Après son apparition vendredi à la télévision et la qualité du discours qu’il a prononcé, l’interrogation sur la capacité du président Bouteflika à aller au bout de son mandat courant n’a pas raté de surgir.
Séance de lecture difficile, voire pénible pour le président Bouteflika qui, vendredi, s’est résolu à se départir d’un long mutisme et s’adresser à la nation. Il a dû s’appliquer plus que de coutume pour s’acquitter de cette tâche dont il se serait volontiers abstenu n’étaient la conjoncture internationale et les pressions internes.
C’est un Bouteflika manifestement affaibli physiquement que les Algériens ont eu à découvrir le vendredi soir. Son visage laissait voir des signes patents de fatigue, sa voix était éteinte et son geste douloureusement lent. On le sentait éprouver toutes les peines à parvenir au bout de sa lecture. A aucun moment, tout au long des vingt minutes que dura sa prestation télévisée, il ne leva les yeux de sa feuille ni osa la moindre digression que, pourtant, il affectionne tant. Jadis autoritaire par le geste et dans le discours, le président Bouteflika, aujourd’hui âgé de 74 ans, a fini par glisser jusqu’à s’y confondre dans la silhouette de quelqu’un que l’âge et la maladie semblent affecter sérieusement.
A tel point que, aussitôt son discours déclamé, laborieusement, faut-il encore le noter, l’interrogation sur l’état de santé du président et, donc, sa capacité à assumer son mandat, le troisième consécutif, jusqu’à terme, s’est trouvée remise au goût du jour. Et de manière encore plus affirmée qu’en 2005, lorsque le président Bouteflika dut être évacué d’urgence vers l’hôpital parisien du Val-de-Grâce pour y être soigné d’un «ulcère hémorragique». Rentré au pays après près de deux mois d’hospitalisation, il dut observer une convalescence stricte.
Peu, sinon très mal informés sur la maladie dont souffrait le chef de l’Etat, les Algériens ne s’étaient pas empêchés, à l’époque, de se poser la question sur l’éventualité d’une situation d’empêchement, c’est-à-dire de la déclaration de l’incapacité du président à exercer ses missions. L’article 88 de la Constitution prévoit ce cas de figure : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous les moyens légaux appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement.
Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le président du Conseil de la nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l’article 90 de la Constitution. En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante-cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux aliénas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article (…)» L’éventualité d’un empêchement pour cause de maladie est évacuée dès que le président s’est présenté remis de sa maladie.
On était à la moitié du second mandat présidentiel. Sa convalescence terminée, Bouteflika avait repris d’afficher une forme qui le laissait voir en mesure d’aller au bout de son second mandat d’affilée. Mais en novembre 2008, il affiche sa prétention à prolonger sa présidence au-delà de 2009. Il passe à l’acte en procédant, un peu à la hussarde, à la révision de la Constitution. Avril 2009, il s’adjuge un troisième mandat. Cependant, ce n’est plus le même président.
Il réduit drastiquement ses sorties sur le terrain, voyage à l’étranger de moins en moins et ses discours se font rares. Une attitude qui n’est pas demeurée sans faire surgir cette lancinante question de savoir s’il était en mesure d’aller au bout de son mandat. Une question qui trouve toute sa pertinence après le discours de ce vendredi où le président est apparu fatigué, éprouvant de la difficulté à déclamer lucidement son discours pourtant des plus courts qu’il eut à faire. Un discours dans lequel il consent, sans gaîté de cœur, à réformer les réformes qu’il a lui-même conduites. Un Bouteflika au mieux de son pouvoir politique et sa forme physique ne se serait certainement pas fait hara-kiri.
S. A. I.