Relire Wikileaks. Loin des discours officiels, les documents obtenus par Wikileaks révèlent la vraie nature des relations entre l’Algérie et le Maroc. Au cœur de la mésentente entre les deux pays voisins, le conflit du Sahara occidental. Les positions sont trop éloignées, écrivait le Monde en décembre 2010, les rivalités trop profondes, les procès d’intention trop nombreux entre les deux principaux protagonistes : le Maroc, qui occupe le Sahara occidental en dehors de toute légalité internationale, et l’Algérie sans l’appui de laquelle le Front Polisario, favorable à un référendum pour fixer l’avenir de l’ancienne colonie espagnole (indépendance ou rattachement au Maroc), aurait le plus grand mal à exister.
La position algérienne est clairement exprimée dans le compte-rendu d’une audience (d’une durée de 3 heures 30) accordée en mai 2007 par le président algérien Abdelaziz Bouteflika à Fragos Townsend, la conseillère du président George Bush pour les affaires de sécurité. « Si je pouvais résoudre le problème je le ferais, affirme le président algérien. Mais je ne peux pas parler à la place des Sahraouis. » Ce qu’il faut c’est que « le Maroc et le Polisario trouvent une solution, et ils peuvent le faire avec l’aide des Américains ».
Townsend a indiqué que Bush a demandé à Bouteflika et Mohamed VI de trouver une solution au conflit et ajouté que le président américain a apprécié le rôle joué par Bouteflika dans la libération en été 2006 de 400 prisonniers marocains détenus par le Polisario. Lors de cette audience, il souligne qu’il a accepté d’appuyer le Plan Baker sur demande de Bush et n’eut été la requête de ce dernier, il ne l’aurait pas fait.
« La France n’a jamais vraiment accepté l’indépendance algérienne »
Pour le président algérien, les Français, confiera-t-il à une autre occasion, « du fait du poids de leur histoire coloniale au Maghreb, sont incapables de jouer un rôle constructif dans le conflit ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « la France n’a jamais vraiment accepté l’indépendance algérienne ». Pour Bouteflika, elle tente de régler ses comptes avec l’Algérie « en appuyant le Maroc ».
Le chef de l’Etat algérien changera de registre une année plus tard lors d’une audience accordée en février 2008 à un diplomate américain. Bouteflika dénonce « le plan d’autonomie » voulu par les Marocains à la place du referendum d’autodétermination. Celui-ci n’offre qu’un semblant d’autonomie. Les provinces algériennes en ont d’avantage vis-à-vis d’Alger, soutient Bouteflika.
Les Marocains veulent « un Anschluss, comme Saddam Hussein avec le Koweït »
Au cours du même entretien le président algérien se montre plus prolixe et plus cinglant à l’égard de ses voisins : il comprend que les Marocains se sentent menacés par la perspective d’un Sahara occidental indépendant mais, dit-il, ils sont les premiers responsables de la situation.
Au lieu de faire preuve d’une approche « élégante » en acceptant une indépendance du Sahara occidental qu’ils auraient pu « contrôler » ou « superviser », ils veulent « un Anschluss, comme Saddam Hussein avec le Koweït ». C’est-à-dire annexer les territoires sahraouis. S’ils n’avaient pas été aussi maladroits, les Marocains « auraient pu obtenir ce qu’ils voulaient », assure le président algérien à son hôte.
Novembre 2009, Bouteflika reçoit le chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom), le général William Ward. Il exprime son opposition au projet d’autonomie en reprochant aux Américains leur duplicité. « Vous ne pouvez pas défendre l’application d’un principe pour la Palestine et un autre principe pour le Sahara occidental », dit-il.
Bouteflika : « Donc, je ne veux pas serrer la main du roi.»
Le jugement négatif de Bouteflika sur le roi du Maroc n’est pas fait pour arranger les choses, écrit encore le Monde. Lors de la même audience accordée à Townsend, Bouteflika s’est plaint que l’Algérie soit dans une situation dans laquelle tout geste vers le Maroc pourrait être interprété par la partie marocaine comme le début d’un processus de travail à un règlement bilatéral avec l’Algérie. Pour éviter cela, le président algérien se garde de toute manifestation publique à l’égard de son voisin « Donc, je ne veux serrer la main du roi. »
Mohamed VI Il « Il n’est pas ouvert, et manque d’expérience »
Autant le président algérien apprécie Moulay Rachid, le frère du souverain marocain (« On a plaisanté et discuté agréablement, je ne peux faire la même chose avec le Roi parce que nous n’avons pas le même sens de l’humour » à l’occasion d’une rencontre à Séville, en Espagne) autant le courant ne passe pas avec Mohammed VI. « Il n’est pas ouvert, et manque d’expérience », se plaint-il. Pour M. Bouteflika, 73 ans, aucun dialogue n’est possible entre lui et le roi du Maroc.
Depuis l’accession de Mohamed VI, 47 ans, au trône en juillet 1999 suite au décès de son père Hassan II, les deux hommes ne sont rencontrés qu’une seule fois à Alger en mars 2005. Hormis son déplacement à Rabat pour assister aux obsèques de Hassan II en juillet 1999, le président algérien ne s’est jamais rendu au Maroc, pourtant pays où il a vu le jour en 1937 (Oujda). Les frontières terrestres entre les deux pays sont fermées depuis 1994.
Le pouvoir est toujours entre les mains de généraux dogmatiques, incapables de bouger et « pétrifiés »
Côté marocain, la suspicion n’est pas moindre. Si Mohammed VI se confie très rarement, ses proches ne s’en privent pas. Selon leurs différents propos, la clé du dossier du Sahara occidental se trouve non pas à Tindouf, où siège les indépendantistes du Polisario, mais à Alger. Là-bas, expliquent-ils en juin 2009 au représentant personnel du secrétaire général de l’ONU, Christopher Ross, le pouvoir est toujours entre les mains de généraux dogmatiques, incapables de bouger et « pétrifiés » à l’idée du plan d’autonomie présenté par Rabat.
Si pour les conseillers du roi, le règlement du conflit passe par un renouvellement de génération aux commandes en Algérie, ce n’est pas l’avis du chef des services de renseignements extérieurs, Mohamed Yassine Mansouri. Dans un « mémo » du printemps 2008, il se dit convaincu qu’un changement de génération « pourrait compliquer la situation ». « L’ancienne génération qui a créé le problème est la mieux placée pour le résoudre », dit-il à son interlocuteur américain.
« Il ne serait pas très judicieux d’abandonner ses vrais amis au profit du pétrole »
Dans un télégramme de juin 2009, le même Mansouri confie que Rabat a demandé au président français Nicolas Sarkozy de faire en sorte « de n’être pas perçu, comme par le passé comme aussi pro-marocain sur le Sahara occidental ». C’était aussi le cas de l’administration Bush, « qui apparaissait trop favorable au Maroc ». A l’équipe diplomatique du président Obama, le patron des services d’espionnage fait observer qu’« il ne serait pas très judicieux d’abandonner ses vrais amis au profit du pétrole ».
En clair, les vrais amis des Américains sont les Marocains et les Algériens ne sont intéressants que parce qu’ils ont le pétrole.