«Blackkklansman» en projection à Alger: Le black power cousu de fil blanc !

«Blackkklansman» en projection à Alger: Le black power cousu de fil blanc !

Le dernier film du réalisateur américain Spike Lee, Grand Prix au Festival de Cannes, est actuellement en projection à la salle Atlas de Bab-el-Oued jusqu’au 19 janvier. «Blackkklansman : j’ai infiltré le Ku Klux Klan» est un polar à mi-chemin entre le buddy-movie et le tract antiraciste.

Ne dérogeant pas à ses thématiques de prédilection, Spike Lee revient en 2018 avec un film éminemment politique sur le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis et l’insubmersible tentation raciste qui mine ce pays. Cette fois, c’est avec un script tiré d’une histoire réelle qu’il aborde la question : au début des années 1970, Ron Stallwarth (John David Washington) devient le premier officier noir à intégrer le Colorado Springs Police Department. Reçu avec scepticisme par les uns et une franche hostilité par les autres, il tentera de s’imposer tant bien que mal, convaincu que l’on peut changer les choses de l’intérieur.

A l’heure où le mouvement des droits civiques bat son plein dans le Colorado, le suprématisme blanc n’en est pas moins présent à travers le Ku Klux Klan qui adopte néanmoins, par la voix de son représentant David Duke, un discours non-violent pour séduire le plus grand nombre. Le jeune policier décide alors d’infiltrer l’organisation avec l’aide de son coéquipier, Philip Zimmerman (Adam Driver), un officier juif mais jusque-là inconscient du racisme qui ravage le pays. Tandis que Ron communique par téléphone avec les plus hauts dignitaires du Klan, Philip se charge des missions physiques et doit faire face aux soupçons d’un membre particulièrement zélé (Jasper Pakonen). Les deux coéquipiers finiront par découvrir un plan meurtrier visant des militants noirs et tenteront à tout prix de le déjouer.

Spike Lee assume ici, comme dans beaucoup de ses films, un parti-pris cinématographique à la fois évident et gênant. Comme pressé par la nécessité de rappeler au public les sursauts jamais abolis d’une Amérique raciste et comme convaincu que l’engagement ne peut s’offrir le luxe de la subtilité, il verse très vite dans le premier degré et le manichéisme. Moches, bêtes, méchants, illettrés, les membres du Ku Klux Klan sont à l’exact opposé des militants noirs : cultivés, pacifiques, beaux et héroïques. Un film à thèse donc où la cause noble défendue depuis toujours par le réalisateur justifierait ces travers nuisibles au cinéma et rendrait irrecevables toutes les critiques envers ce schématisme suffocant.

Or, on ne va pas dans une salle de cinéma uniquement pour se rappeler les horreurs du monde et en être indigné ; on y va aussi – et surtout – pour découvrir l’atmosphère singulière d’un cinéaste, son style propre dans l’analyse et la représentation du phénomène abordé, son esthétique et sa capacité à créer du sens et du beau avec sa caméra. Or, Spike Lee (qui n’en est pas avare habituellement) semble pour ce film céder à une certaine facilité où la dénonciation franche et directe du racisme et la glorification du mouvement pour les droits civiques deviennent d’autant plus prioritaires que le locataire actuel de la Maison Blanche s’appelle Donald Trump ! Se voulant pédagogique, schématique et limpide, le réalisateur ne s’embarrasse pas de nuances et va même jusqu’à négliger l’épaisseur psychologique de ses personnages. En effet, si on passe sur la caricature draculesque des membres du Ku Klux Klan, on remarquera néanmoins que cette tendance simpliste atteint même l’équipe des «gentils» qui, hormis le fait d’être du bon côté de la barricade, n’a pas grand-chose pour s’imposer.

Spike Lee essaie néanmoins d’atténuer cette lourdeur didactique par des traits d’humour bienvenus sauf qu’il replonge aussitôt dans le schéma initial et va jusqu’à vouloir contrôler de bout en bout la réflexion du spectateur. En effet, le film renvoie d’une manière assez naturelle à une actualité brûlante (les meurtres de jeunes Noirs par la police américaine, le retour en force du mouvement suprématiste blanc, l’élection de Donald Trump) mais le réalisateur, voulant à tout prix se faire comprendre et avortant ainsi l’une des rares subtilités du film, clôturera ce dernier sur des images réelles de Charlottesville où un terroriste d’extrême-droite a foncé avec sa voiture sur des manifestants noirs en août 2017  faisant un mort et plusieurs blessés ; il y ajoutera ensuite un extrait du discours du Président américain où il atténuait le caractère raciste de cet attentat.

Spike Lee aura donc bouclé toutes les issues afin que «Blakkklansman» devienne le film tracté par excellence !

Sarah H.