Bougherra : «J’ai été surpris que Bouteflika sache qu’on me surnomme Magic !»

Bougherra : «J’ai été surpris que Bouteflika sache qu’on me surnomme Magic !»

Alors, comment va le moral ?

On ne peut plus bien (sourire). Connaissez-vous un joueur qui n’ait pas le moral après une qualification pour la Coupe du monde ?

Oui, mais certains veulent vous créer des problèmes au sein de votre club, les Glasgow Rangers…

Je n’ai pas de problèmes avec les Rangers. Il s’agit d’un malentendu qui a été vite dissipé après une discussion avec l’entraîneur. Et puis, cela ne saurait gâcher ma joie. C’est quand même une grosse performance que nous avons réalisée.

Pourtant, cela n’était pas évident puisqu’il fallait ramener la qualification d’Egypte en comptant plusieurs blessés : Ziani, Yahia, Meghni, Matmour, Yebda et vous, sans oublier les blessés suite aux jets de pierres. Sincèrement, cela vous a-t-il fait peur ?

Sincèrement, oui ça m’a fait peur de voir que nous étions diminués. Toute une cascade de blessures à quelques jours d’un match si décisif, cela faisait peur à coup sûr. C’est rageant de devoir jouer diminués et handicapés. Heureusement que nous avons pu guérir à temps. Même avec ça, nous restions diminués par le manque de compétition.

Vous, personnellement, étiez-vous complètement prêt pour le match du Caire

En toute franchise, non.

C’est parce que vous ressentiez le manque de compétition…

Pas uniquement ça. Lors de l’entraînement de la veille du match au Cairo Stadium, je ressentais encore des douleurs à mon genou.

L’avez-vous dit à l’entraîneur ?

Non, je ne l’ai pas dit à Saâdane. Je le lui ai caché car je savais que je pouvais calmer la douleur par des injections. Ce que je redoutais, en revanche, c’était la condition physique. En dépit des exercices physiques de musculation auxquels je m’étais adonné tout au long de ma convalescence, il y a une vérité qui m’a rattrapé : rien ne remplace la vraie compétition. Je sentais que je n’allais pas tenir le coup physiquement. Lors des dernières minutes du match du Caire, j’étais complètement vidé et j’ai tenu au courage.

On avait remarqué, justement, qu’au cours du match, non seulement vous ne montiez pas souvent en attaque, mais même lors des coups de pied arrêtés, vous ne montiez pas systématiquement. Etait-ce voulu ?

Oui, c’était voulu. Je gérais mes efforts. Par expérience, je savais sur quels coups de pied arrêtés je pouvais être utile et sur lesquels il était inutile que je monte. J’ai essayé de doser mes efforts afin de ne pas exploser durant les dernières minutes.

C’était justement durant les dernières minutes que vous avez subi le plus et que vous aviez encaissé le deuxième but. Peut-on dire que la fatigue y a été pour quelque chose ?

Elle y a été pour beaucoup. Tous ceux qui avaient été blessés avaient terminé sur les rotules : Yahia, Ziani, Meghni, moi… Et puis, le but encaissé était dû aussi à un manque de concentration. C’est impardonnable d’encaisser un but à une minute de la fin du match. C’était limite une faute professionnelle. Cependant, il ne faut incriminer personne en particulier. C’était notre faute à nous tous. Nous avons essayé de tenir jusqu’au bout, mais la condition physique nous a trahis.

Sincèrement, aviez-vous eu peur en entrant sur le terrain et en voyant tout ce public égyptien qui vous était hostile ?

Wallah, je n’avais pas peur. Quand même, ce n’était pas la première fois que je jouais dans un stade plein ! Seulement, lors des premières minutes, nous n’étions pas assez concentrés et cela nous avait coûté un but. D’ailleurs, sur le coup, nous nous sommes tous regardés comme pour se dire : ça va être dur. La suite du match allait nous donner tort : nous n’avons pas été si ridicules que ça. Nous avons petit à petit pris nos repères et nous avons produit du jeu, notamment durant le dernier quart d’heure de la première mi-temps. Cela nous a rassurés et nous a montré que nous pouvions bousculer les Egyptiens. Cela a contribué aussi à dissiper la peur chez certains joueurs.

Après avoir encaissé le deuxième but, vous avez été de ceux qui s’étaient effondrés sur le terrain. Etait-ce la crainte de voir le Mondial s’envoler ?

Non, pas du tout ! C’était seulement la frustration de rater un objectif pour une minute. Pour un joueur professionnel, c’est difficile à accepter. Pour le représentant de tout un pays, cela l’était encore plus. Toutefois, nous nous sommes vite ressaisis en nous disant qu’il y a un match d’appui et que tout était encore possible.

Parlons à présent du match d’appui au Soudan. A quel moment avez-vous senti que c’était jouable ?

C’était lors de l’entraînement du deuxième jour, lorsque les supporters avaient été autorisés à entrer dans les gradins. En les voyant nous encourager de la voix, de faire des gestes de détermination et de rage, ils nous ont transmis cette rage et nous nous sommes sentis vraiment forts. Je dois souligner une chose : le déplacement des supporters a été un facteur déterminant dans notre victoire.

Tant que cela ?

Oui, tant que cela. A l’hôtel où nous étions, nous avions la télévision algérienne et nous suivions les informations concernant le déplacement des supporters. L’image des centaines d’Algériens attroupés devant l’agence Air Algérie de la Place Audin et scandant «Les Algériens ! Les Algériens !» tout en battant des mains m’a profondément bouleversé. Lorsque, le jour du match, j’ai vu que plus de la moitié du stade était rempli d’Algériens, je me suis dit que c’était à moitié

gagné : nous avions gagné la bataille de la rue, il nous restait à nous, joueurs, à gagner celle du terrain et celle-ci ne nous faisait pas peur. C’était désormais à nous de jouer.

Et vous avez bien joué !

Oui, nous avons gagné et je pense que nous l’avons mérité. Sur l’ensemble du match et de notre parcours, c’est amplement mérité.

Amr Zaki s’est plaint que vous l’avez agressé…

Le football est un sport d’hommes. Il y a eu une action où il y a eu un choc entre nous. Si je lui ai fait mal, il l’a cherché. D’ailleurs, tout de suite après, il a demandé à Shehata de le remplacer.

On a remarqué que vous n’aviez pas peur…

Personne de nous n’avait peur. D’ailleurs, sur les duels, nous avons largement pris le dessus. Il n’y avait vraiment pas photo. Nous avons montré que nous avons l’étoffe pour battre l’Egypte, championne d’Afrique en titre. Sur ce match, je n’ai qu’un seul regret. C’est de ne pas avoir joué à mon véritable niveau.

Expliquez-vous…

J’étais diminué physiquement et je ne pouvais pas participer beaucoup au travail offensif. Cela m’a mis en rage. Finalement, nous sommes qualifiés et c’est l’essentiel.

A la fin du match, vous avez carrément éclaté en sanglots, le visage à terre. Qu’est-ce qui a reflué en vous à ce moment-là ?

J’ai pleuré car 5 années de galère me sont revenues à l’esprit. Je suis en sélection depuis 2004 et nous en avons bavé quelques fois. Je me rappelle même que quelques supporters déçus nous avaient caillassés après la défaite face à la Guinée. Là, nous sommes sortis du tunnel et cela m’a touché. J’ai pleuré aussi parce que nous sommes en Coupe du monde, le rêve de tout footballeur qui fait du football son métier. J’ai pleuré également pour tous ces supporters qui étaient venus nous soutenir et pour tous ceux qui attendaient en Algérie et partout dans le monde.

Que vous a dit le président Bouteflika quand il vous a reçus ?

(Rire) J’ai été surpris qu’il sache qu’on me surnomme Magic. Il m’a lancé : «Alors, c’est toi le Magic ?» Il m’a également encouragé en me disant que des joueurs comme moi devaient être des exemples pour la jeunesse.

Entretien réalisé par Farid Aït Saâda