Boudiaf, 19 ans déjà…

Boudiaf, 19 ans déjà…

Comme irrémédiablement engluée dans la compromission avec l’islamisme, l’Algérie, dix-neuf ans après l’assassinat de Mohamed Boudiaf, est encore à s’efforcer à l’effort de ne pas frustrer un Hassan Hattab, ex-émir terroriste sanguinaire. Une offense, une de trop, à la mémoire de «Tayeb El Watani» et à tant d’autres martyrs qui ont consenti le sacrifice suprême pour que le pays ne sombre pas dans les ténèbres de l’obscurantisme islamiste.

De la Rahma à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, en passant par la Concorde civile, l’Algérie est allée de concession en concession en faveur des islamistes.

Au point d’ailleurs où l’ancien chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), Hassan Hattab, eut à jouir d’un statut spécial qui, depuis 2007, date de sa reddition, l’a soustrait à la justice qui le poursuivait pour les crimes innombrables commis par son organisation terroriste. Le pouvoir algérien, notamment depuis l’intronisation de Abdelaziz Bouteflika en 1999, a agi comme s’il se devait, quoi qu’en seraient les conséquences, de ramer à contre-courant des idéaux démocratiques et républicains autour desquels Mohamed Boudiaf a suscité tant et tant d’espoirs. Notamment auprès de la jeunesse qui, en l’espace d’à peine six mois, s’était reconnue dans cet homme, qui, à l’appel de la Nation, a rompu un long exil et un retrait de la vie politique pour voler au secours d’une république véritablement en danger. Peu, sûrement, parmi cette jeunesse savaient que l’homme qui était venu à la rescousse d’un pays en péril était l’un des artisans de l’indépendance nationale. Aussi, c’est en cela que l’osmose entre Mohamed Boudiaf et la jeunesse était singulière. Le président du Haut Comité d’Etat (HCE), institué après la démission du président Chadli Bendjedid en 1992, en pleine tourmente sécuritaire, n’avait nul besoin de mettre en avant sa qualité de figure historique pour recueillir l’adhésion de la population.

Sa verve, son verbe taillé dans le parler du commun des Algériens, son engagement clair en faveur de la république et la démocratie suffisaient. Exceptionnelle que cette prouesse de faire renaître, en l’espace de quelques mois seulement, l’espoir chez une jeunesse fortement désespérée ! Evidemment, sa façon de concevoir la politique, sa manière d’agir et les perspectives qu’il définissait ne pouvaient agréer, notamment les islamistes qui avaient déjà entrepris d’user de la «mahchoucha» pour soumettre la république à leurs rêves obscurs. Mohamed Boudiaf est assassiné le 29 juin 1992, alors qu’il prononçait un discours au Théâtre régional de Annaba. Son assassinat sonna la fin d’un espoir. Depuis, la république fut contrainte de subir compromission sur compromission avec l’islamisme décliné dans ses deux versions politique et armée. Des cohortes de terroristes de l’AIS, du GIA, puis du GSPC se sont vu blanchis de leurs crimes par les grâces de lois qui, en fait, étaient des amnisties qui ne disaient pas leurs noms. Cette compromission est poussée au point de doter Hassan Hattab et Abderrazak El Para de statuts spéciaux qui les a mis pendant plusieurs années hors de portée de la justice. C’est qu’avec l’assassinat de Mohamed Boudiaf, le système politique algérien s’est énormément investi dans sa propre sauvegarde, se consolidant à l’ombre de la concession perpétuellement renouvelée à l’endroit de l’islamisme. Car, en son temps, Boudiaf posait déjà la problématique du changement d’un système ayant atteint ses limites, sclérosé et incapable d’idées novatrices. Dix-neuf ans plus tard, la même idée force refait surface non pas à l’échelle de la seule Algérie mais de toute la sphère arabe. C’est dire que Boudiaf avait cette âme de visionnaire et avait le sens de l’anticipation. Et c’est pour cela qu’il ne faut pas écouter ânonner un Ben Bella qui vient en 2011 faire cas publiquement de son inconscience infuse en qualifiant Boudiaf de «zéro sur le plan militaire ». Heureusement que l’Histoire se fout, mais alors éperdument de bouffonneries du genre et qu’elle a inscrit en lettres d’or l’apport incommensurable de Boudiaf à l’indépendance nationale, de l’OS, au groupe des 22 en passant par le Crua. Alors hommage à Boudiaf, quitte à donner des insomnies à Ben Bella et à tant d’autres qui ont la démocratie et la république en horreur.

S. A. I.