Dès sa première sélection, par un chaude après-midi de juin, au stade de Harare, au Zimbabwe, alors qu’il n’était qu’un jeune homme de 22 ans, le public algérien l’a tout de suite adopté.
Sûrement à cause de son «fighting spirit» et sa façon de disputer chaque minute du match comme un véritable combat pour les couleurs nationales et non une simple rencontre sportive.
Et le public algérien ne s’était pas trompé, car ce jeune joueur, «self made man», c’est-à-dire qui s’est fait lui-même, du modeste club français de Gueugnon, allait s’exiler en Grande-Bretagne, une contrée qui partageait la même philosophie du football que lui. En Angleterre, puis en Ecosse, où ses exploits footballistiques et «guerriers» dans les plus grands stades d’Europe, avec son club, et d’Afrique, avec l’Algérie, allaient lui valoir le sobriquet de «Magic» ou encore «the Rock». Aujourd’hui au Qatar, après une longue parenthèse anglo-écossaise, Madjid Bougherra, qui est presque trentenaire, a beaucoup muri. Son expérience et son métier, ajoutés à sa fougue et à sa générosité, font de lui l’un des meilleurs défenseurs centraux d’Afrique, d’Europe (demandez à Wayne Rooney ce qu’il en pense), et aujourd’hui d’Asie, la confédération où est affilié son club qatari de Lekhwiya avec qui il est à un match du titre de champion. C’est ce Madjid Bougherra là, «co-capitaine» de l’équipe nationale version Halilhodzic, qui a accepté d’ouvrir son cœur le temps d’une interview.
– Tout d’abord, félicitations pour votre parcours dans ce championnat du Qatar et pour vos débuts en Ligue des champions asiatique ?
– Merci beaucoup, c’est vrai que pour une première saison avec Lekhwiya, nous sommes tout proche du titre de champion, et pour moi, c’est vraiment super, car le but d’un footballeur est de gagner des titres et j’ai la chance de jouer dans un club ambitieux avec un entraîneur ambitieux. En ce qui concerne l’AFC Champions League, le match face à Al-Ahly d’Arabie Saoudite (victoire de Lekhwiya 1-0), m’a servi en quelque sorte du baptême du feu.
– Après l’UEFA Champions League, vous disputez aujourd’hui celle d’Asie. Quelle est la différence entre ces deux compétitions ?
– Franchement, le seul point commun entre ces deux compétitions, c’est qu’elles sont les plus prestigieuses compétitions de clubs de leurs continents respectifs. Sinon, pour ce qui est du niveau, il n’y a pas photo. En plus en Europe, il y a un engouement du public dans le stade et en termes d’audimat phénoménal. Par contre, c’est une très belle expérience pour moi, car ça reste «la Ligue des champions». J’ai pu constater lors de ce match face à Al-Ahly que le niveau est plus élevé que celui du championnat du Qatar. Cela joue plus vite et l’engagement est total. J’ai été surpris par le rythme élevé de la rencontre.
– Vous êtes-vous totalement adapté à votre nouveau club et à votre nouvelle vie ?
– Mon adaptation est totale. Je ne me suis jamais adapté aussi vite à un pays. J’ai la chance de vivre dans un pays musulman, avec des valeurs qui se rapprochent des miennes et que je peux afficher librement. Il y a une grande qualité de vie aussi pour ma famille, et pour moi, c’est très important. Concernant le club, j’ai eu la chance de tomber sur Djamel Belmadi qui dirige ce club «à l’européenne». Djamel est très rigoureux et très carré sur les retards et le travail, et en tant que footballeur professionnel, je n’ai pas senti de différence dans l’exercice de mon métier. Au Qatar, chaque club compte 4 joueurs étrangers, des naturalisés et des Qataris, et je dois dire qu’à Lekhwiya, nous sommes collectivement les meilleurs.
– Au moment de votre signature au Qatar, une partie de vos nombreux fans ont critiqué ouvertement votre choix et se sont détournés de vous. En avez-vous souffert à l’époque ?
– Je m’y attendais un peu en signant à Lekhwiya, je m’attendais à être critiqué. Mais quelque part, je les comprenais. Ces personnes ne me critiquaient pas négativement, car elles m’aimaient vraiment et voulaient le meilleur pour moi, à savoir un grand club européen. Mais il faut que ces gens sachent que je n’ai eu, hormis Lekhwiya, aucune proposition concrète d’un grand club européen. Et quand je vois la situation actuelle des Glasgow Rangers, je me dis que j’ai fait le bon choix. Je suis très proche du titre de champion, et Djamel Belmadi adhère à mon challenge de rester compétitif pour l’équipe nationale et me fait travailler plus et très dur. Depuis que je suis à Lekhwiya, j’ai perdu 7 kg.
– Aujourd’hui, au vu du bain de foule que vous avez pris à Lisses lors du dernier stage prouve que vos fans sont toujours là ?
– Les Algériens sont un peuple qui connaît très bien le monde du football. Au moment de ma signature, j’en ai expliqué les raisons et ils ont compris que même sur le plan de ma carrière, c’était le meilleur choix.
– Ne pensez-vous pas, avec du recul, qu’en Europe, vous avez été «sous-coté» par rapport à votre valeur réelle ?
– Jusqu’à aujourd’hui, il y a des choses que je ne m’explique toujours pas. Après avoir tout gagné avec les Rangers, sur le plan national, j’avais décidé de franchir une étape en misant tout sur l’UEFA Champions League. Je savais que si je faisais des grosses performances dans cette compétition, la plus télévisée du monde, je me ferai remarquer. J’ai fait des grands matchs en Ligue des champions, j’ai marqué, j’ai affronté de grosses équipes où mes performances ont été saluées par la presse qui me donnait des bonnes notes, mais «rien». J’ai fait de bonnes éliminatoires CAN/CM 2010, une bonne CAN et une bonne Coupe du monde, «toujours rien». J’ai changé plusieurs fois d’agents, j’ai pris les meilleurs agents anglais qui me disaient qu’il y avait des contacts çà et là et encore «rien». Des agents travaillant avec des grands clubs m’approchaient pour me faire des propositions, mais à chaque mercato, je me retrouvais le 1er septembre ou le 1er février avec «rien». Je ne veux pas tirer de conséquences, mais j’ai compris que je n’aurais jamais en Europe une réelle opportunité. Heureusement, la porte de Dieu est ouverte à tous et j’ai signé à Lekhwiya avec un très bon coach comme Djamel Belmadi et je ne regrette pas mon choix.
– Vous êtes arrivé le premier lors du dernier stage à Lisses. On vous y a vu très motivé. Qu’est-ce qui fait encore courir Madjid Bougherra, qui a déjà tout connu en vert ?
– Plus on vieillit, plus on apprécie une sélection en équipe nationale, car à chaque fois, on se dit que c’est peut-être la dernière. Aujourd’hui, la densité de bons joueurs algériens est telle qu’on peut ne plus être appelé en sélection d’un match à l’autre, surtout lorsque comme moi, on est plus proche de la fin de carrière que du début. Aujourd’hui, je suis encore plus heureux d’être en équipe nationale que je ne l’ai jamais été. Sur le terrain, sur le but, en tribune, je suis heureux, car l’équipe nationale est la plus belle chose qui puisse arriver à un footballeur. C’est vrai que depuis 2004, j’ai connu énormément de choses en équipe nationale. J’y ai connu des joies immenses, mais aussi des peines tout aussi immenses. Mais aujourd’hui, ce qui me fait encore courir, c’est de contribuer à qualifier l’équipe nationale à la Coupe du monde 2014 au Brésil pour sortir par la grande porte. Même si je ne dois pas la jouer et qu’un jeune me remplace en phase finale, mon rêve est de jouer la campagne éliminatoire et de qualifier mon pays, puis de dire : «Mission accomplie !»
– Vous avez le statut aujourd’hui de «co-capitaine» de l’EN avec Antar Yahia, puisque le coach n’a pas encore tranché entre vous deux. Ce statut a-t-il changé quelque chose pour vous en sélection ou c’est exactement comme avant ?
– Ce brassard change complètement la donne. Avant, j’étais «tranquille», après les entraînements, je me comportais comme bon me semble, ça n’engageait que moi. Aujourd’hui, je dois être un exemple pour les autres joueurs, surtout les plus jeunes. Même le sélectionneur national te le fait ressentir, tu as ta part de responsabilité. Mais c’est un rôle que j’aime bien, car j’aime faire partager mon expérience aux plus jeunes.
– Est-ce ce statut de «cadre» qui a fait que vous avez été l’un des rares joueurs de l’EN à affronter la presse après le 4-0 de Marrakech, alors qu’il aurait été si facile de monter dans le bus ?
– Me présenter ce jour-là devant la presse algérienne et marocaine était à mon sens un devoir. Nous, les anciens, devions absorber la critique et la colère populaire, légitime après une telle défaite pour épargner les joueurs les plus jeunes pour qui ça aurait été très difficile. Même si ce n’était vraiment pas évident ce jour-là, lorsque vous êtes footballeur professionnel, ça fait partie du métier. Vous devez une explication et des excuses à vos supporters.
– Vous faites partie des premiers «beurs» à avoir rejoint et revendiqué l’équipe d’Algérie. Dans tous les clubs où vous avez joué, le serre-poignée aux couleurs d’Algérie ne vous a jamais quitté. Quel effet cela vous fait de voir la jeune génération suivre vos traces plutôt que l’équipe de France ?
– Honnêtement, ça me fait énormément plaisir. Lorsque je vois la nouvelle génération, celle de Ryad Boudebouz, Sofiane Feghouli et Lyassine Cadamuro, je me revois avec Karim Ziani, Antar Yahia et Nadir Belhadj à nos débuts. Nous avions commencé chez les espoirs et Nadir nous avait rejoints en A. Ils ont la même lumière qu’on avait à l’époque. Celle de jeunes qui n’ont peur de rien.
– Pensez-vous que c’est votre épopée 2009-2010 qui a contribué à ramener tous ces jeunes talentueux, dont certains auraient pu jouer pour la France, vers la «maison verte» ?
– (Il hésite) Je dirais oui et non. Oui, parce que notre épopée 2009-2010, où chaque match faisait descendre des millions d’Algériens dans la rue, avec un engouement énorme qui s’est terminé en apothéose, après la qualification, n’a pas dû les laisser indifférents, c’est sûr. C’est clair que ça donne envie de connaître la même chose. Pour le «non», je dirais que ce sont des Algériens, ils sont patriotes et n’ont pas eu besoin de nous pour répondre à l’appel du pays. Mais une chose est sûre, l’équipe d’Algérie, chez la jeune génération, est en train de marquer des points par rapport à l’équipe de France. Lorsque vous lisez les interviews des jeunes joueurs aujourd’hui, qu’il s’agisse de celles de Cadamuro ou Feghouli avant qu’ils nous rejoignent ou même celles de joueurs comme Belfodil, vous lisez plus de «l’Algérie ça m’intéresse» ou «l’Algérie pourquoi pas !» que des joueurs qui attendent une hypothétique sélection chez les Bleus comme par le passé.
– On sent que vous adhérez à la «méthode Halilhodzic». Vous l’avez d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises. Pourquoi ?
– J’ai adhéré au projet de tous les sélectionneurs qui sont passés à la tête de l’EN. Chacun avait son propre style. Monsieur Saâdane, par exemple, a su nous amener au sommet en misant plus sur la récupération et en ayant une gestion plus «cool» du groupe et des séances d’entraînement, misant plus sur les matchs. Même si j’ai adhéré à ses prédécesseurs, je dois avouer que la méthode de Vahid Halilhodzic est celle qui se rapproche le plus de mes valeurs. Moi, je n’ai fait aucun centre de formation, j’ai toujours misé uniquement sur le travail pour y arriver. Et pour Halilhodzic, le travail c’est essentiel. Je le dis et je le maintiens, je n’ai jamais autant travaillé en équipe nationale que depuis que Vahid Halilhodzic la dirige.
– Pensez-vous comme lui que la «sélection naturelle totale» doit s’appliquer en équipe nationale concernant les joueurs ?
– L’équipe nationale n’appartient à personne. Elle existait avant nous, nous avons la chance d’en faire partie aujourd’hui et elle sera là bien après nous. Lorsque je suis arrivé en équipe nationale, j’ai poussé vers la sortie la personne qui était là avant moi et il est normal qu’un jeune défenseur central me pousse un jour vers la sortie. Plus il y a une densité de joueurs, plus il y a de jeunes joueurs aux dents longues, plus le niveau de l’équipe nationale progresse. Le terme cadre est galvaudé aujourd’hui. Un cadre, c’est un joueur d’expérience qui doit faire profiter les jeunes de son vécu en le transmettant. Une fois que le savoir et l’expérience sont transmis, vous pouvez partir avec le sentiment du devoir accompli. Moi, si un joueur me pousse vers le banc ou même vers les tribunes, «Marhaba bih», je l’aiderai et lui prodiguerai des conseils pour qu’il soit plus fort encore pour le bien de l’Algérie. Les grands clubs et les équipes nationales sont éternels, les joueurs ne font que passer.
– Dernière question. L’Algérie fête ses 50 ans d’indépendance. Cela vous évoque quoi ?
– Ma génération n’a pas connu la guerre de Libération nationale. Tout ce que je sais, ce sont mes parents, les livres d’histoire et les documentaires qui me l’ont enseigné. C’est grâce aux énormes sacrifices des jeunes de nos âges que nous sommes libres aujourd’hui. On ne pourra jamais leur rendre le millième de ce qu’ils nous ont offert. Bon anniversaire Algérie, inch Allah le meilleur pour la suite.
– Si je vous dis rendez-vous en zone mixte au Brésil en 2014, vous me répondez quoi ?
– Je vous réponds juste incha Allah. M. B.