Bouklikha Abdelmoumène (Veritas Algérie) : »Les certifications de complaisance ont dopé l’invasion de produits non conformes »

Bouklikha Abdelmoumène (Veritas Algérie) : »Les certifications de complaisance ont dopé l’invasion de produits non conformes »

Le marché de la certification des produits du commerce extérieur algérien est en plein essor suivant la courbe des importations. Bureau Veritas installé depuis 2006 en Algérie déplore le renoncement au contrôle dans le pays de départ des produits destinés à l’Algérie. Dans certaines filières 50% sont non conformes, voire contrefaits. Sonnette d’alarme de Bouklikha Abdelmoumène, Manager GSIT Algérie.

Bureau Véritas travaille, notamment, sur la certification et la vérification des produits importés. Quel est l’enjeu réel en Algérie de ce métier peu connu du grand public ?

L’importation  des produits non conformes aux normes nationales et internationales est une conséquence directe de la mondialisation des échanges,  qui n’épargne aucun pays, aucun secteur d’activité et aucun produit.  Mais son impact en l’Algérie  donne des chiffres bien supérieurs à la moyenne mondiale. La contrefaçon à elle seule représente environ entre 25 et 30% de notre marché national et pour certains produits tels que les cigarettes, les pièces de rechanges automobiles ou les produits de beauté, le seuil d’un produit sur deux a déjà été largement dépassé.

Au-delà de la tromperie du consommateur, ces produits non conformes, qui ne sont pas tous des contrefaçons, sont dangereux et impropres à la consommation.  Ils ont envahis non seulement les marchés parallèles, mais se retrouvent également désormais dans les magasins des villes. Ils couvrent enfin l’ensemble des secteurs alimentaire comme non alimentaire. Les statistiques n’existent pas mais pourtant il serait édifiant de constater combien d’accidents routiers sont liés à des pièces défectueuses, combien d’intoxications sont  provoquées par des confiseries, du lait ou de la viande ne respectant pas les normes d’hygiène et de composition, ou encore combien de problèmes dermatologiques résultent des substances interdites présentes dans les textiles ou les crèmes cosmétiques.

Au dire du ministre du commerce le phénomène progresse.  Trouvez vous que les autorités algériennes ont suffisamment agit pour protéger leur marché de cette invasion de produits non conformes ?

L’Algérie s’est dotée, notamment au travers de la loi de protection du consommateur de 2009, d’un arsenal législatif performant. Les services des douanes et de la répression des fraudes multiplient les interventions et les saisies. Le Directeur Général des Douanes vient même d’annoncer le renforcement des effectifs et pourtant le phénomène ne fait que s’amplifier. La note de la Banque d’Algérie du 16 février 2009 avait le mérite de vouloir endiguer ce phénomène en encadrant les importations et en imposant aux importateurs la présentation d’un certificat de conformité des marchandises avant chaque expédition. Malheureusement, l’encadrement de cette procédure n’a pas eu lieu et les faux certificats comme les certificats de complaisance, délivrées par des sociétés dont certaines s’étaient créés pour l’occasion, se sont multipliés. La note a été abrogée en mars 2011 et le phénomène est reparti de plus belle.

Cette initiative aurait dû être celle des autorités de contrôle et de surveillance du marché et non celle de la Banque d’Algérie. Elle était certes perfectible sur la forme mais  demeure sans doute nécessaire quand à son fond. Quoi de mieux pour éviter que le marché national soit envahi de produits dangereux ou non conformes aux exigences et normes nationales que d’empêcher ces mêmes produits de quitter tout bonnement le pays d’exportation ?  Plusieurs pays, dont le volume d’importation de produits dits intermédiaires et produits finis est également très important, ont déjà franchi le pas et avec succès : c’est le cas de pays du Golfe et d’Afrique de l’Est mais aussi d’Asie du Sud Est.

La certification de la conformité des marchandises est un marché considérable dans un commerce mondial expansif. Comment les Etats en arrivent t’ils à confier à des privés la tâche de sécuriser les biens qu’ils importent ?

L’objectif, vous l’avez compris, est, clairement, de s’assurer que les produits importés sont conformes aux exigences essentielles de qualité et de sécurité que chaque Etat est en droit de fixer, et en même temps dans le respect des règles du commerce international. C’est une mission complexe qui nécessite une forte expertise.

C’est pourquoi  ces Etats ont accrédité sur la base de critères techniques, de notoriété et d’expérience des grandes sociétés internationales d’inspection et de certification afin qu’elles travaillent de concert et sous le contrôle des autorités nationales dans la vérification de la conformité des produits avant leur entrée en Algérie. L’émission d’un certificat sécurisé devient dès lors le sésame indispensable à toute expédition de produits considérés comme sensibles.

Mais est ce que l’émission de ce sésame n’est pas chahutée en Algérie par un dispositif de normes nationales inadapté ?

Non. L’Algérie dispose des normes et réglementations permettant de mettre en place une telle procédure, de délivrer le sésame. Les normes nationales sont pour certaines une transposition des normes internationales plus connues sous le titre de normes ISO.

Dans d’autres cas sont spécifiques au marché national: à titre de simple exemple, citons l’exigence fondamentale de voir sur les produits et leur notice les marquages, compositions et explications mentionnés en arabe. Sur le plan législatif notre marché national est donc parfaitement outillé et peut subir la comparaison avec bon nombre de ses partenaires commerciaux à commencer par l’Europe. La réponse est donc plus en aval qu’en amont et passe par un renforcement des contrôles, mais pas seulement à nos frontières car chacun sait qu’une fois sur notre territoire, c’est déjà trop tard.