A quoi aura servi Benzema durant cet euro 2016, qui rappelons le, s’est soldé dimanche dernier par la défaite de la France, pays hôte, face au Portugal ? Sur le terrain, à rien, puisqu’il n’a pas été sélectionné. Truisme, me diriez-vous ? Pas tout à fait, il n’est pas inutile de le rappeler car la présence de Benzema dans les médias français, depuis le début de la compétition suggérait le contraire.
Présence ? Le mot est faible. Benzema est devenu au fil des victoires de l’équipe de France une obsession-attraction médiatique, comme seuls les médias français savent en fabriquer. Des articles douteux, et des commentaires d’internautes absolument consternant. La simple évocation de son nom suffisait à provoquer l’ire des foules. Complicité, il y avait. Et pas uniquement sur le terrain, entre les joueurs. Elle était aussi entre certains médias, toujours prompts à exacerber les haines, et ces internautes, racistes (conscient ou non de leur racisme), toujours prêt à en découdre. Les deux parties se sont livrées tout au long du tournoi à un rite sacrificiel quasi quotidien. L’offrande Benzema, comme lien entre ces médias offrant le rite et ces internautes-facebookeurs unanimes qui en sont le destinataire. L’objet sacrifié, comme lien entre les Hommes et les dieux, un en particulier, le dieu de l’extrême.
Il ne s’agissait plus de Benzema, il n’a jamais vraiment été question de Benzema. Il s’agit d’une certaine « F-rance » et de ses crispations identitaires relayées, appuyées, amplifiées par des médias qui ont tout intérêt à détourner l’attention des véritables enjeux, particulièrement décisifs pour le devenir de la France.
Il s’agit aussi d’une certaine classe politique à court d’idées pour sortir la France du marasme social et économique. Et il s’agit surtout d’une certaine classe intellectuelle aux motivations obscures qui refuse la complexité de l’identité, particulièrement (uniquement?) quand elle est maghrébine. Benzema, réceptacle de haine, victime expiatoire, symbole d’une génération issue de l’immigration, qui pèche en refusant obstinément l’intégration. Finkielkraut et ses coreligionnaires ont tranché.
Pendant ce temps là, en Algérie, les jeunes ont exulté au coup de sifflet final. Des pétards ont retentis. Certains sont même sortis défiler pour exprimer leur joie profonde. Aberrant et effrayant. La France pour ces jeunes, qui n’ont pas connu la colonisation, est soit un objet d’amour, soit un objet de haine. Plutôt de haine. Il ne peut en être autrement pour eux. Car si la mémoire se transmet, la haine aussi. Et puisqu’il n’y a pas d’avenir, mieux vaut s’accrocher au passé, aussi laid et douloureux soit-il.
Deux sociétés se font face, toutes deux malades. Écrasées sous le poids de l’histoire. Toutes deux dans l’impasse identitaire. Elles sont pourtant capables de réconciliation. Il le faut.