BOU SAÂDA, Vague à l’âme et rage de vivre

BOU SAÂDA, Vague à l’âme et rage de vivre

«Ceux qui ont beaucoup à espérer et rien à perdre seront toujours dangereux.» (Edmund Burke)

Au détour d’une navigation sur la Toile, des groupes de jeunes facebookers s’échangent des informations de tout ordre, de vieilles prises de vues photographiques où la nostalgie d’une époque qu’ils n’ont même pas vécue, est bien là. Des reportages de campagne d’assainissement et de collectes de détritus, des opérations de boisement ou de solidarité sociale alimentent profusément les débats.

Bouillonnants, ces forums ont l’avantage de fédérer des volontés, construire des passerelles informatives et faire découvrir des énergies jusque-là contenues dans des microcosmes réducteurs. Il est cependant intéressant de s’attarder quelque peu sur un post, oeuvre d’un administrateur de groupe, qui dans une symbolique ravageuse compare sa ville, en l’occurrence Bou Saâda, à une vieille dame, le visage raviné par le temps, implorant ses enfants pour la soutirer de la déchéance dans laquelle elle a été durablement confinée.

Dure avec ses aînés, notamment les anciens cadres supérieurs de l’appareil de l’Etat, elle leur reproche, particulièrement, leur passivité lors de la curée de 1974 où chacun des dirigeants politiques de l’époque, croit-on savoir, s’est arrogé le droit d’ériger un chef-lieu de wilaya au plus près de son bercail. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle patienta pendant plus d’une décennie, étant convaincue que sa deuxième chance est inéluctable, n’ayant plus de concurrente potentielle de par sa position géographique, son bassin démographie et son statut administratif acquis de longue date. Oh que non! Le déni la (re)frappe cruellement; elle le ressent cette fois-ci comme une humiliation.

Aïn Beïda et Touggourt, seules compétitrices éventuelles, étaient elles aussi sur le carreau. Que faire alors, quand toutes les voies de recours s’oblitèrent au mépris de cette revendication populaire, à savoir la promotion statutaire de cette «antique» sous-préfecture.

Le planificateur

Le sentiment de frustration quasi général, porté par le citoyen lambda confronté quotidiennement aux aléas bureaucratiques d’une administration locale cultivant la condescendance à la limite du mépris, alimente crescendo les rancoeurs. Des comportements élevés au rang de dogme, sont souvent rapportés par la vox populi dans ses échanges avec les services administratifs du chef-lieu de wilaya qui, pour on ne sait quel motif, font revenir les usagers l’après-midi pour le retrait des documents sollicités le matin. Certains vous affranchissent, crûment, sur les desseins inavoués de cette pratique qui participe plus de l’acte individuel que d’une quelconque règle établie. On ne peut mettre dans la même besace et le bon grain et l’ivraie. Cette mise sous l’éteignoir d’une revendication, somme toute légitime, trouvera au lendemain d’Octobre 1988, son expression violente dans les manifestations de rue de janvier 1989. Les dirigeants de la période considérée, trouveront la parade en faisant mine d’enregistrer la doléance et de promettre des suites favorables qui ne seront jamais tenues.

Tous les candidats aux hautes fonctions étatiques et électives, reconnaissent le déni, promettent d’y remédier, mais se déjugent à l’exercice. Pendant ce temps, le planificateur, la tête enfouie dans ses nomenclatures d’objectifs planifiés, ne tenant compte d’aucune pulsion que l’oscillomètre social enregistrait avec fébrilité. D’autres secousses viendront émailler ce parcours cahoteux, il y a lieu de rappeler, entre autres, les heurts de 2008 qui ont émaillé la relégation de l’équipe phare de la wilaya, Amal Baladiate Bou Saâda (ABS), qui jouait en Division nationale 2.

Encore, un trait saillant de l’aberration bicéphalique de cette wilaya dont la deuxième agglomération affiche des prétentions sportives nationales depuis plusieurs saisons et dont les infrastructures ne répondent pas à ses ambitions. Ni l’OPW, ni la piscine olympique ne sont faits pour elle. Il en est de même pour les autres secteurs qu’il s’agisse de transport, de culture, de services socioéducatifs ou de loisirs.

L’économie touristique

La ville qui geint sous le flux circulant, ne bénéficie ni du transport urbain, ni suburbain publics. Elle contemple depuis plus de deux longues années une gare routière ludique et dont les portes sont toujours closes. A quoi servirait donc la clause du respect du délai de réalisation? Le transport aérien dont l’illusion en a été donnée, momentanément, par la défunte Khalifa Airways relève du conte de fées.

Un songe brusquement interrompu et sans recours. En dépit des fonds budgétaires qui lui ont été consacrés, l’aérodrome d’Eddis n’arrive toujours pas à se débarrasser de son silence mortifère d’ancien centre d’internement de sinistre mémoire.

L’industrie, génératrice majeure d’emplois, a choisi délibérément, en trois décennies de s’implanter à deux reprises au chef-lieu de wilaya. Par un doux euphémisme, on désigne la deuxième zone par le nom «mystique» de Draâ El Hadja.Voici ce qu’en disait la presse à sa création: «Durant l’année 2009, une 2e zone industrielle de 102 hectares, située à Draâ El-Hadja, est venue renforcer l’offre foncière industrielle. Selon le comité local d’aide à la localisation et la promotion de l’investissement (Calpi), cette nouvelle surface permet la création de quelque 200 unités avec une moyenne de 5 hectares pour chacune d’elles. L’aménagement de la nouvelle zone industrielle a nécessité la mobilisation, au titre du plan quinquennal 2005-2009, de 450 millions de dinars ayant servi à la réalisation des divers réseaux et à la construction d’une clôture.

Appelée à connaître une dynamique économique prometteuse, la zone industrielle Draâ El-Hadja est située au carrefour de plusieurs routes nationales et chemins de wilaya desservant Alger, Bordj Bou Arréridj et les wilayas du Sud via Bou Saâda. Elle est également mitoyenne de la nouvelle centrale électrique dont la réception est annoncée pour 2010, ainsi que d’une canalisation principale de distribution de gaz naturel. La demande sur les lots de cette zone reste, toutefois, encore quasiment nulle en raison, explique la même source, de «la préférence des opérateurs potentiels pour l’implantation de leurs activités dans l’ancienne zone industrielle. Selon un membre du Calpi, 37 attributions de lots situés sur cette nouvelle zone ont été récemment annulées pour non-concrétisation des investissements initialement prévus.inmidi libre».

Il est clairement affirmé que Bou Saâda n’évoque dans le contexte qu’un utilitaire viaduc menant vers le Sud. Point barre!

On vous dira en toute bonne foi, qu’il est pensé un avenir touristique des plus prometteurs pour la «Cité du bonheur». Et de quoi s’est-il agi pour promouvoir cette «Andalousie oasienne»? Une simple et rustique réhabilitation des hôtels Transat et Le Caïd et leur récupération par le groupe hôtelier El Djazair, heureux déjà qu’il tente de réanimer un tourisme jadis folklorique. Les jeunes qui ont compris les enjeux d’une économie régionale portée par les industries de l’électronique, de l’aluminium et de l’agroalimentaire se refusent de continuer de faire l’objet de curiosité touristique. Le skhab odorant, la ghaita nasillarde et la fantasia pétaradante ont fait leur temps. Et c’est dans ce seul statut, désuètement, pittoresque que l’on persiste à y confiner cette médina ancestrale. A propos de la médina médiévale et des remparts de l’ancienne cité coloniale, non classés dans le registre du patrimoine national; ceux-ci partent en lambeaux faute d’opération de restauration et de conservation planifiée. Pour l’heure, le souci des édiles est ailleurs. Oui! Pour un tourisme culturel et cultuel, la région qui recèle plein de trésors à faire découvrir devrait tirer profit de cet atout. Faut-il aussi, créer toutes les conditions pour accompagner, de manière intégrée, la dynamique de relance si tant l’économie touristique a jusqu’ici prévalu.

Cette réhabilitation ne s’est, malheureusement, pas arrêtée à l’hôtellerie, elle touche même les attributs de souveraineté, tels que le siège de la daïra abrité encore dans l’ancien siège de l’ex-commune mixte (Dar El Hakem), le tribunal qui gîte dans l’ex-siège de la mairie et d’autres services administratifs et techniques de l’Etat qui végètent encore dans des reliques coloniales. Certains initiés regrettent même ce statut d’ancienne sous-préfecture lui préférant, carrément, une nouvelle entité sortie du néant prétendant à un tissu administratif relativement récent. La problématique est d’autant plus préoccupante, tant le déséquilibre entre l’offre limitée par l’espace et la demande exponentielle est criard. La population de l’agglomération urbaine qui comptait près de 30.000 âmes à l’indépendance, caracole présentement à 150.000. La ville fait partie, depuis 2008 et même bien avant, du gotha des 41 plus grandes agglomérations du pays devançant ainsi Mascara et Tizi Ouzou. (ONS -Rgph de 2008- -Tableau 26).Que faut-il d’autre en plus pour être éligible à l’eldorado administratif tant espéré?

Le troisième choc

Le troisième choc revendicatif, porté par de jeunes universitaires et de simples citoyens dont beaucoup de femmes, a été le «sit-in du samedi», à la fin de l’année 2011, où chacun exigeait le partage équitable de l’institution universitaire. Une décision majeure fut prise en février 2012, pour l’érection d’un centre universitaire dans un premier temps. Serait-ce suffisant pour calmer les ardeurs d’un corps avide de promotion socio-économique et dont l’inanition n’a d’égale que sa frustration longtemps entretenue par des artifices qui ne peuvent plus tenir la route? L’imminente mandature présidentielle, y répondra irrémédiablement, car son jeu n’aura plus de joker à abattre.