pour réconforter une victime.

On pourrait aussi dire que le président ne peut pas condamner chaque acte terroriste qui se produit en Algérie, tant il est vrai qu’il s’en produit presque un tous les jours. On pourrait aussi dire que le président, le gouvernement, les partis politiques et les membres de la société civile ne peuvent pas consacrer tout leur temps à dénoncer les actes terroristes, à se porter au chevet des victimes, à faire preuve de compassion et de solidarité à l’égard des familles frappées par la perte de leurs proches. Les uns autant que les autres ne peuvent, diraient certains, passer leurs temps à dénoncer le terrorisme, à le condamner.

Pourtant, pourrions-nous rétorquer, au cours des années 1990, à l’époque où le pays était à feu et à sang, les Algériens se mobilisaient en masse pour combattre le terrorisme Au cours de ces années-là, au coeur même de cette barbarie, les Algériens organisaient des manifestations publiques à Alger et aux quatre coins du pays pour condamner le terrorisme. C’était une autre époque, certes.

Il n’empêche qu’à travers ce communiqué du dimanche 2 janvier 2010 dans lequel il dénonce un horrible acte criminel qui s’est produit en Egypte, le président Bouteflika fait preuve d’une dénonciation sélective du terrorisme. Autant, il se montre prompt à dénoncer les actes barbares dont sont victimes les autres peuples de la planète, autant il dénonce et condamne les kidnappings des étrangers par les groupes d’Al Qaïda au Maghreb ( AQMI ) ainsi que les paiements des rançons pour leur libération, autant il fait profil bas lors que ces actes de terrorisme et ces rapts concernent ses propres citoyens. Un exemple ?

Les Algériens n’ont pas entendu le président Bouteflika dénoncer et condamner les rapts qui ont visés des centaines d’Algériens enlevés et séquestrés par des terroristes avant d’être relâchés contre paiement de rançons. Le chef de l’Etat l’ignorait-il ?!

Pourtant, son ex-ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, annonçait dés le 15 mai 2007, devant les députés de l’Assemblée nationale, que pour l’année 2007, rien que pour cette année-là, les services du premier ministère avaient recensé 375 rapts qui ont rapporté à leurs auteurs plus de 80 millions d’euros. C’était en 2007. Depuis, le business a bien prospéré.

Bien sûr, on l’aura compris. Bouteflika ne peut pas condamner le terrorisme qui endeuille encore l’Algérie, il ne peut pas non plus manifester sa compassion et sa solidarité aux familles de victimes parce que, tout simplement, un tel geste de sa part équivaudrait à renier la quintessence de son programme politique, le cœur du cœur de sa doctrine politique, énoncés avant même son arrivée au pouvoir : la réconciliation nationale.

Moins d’une année après son accession à la présidence, Abdelaziz Bouteflika a décrété que la paix est revenue en Algérie. Sur la base d’un référendum populaire voté à la hussarde en septembre 2005, Bouteflika a décrété que les années de feu de sang qui ont traumatisé l’Algérie au cours de la décennie 1990 relèvent désormais d’une époque révolue.

Plus de dix ans après, Bouteflika martèle encore que le terrorisme a été vaincu, que la paix est revenue dans les chaumières d’Algérie. Alors oui, condamner des actes terroristes en Algérie reviendrait à renier se déjuger, à se renier.

Certes, le terrorisme a été vaincu militairement. Certes encore, et heureusement, dans l’Algérie de 2011, on n’enregistre pas une centaine de morts par semaine comme ce fut le cas en 1994 ou en 1995, mais il n’empêche pas que terrorisme continue d’endeuiller des familles en Algérie.

Il n’empêche pas que l’armée déploie des milliers de soldats pour traquer des groupuscules terroristes tapis dans des maquis en Kabylie ou dans le désert du Sahel. Il n’empêche pas qu’un cordon sécuritaire soit déployé autour de la grande capitale pour se prémunir du terrorisme. Il n’empêche pas que l’état d’urgence, mis en service depuis 1992, soit encore en vigueur en 2010 C’est-à-dire 18 ans après sa promulgation. Un peu moins qu’en Egypte, c’est vrai, où il est décrété depuis 1981.

Oui, il faut s’indigner, dénoncer et condamner l’attentat qui a visé une église copte d’Alexandrie. Oui, il faut se montrer solidaire de ces familles égyptiennes qui ont été endeuillées par cette barbarie. Oui, il faut faire preuve de fermeté à l’égard des terroristes, mais encore faudrait-il faire preuve du même élan d’indignation, de dénonciation, de condamnation quand de tels actes touchent les Algériens.