Seul ksar du Sud où la palmeraie se niche à l’intérieur des habitations, la plus vieille forteresse de Beni Abbès offre un spectacle unique. Avant la chaleur du printemps, prenez la direction des dunes…
Le soleil se lève timidement sur les murs d’argile. Les hommes remontent le sentier des palmeraies, se dirigeant vers la mosquée. Les femmes s’activent dans les cours et préparent le pain, chauffent le lait, habillent les enfants…
Aujourd’hui, plus personne ne vit comme cela entre les murs du vieux ksar de Beni Abbès, car plus personne n’y habite à l’année. Dans la ville et ses alentours, on dénombre en tout sept ksour dont certains sont encore habités. Le plus fascinant est celui construit au cœur de la palmeraie.
Le vieux ksar a été fondé par Sidi Mohamed Ben Abdesslam, Marocain d’origine, dont la tombe, toujours visitée, se trouve encore sur le site. Son architecture est typiquement sahraouie. Là, résident pas moins de cinq familles, la plupart ayant quitté ce lieu dans les années 1950, d’abord chassées par les fouilles menées par les Français puis incitées par l’octroi de terrains à l’extérieur du ksar.
Construit en toub et avec des troncs de palmier, matériaux locaux, le vieux ksar date du XVIe siècle. Pas moins de 300 familles y résidaient à l’époque. Les briques, qui ont servi à sa construction, ont été fabriquées à base d’argile, de sable et d’eau. Malgré le passage du temps, elles demeurent en parfait état, même si les murs, eux, tombent en miettes chaque jour un peu plus.
Les propriétaires des maisons du ksar s’occupaient de la rénovation, des travaux d’aménagement et d’assainissement de manière traditionnelle. L’équilibre écologique était respecté. Puis, depuis les années 1990, quelques opérations de réhabilitation du ksar – défrichage, nettoyage des toitures… – ont été engagées, mais sans un réel impact. L’autre particularité de ce ksar, c’est la manière dont est disposée et organisée la palmeraie, riche de très nombreux palmiers donnant une quinzaine d’espèces de dattes. Les plus connues, aux noms exotiques, succulentes, sont lahmouri, echerka et lhartane.
De l’extérieur, on dirait un grand jardin compact. Pourtant, à l’intérieur, l’espace est divisé en petits potagers individuels. Seuls les travaux d’irrigation créent un réseau qui unifie l’ensemble. « Dans la plupart des architectures, le jardin ou le lopin à cultiver est à proximité de l’habitation, explique Nouri Salim, architecte et chercheur à Alger. Mais dans ce ksar, la palmeraie fait partie intégrante du lieu d’habitation, compte tenu du climat et des températures élevées en été. Elle sert ainsi de mur anti-chaleur et de ventilation, car elle recouvre la partie du ksar exposée pendant des heures au soleil. » Ainsi, grâce à ce système ingénieux, les habitants se préservent de l’hostilité du climat tout en vivant au rythme de leurs traditions ancestrales.
Des toits des maisons désertées, la vue se perd à l’horizon sur les dunes rouges, dorées par le soleil, où le vent dompte les grains de sable en folie, emporte le chèche d’un chamelier et dessine les courbes des nuages d’un blanc pur. D’une terrasse plus élevée, un spectacle magique : celui d’un scorpion géant étalé sur la palmeraie… Il s’agit en réalité de la forme dessinée naturellement par les canaux d’irrigation de la rivière. A Beni Abbès comme dans la plupart des villes du Sud, la distribution de l’eau se fait via les foggaras, un système de partage de l’eau équitable. En se promenant dans le dédale de sentiers ensoleillés, on peut croiser des enfants ou des personnes qui descendent à toute allure ou remontent vers la ville.
Chaque cérémonie est célébrée dans un espace consacré – la grande place du ksar a longtemps été le lieu de rencontre des érudits, musiciens et autres personnages qui faisaient la réputation des environs. C’est ici, par exemple, que se sont produites les troupes venues de Béchar lors du festival Nuits de la Saoura. A cette occasion, toute la population s’était rassemblée dans le vieux ksar. Les enfants trouvaient là un terrain de jeu leur permettant d’inventer mille aventures, les plus âgés racontant des histoires mystérieuses sur la forteresse, les femmes riant de bon cœur. L’espace de quelques jours, le ksar avait retrouvé son activité d’autrefois.
Par Faten Hayed