Pour la première fois dans l’histoire contemporaine de l’Algérie, un président de la République reconnaît officiellement la fraude électorale et le dit publiquement devant toute la crème de la magistrature. Le chef de l’Etat est sorti hier de sa réserve qu’il observe depuis quelque temps.
On l’attendait la semaine dernière à Laghouat pour dire son appréciation des lois votées récemment par le Parlement. Il n’en fut rien ! Le découragement a commencé à gagner nombre de chefs de parti qui ne comprenaient pas pourquoi il s’est tu sur des réformes politiques qu’il a lui-même annoncées.
Le doute commençait à s’installer déjà sur les futures élections législatives. Aujourd’hui et avec son intervention d’hier, chacun est servi. En effet, il s’est distingué par un discours qu’on ne lui connaît pas encore. Un discours où il a dit ses quatre vérités les yeux dans les yeux et sans fioritures.
Le président Bouteflika a laissé éclater une véritable bombe dont les secousses auront un effet des années encore. Il a affirmé hier que «si la démocratie impliquait la tenue d’élections, l’Algérie doit alors aller vers cette option, même si, par le passé, nous avons connu des élections à la Naegelen». Cette référence à Naegelen, qui fut ministre et gouverneur général de l’Algérie et principal responsable de la fraude électorale massive organisée en 1951, est lourde de sens. Un tabou vient de tomber.
C’est un discours éminemment politique expliquant sa démarche et dans lequel il a répondu aux critiques provenant de l’intérieur et de l’extérieur du pays, qu’aura prononcé le président Bouteflika hier à Alger à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire 2011-2012.
Il a d’abord souligné que le pays va «vers d’importantes échéances politiques qui laissent transparaître des horizons où régnera une démocratie qui réunit tous les éléments nécessaires et qui permettra de rétablir la confiance entre le citoyen et les institutions parlementaires à tous les niveaux», reconnaissant que l’Algérie était encore «à ses débuts» en matière d’expérience démocratique.
«Je ne dis pas que nous avons franchi toutes les étapes et qu’il n’y a pas lieu de faire des comparaisons entre ce qui se passe chez nous et ce qui se passe en Grande-Bretagne ou même en France» car, a-t-il dit, «ces pays nous ont devancés en démocratie depuis des siècles déjà». «Nous faisons notre apprentissage en la matière.
En conséquence, aucun reproche ne doit être fait à notre encontre ou à l’encontre de ceux qui nous critiquent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur», a-t-il souligné, ajoutant qu’»il est possible qu’il y ait des lacunes ou des étapes non encore franchies. Celles-ci interviendront progressivement et émaneront de notre peuple qui n’a confiance qu’en ses propres réalisations». Concernant les voix qui se sont élevées «ici et là» pour s’interroger sur la singularité de l’Algérie et si elle faisait ou non partie du monde arabe qui vit au rythme de ce qu’on appelle le printemps arabe, le chef de l’Etat a affirmé que l’Algérie faisait partie de ce monde.
«Elle subit son influence et influe sur lui, mais elle n’a pas à revenir à des expériences qu’elle a vécues il y a des décennies». À propos de l’ingérence étrangère dans les affaires de certains pays arabes à l’occasion des évènements qui s’y déroulent, Bouteflika a souligné que «le peuple algérien est attaché à son indépendance et à sa souveraineté et refuse que les choses lui soient dictées». Il a rappelé que ce peuple «a arraché sa liberté grâce à de lourds sacrifices».
«Nous ne sommes pas là pour faire de cette indépendance un objet de surenchère et nous n’avons pas le droit de le faire», a-t-il ajouté. Il a affirmé que si «la démocratie impliquait la tenue d’élections, l’Algérie doit alors aller vers cette option, même si, par le passé, nous avons connu des élections à Naegelen».
Il a appelé à «la révision des méthodes de notre expérience nationale qui se distingue des autres expériences», soulignant que «nous apprenons des leçons des autres, mais nous les adaptons à notre réalité nationale et à nos traditions politiques dans le cadre du multipartisme».
LES MAGISTRATS SURVEILLERONT LES ÉLECTIONS
A l’adresse de la classe politique nationale, le président de la République a fait remarquer qu’il y a des partis plus influents que d’autres, car «ayant une base populaire». Et si la démocratie signifiait la multiplicité de petits partis, le Président a invité ces derniers à prouver alors «leur mérite» à travers les élections qui «sont le véritable critère de toute force politique». «Je ne me permettrais personnellement pas de porter un jugement sur tel ou tel parti», a-t-il dit.
Bouteflika a, en outre, déclaré que l’Algérie se trouve dans un état où «ce sont les personnes et les associations qui sont en perte d’influence sur la scène politique qui élèvent la voix». Il a précisé qu’il ne parlait pas au nom d’un parti mais du peuple algérien, soulignant que les réformes sont celles du peuple algérien. Des réformes pouvant s’inscrire dans la vision d’un parti ou d’un autre de la coalition gouvernementale tout comme elles peuvent ne pas s’y inscrire, et c’est tout à fait naturel et même démocratique».
C’est là probablement une allusion au MSP, parti membre de l’Alliance présidentielle, censé exécuter et défendre son programme mais qui, au final, a voté contre les textes des réformes politiques qu’il a initiées.
Quant au rôle de la justice aux prochaines élections, le Président a affirmé que «tout un chacun sera soumis à son contrôle [de la justice] et devra par conséquent se plier à ses décisions dans tout ce qui a trait aux échéances nationales ou à l’exercice d’un des droits fondamentaux ou autres». «L’Administration n’est pas soustraite à ce contrôle ni à l’obligation d’appliquer les décisions de la justice.
Tous les droits, libertés, autorités et prérogatives seront exercés dans le strict respect de la loi et sous le contrôle de la justice», a-t-il ajouté. «Nul doute que la pertinence du choix de recourir aux magistrats pour la surveillance des élections s’établira lors des prochaines échéances, ce qui consacrera leur rôle dans l’ancrage de la démocratie, de la transparence et de la concurrence libre et régulière entre les différentes forces politiques», a poursuivi Bouteflika.
«Ce sera également une preuve du succès de la réforme du secteur de la justice…», a-t-il affirmé. Il convient de noter enfin que le Président a présidé à cette occasion la cérémonie de sortie de la 19e promotion d’élèves magistrats, composée de 291 élèves, dont 144 magistrates et deux magistrats de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), et baptisée du nom du défunt juriste Mohand Issad.
H. M./APS