Contrairement à ses habitudes, c’est un président sur la défensive qui a présidé ce jeudi un conseil des ministres pour sauver les meubles. Il est vrai que la situation régionale inquiète les dirigeants algériens qui avouent, à demi-mot, qu’ils ne sont pas prémunis contre la contagion. Mais il est également vrai que la situation de l’Algérie diffère de celle qui prévaut en Tunisie ou en Égypte.
Le président Bouteflika a fait des annonces tendant à calmer le jeu. Il a dit avoir compris le message de ses détracteurs et a admis que les contestations exprimées jusque-là étaient légitimes. En présidant le conseil des ministres exceptionnel, le chef de l’État a apporté des réponses qui sont loin de constituer des solutions. Au-delà de l’effet d’annonce, les décisions prises ce jeudi sont destinées à absorber le malaise ambiant, sans pour autant s’attaquer au fond des problèmes posés.
L’annonce d’une levée de l’état d’urgence “dans un très proche avenir” semble, en apparence, répondre aux revendications de la classe politique et de la société civile qui la réclament depuis toujours. Mais en apparence seulement. Car, en réalité, rien n’indique qu’elle se fera dans l’immédiat.
L’exemple égyptien est, à ce titre, illustratif. Hosni Moubarak avait fait la même promesse il y a quatre ans ! En fait, si l’état d’urgence avait pour seul objectif de lutter efficacement contre le terrorisme, il a été utilisé pour justifier toutes les restrictions faites à l’expression politique et sociale dans le pays. Même si Bouteflika tente de dissocier les deux, la réalité est là : on ne peut pas s’exprimer pacifiquement en Algérie, lorsqu’on est contre le pouvoir.
Contrairement à ses habitudes, Abdelaziz Bouteflika a désavoué son ancien homme de confiance, Noureddine Yazid Zerhouni, même s’il a maintenu l’interdiction des marches à Alger. Une curieuse décision, sachant qu’Alger est la capitale de l’Algérie et que, de ce fait, tout le monde veut faire entendre sa voix dans la capitale de son pays où se trouvent la Présidence, les ministères et les centres de décision. Encore faut-il préciser la question de la légalité des partis et du mouvement associatif, sachant que des partis et des associations attendent, depuis des années, des agréments qui ne viennent toujours pas, alors que des opportunistes, sans foi ni loi, agissent en toute “légalité”. Le pouvoir avait, pourtant, bien toléré, des jours durant, des marches et autres manifestations grandioses à Alger et partout ailleurs, en pleine fièvre footballistique. L’ordre a été donné aux médias lourds de couvrir les partis légaux et des associations légales.
Le ministre de la communication l’avait annoncé bien avant lui. Mais la manœuvre n’a aucune chance d’être prise au sérieux. Bouteflika, qui avait annoncé, un jour, qu’il était le rédacteur en chef de l’APS, sans qu’aucun des responsables de cette agence ne bronche, ne semble pas déroger à la règle : les médias publics restent un outil de propagande du système. Le jour où on décidera d’ouvrir le champ audio-visuel, on pourrait, peut-être se mettre à espérer.
En attendant, force est de constater que les annonces faites pour répondre au malaise social ressemblent à de la poudre aux yeux. Que ce soit pour la poursuite du soutien au prix de première nécessité, ou celui d’abdiquer devant le diktat des trabendistes et des grossistes, ou que ce soit pour la poursuite de la politique de création d’emplois précaires ou, encore, pour ce qui est de la très litigieuse histoire de distribution de logements, Bouteflika a fait dans la fuite en avant, peut-être parce que pressé par les évènements en cours dans la région, ou peut-être, tout simplement, parce qu’il ne dispose pas d’autres solutions.
En tout état de cause, tout le monde admet que beaucoup de choses ont été faites durant le règne de Bouteflika. Ce dernier n’a, d’ailleurs, jamais raté l’occasion pour rappeler que ce qui a été réalisé durant la décennie précédente n’a jamais été fait depuis l’indépendance du pays. Mais le problème réside dans la manière de faire. Jamais la corruption n’a été aussi visible et aussi dangereuse que durant cette période, jamais un président de la république n’a fait autant de vide autour de lui comme l’a fait Bouteflika.
Ce qui pose un sérieux problème : un jour ou l’autre, Bouteflika ne sera plus là. Que faire ? Avec qui ? Une classe politique complètement discréditée et coupée de la réalité, un parlement budgétivore et nageant dans une autre galaxie et une société civile sinon asservie, du moins bâillonnée. Les mouvements de protestation qui se déclarent par-ci par-là sont généralement l’œuvre de syndicats autonomes, pour la plupart non agréés ou non reconnus par le pouvoir qui continue à travailler avec ses syndicats.
L’alternative au système en place n’existe pas, du moins pour le moment et ce ne sont pas les communiqués et autres déclarations d’hommes politiques qui feront croire le contraire. Le peuple, l’Algérie profonde, réelle, est complètement déconnecté de la chose politique, parce que n’y croyant plus. Qu’ils soient proches du pouvoir ou de l’opposition, les partis agréés sont l’autre image du système en place.
Le président Bouteflika cherche un sursis, le temps que la vague du changement qui balaye le monde arabe se calme. Que fera-t-il après ? Mystère.