Il aurait pu rester dans les mémoires comme l’homme de la résurrection nationale. Contrairement à ses prédécesseurs, Bouteflika a eu, en effet, les moyens de créer le miracle.
Sous Liamine Zéroual, l’Algérie se débrouillait avec un pétrole à 9 dollars le baril et des recettes budgétaires totales de moins de 1000 milliards de dinars, selon l’article très documenté de TSA.
Sous Bouteflika, et durant 15 ans, le prix moyen du pétrole avait explosé, oscillant entre 90 et 130 dollars la baril (voire plus, à certaines périodes) entraînant des recettes proches de 6000 milliards de dinars, soit six fois plus que sous Zéreoual.
C’était l’époque bénite où l’Algérie figurait parmi les grandes nations prospères, solidement installée dans le haut du classement par PIB de la Banque mondiale, devant la Belgique, la Suisse ou l’Autriche ! Nous étions la 34e nation la plus riche de la Terre ! L’équipe Bouteflika a donc pu disposer en 15 années de 90 000 milliards de dinars soit 8000 milliards de dollars, c’est-à-dire le PIB annuel de l’Allemagne, la Russie et la France réunis !
Un pouvoir sensé aurait transformé cette manne providentielle en prospérité durable. Il y avait de quoi espérer en finir avec la dépendance aux hydrocarbures, édifier une industrie et une agriculture capables de prendre le relais du pétrole et de fournir des millions d’emplois, investir dans les nouvelles technologies et dans la culture, impulser la recherche scientifique, abolir la malnutrition, édifier des hôpitaux modernes, en finir avec la crise du logement…
Mais Bouteflika n’a pas de projet. Il n’est pas venu pour assumer le pouvoir, mais pour le consommer. Il ne gouverne pas, il gère son fauteuil. L’argent du présent et du futur a servi de magot de négoce pour le deuxième mandat, puis pour le troisième, puis pour le quatrième…
Ce président est sans égards pour son peuple : l’administration Bouteflika a dépensé 8000 milliards de dollars, c’est-à-dire le PIB annuel de l’Allemagne, la Russie et la France réunis , sans que l’on ait réduit ne fût-ce que d’un pour cent, notre dépendance aux hydrocarbures, (qui représente toujours 98 % de recettes), ni édifier une industrie moderne et une nouvelle agriculture qui eussent pu donner du travail et nourrir les Algériens, en l’absence du pétrole.
Où est donc passé l’argent ? Dans les poches des « copains », les gros importateurs qui soutiennent Bouteflika et que Louisa Haanoun appelle oligarchie, ou dans celle des « coquins » qui se dorent au soleil des Tropiques.
Comment une telle dilapidation fut-elle possible ? Eh bien, tout simplement par l’écrasement de l’État. Bouteflika, en rétablissant les mécanismes archaïques du pouvoir absolu, a mis fin à toutes les institutions de concertation qu’il avait trouvées en 1999. Il n’était comptable devant personne et n’avait de comptes à rendre à aucune institution nationale. C’est ainsi qu’ils ont dilapidé l’argent du peuple durant quinze ans !
Quinze ans, c’est généralement le temps que mettent des nations retardataires à se se propulser dans l’avenir. La Corée du Sud, dont le PIB était globalement identique à celui de l’Algérie, a pu, en l’espace de quinze ans, imposer une phase spectaculaire de croissance et d’intégration dans l’économie mondiale moderne. Son secret : approfondir la démocratie, donner tout son pouvoir au citoyen, créer une symbiose peuple-pouvoir et exiger plus de travail et moins de privilèges.
Mais pour obtenir cette adhésion populaire, il faut avoir un projet accepté par tous et être soi-même légitime. Ce n’est pas le cas chez nous.. Aujourd’hui, la Corée du Sud est classée douzième puissance économique mondiale selon le calcul du produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat et quinzième selon le critère intra-Union européenne. La Corée du Sud devient respectivement la 6e et la 7e puissance exportatrice et importatrice de biens.
Sa recette : encourager les investisseurs nationaux, par un système de crédit dirigé, favoriser l’importation de matières premières et de technologie, aux dépens des biens de consommation et encourager l’épargne et l’investissement au détriment de la consommation.
Tout le contraire de l’Algérie qui a encouragé la consommation au détriment de l’investissement, les importations aux dépens de la production (elles sont passées de 9 milliards de dollars en 1999 à 57 milliards de dollars en 2013 !)…
Cette façon de faire est la marque des régimes autocratiques qui utilisent l’argent public pour acheter la « paix sociale ». Cela a fonctionné durant 15 ans. Aujourd’hui, personne ne joue plus : l’argent a été dilapidé, et c’était l’argent du présent et du futur. Du futur : les recettes de ces 15 dernières années ne se renouvelleront plus, le pétrole est en voie d’érosion, et l’Algérie devrait se tourner, selon des experts qualifiés, vers le FMI d’ici l’automne 2016. Nous serons alors redevenus pauvres. Pauvres et sans pétrole.
Abdelaziz Bouteflika, qui n’est pas de la race des bâtisseurs, mais plutôt de celle, bien connue, des destructeurs, aura accompli sa plus grande œuvre : faire de l’Algérie un désert. Et à chaque prière, du haut du minaret de 300 mètres, une voix viendra nous rappeler ce personnage qui aurait pu rester dans les mémoires comme l’homme de la résurrection mais dont on se souviendra, à jamais, comme la plus impitoyable malédiction qui s’est abattue sur ce pays.
M. B.