Benchicou «L’avenir de la presse est tributaire des luttes populaires»

Benchicou  «L’avenir de la presse est tributaire des luttes populaires»

Le Soir d’Algérie : Votre dernier livre, un roman, vient d’être interdit de publication en Algérie…

Mohamed Benchicou : C’est le quatrième livre à subir ce sort ! A l’heure où tombent les derniers despotes, à l’heure où la parole se libère dans le Maghreb et dans le monde arabe, le régime algérien tient, par ce geste, à rappeler qu’il figure toujours parmi les dernières autocraties moyenâgeuses. Comment les reconnaît- on ?

A cette peur médiévale, justement, la peur d’un livre. C’est un signe distinctif fort, la peur d’un livre. Tous les dictateurs qui viennent de chuter, ou qui sont en voie de l’être, ont été d’abord des tyrans effrayés par un livre. Ben Ali, Moubarak, Hafez Al-Assad puis son fils Bachar ont brûlé des dizaines de milliers de livres et incarcéré des centaines de plumes. Sous leur règne, l’écrivain arabe, le journaliste arabe, le poète arabe n’a été qu’un homme sans nom, seulement un numéro d’écrou, pour paraphraser Mahmoud Darwich : Michel Kilo, Adonis, Chawqui Bagdadi, Mamdouh Azzam, Abdel Rahman Mounif, Sadeq Jalal El Azm, Mohamed Abou, Kareem Amer : numéros perdus à Damas ! Numéros maudits à Tunis ! Numéros oubliés au Caire ! C’était d’abord cela, la dictature : une patrie recluse, une patrie «qui craint de regarder son corps dans un miroir pour ne pas le désirer», comme l’a si magnifiquement écrit le poète Nizzar Kabbani. Des patries qui ont peur de l’écrit, de la création… «Cette patrie qui considère que la Rose Est un complot dirigé contre le régime, Que le Poème est un tract clandestin ».

Le parallèle avec l’Algérie n’est-il pas hâtif ?

Pourquoi le serait-il ? Comptez donc le nombre d’artistes, d’écrivains, d’intellectuels qui ne peuvent plus créer dans leur propre patrie ! J’en suis à mon quatrième livre censuré ! Les autorités algériennes viennent de légaliser la censure en transformant une simple formalité administrative en «autorisation de paraître».

Le numéro d’ISBN est un simple enregistrement dévolu à la Bibliothèque nationale pour immatriculer les ouvrages afin d’en faciliter la gestion par les professionnels. Mme Toumi l’a transformé en «permission d’éditer» ! C’est anticonstitutionnel ! Le droit de publier un livre est garanti par la Constitution dans son article 38. Seul le juge peut ordonner la censure d’une œuvre !

Comment expliquez-vous cette peur du livre ?

Tous les espaces de la création sont mis sous tutelle par l’Etat policier, dans le cadre de la stratégie de contrôle et de conditionnement de la population, que ce soit dans le journalisme, le cinéma, le théâtre ou l’édition, puisque même le droit d’éditer des livres est désormais remis en question. Le régime autocratique, bâti sur le travestissement des faits et le mensonge, lâche quotidiennement sur l’Algérien ses tanks de la désinformation et de la propagande que sont l’ENTV, la radio et l’APS auxquelles s’ajoute une certaine presse privée supplétive, que j’appellerais la «presse baltaguia», pitoyable et honteuse, dirigée par des pantins qui se piquent de posséder une «ligne téléphonique» directe avec les puissants plutôt qu’une ligne éditoriale, chargée de parasiter l’influence des titres indépendants.

C’est le bilan que vous faites de l’état de la presse en 2011 ?

Non, pas seulement.

Il y a aussi des avancées. Avec le boom des réseaux et médias sociaux (Facebook, Twitter), l’émergence des nouveaux sites d’information, les mouvements de protestation initiés dans les médias publics (radio, ENTV, APS, El- Moudjahid …), on peut dire que la presse algérienne, en cette année 2011, paraît avoir reconquis, timidement, après tant d’années d’humiliation, ce que Camus appelait le jeune visage de la grandeur retrouvée. Le fait que des journalistes refusent de s’abaisser à la servitude du mensonge est quelque chose de prometteur pour l’avenir de la presse algérienne. Mais dans sa structure, la presse algérienne est toujours celle d’un Etat bananier. Ne nous y trompons pas : la presse algérienne ne sera vraiment libre que lorsque le dispositif de la désinformation sera mis hors d’état de nuire et restitué à sa vocation de service public.

Que doit faire la presse pour accélérer cette libération ?

Croire en elle-même et refuser de collaborer avec l’Etat policier. Refuser de participer à ses comédies. Comme ces états généraux censés faire le bilan de 20 ans de pratique du «pluralisme de presse en Algérie».

Avec qui ? Avec ceux qui ont saboté le pluralisme ? Avec Nacer Mehal, le ministre de la propagande ? Que sait-il du pluralisme ? Avec les dirigeants de la presse bataglia ? Avec ceux du dispositif médiatique propagandiste de l’Etat policier ? Qu’ont-ils à nous apprendre sur le pluralisme de la presse ? Le régime ne désespère pas de renforcer les rangs de la presse bataglia et de convertir les quelques titres encore indépendants en régiments de tirailleurs au service du régime. Rappelez- vous ce que disait M. Djiar en été 2006 : «Le temps du conflit avec la presse doit se terminer et je l’invite, désormais, à être aux côtés du pouvoir et pas contre lui.» Rappelez-vous le fameux brainstorming, ces stériles conciliabules entre le ministre et les dirigeants de la presse, qui donnaient au directeur du journal l’illusion d’être consulté pour l’élaboration d’une stratégie de pouvoir. Rappelez-vous ce match de football, en 2006, entre les directeurs de journaux et les ministres du gouvernement, une pathétique chorégraphie entre gens bedonnants, organisée, comble de l’infamie, en commémoration de la Journée internationale de la liberté de la presse ! C’est valable aussi pour les journalistes comme pour les créateurs dont on voit, hélas, certains parmi les plus talentueux encore dépendre de l’obole de Mme Toumi, ou les éditeurs de livres qui restent traversés par un courant inféodé au ministère et qui, fatalement, oublient de défendre la liberté d’expression. Cela dit, son avenir ne dépend pas tout à fait de la presse algérienne. Elle reste tributaire des luttes populaires pour la justice et la démocratie et du processus historique de transformation de l’Etat policier algérien en un Etat démocratique.

Rien ne peut se faire sans l’intervention des masses ?

Rien. La preuve ! Sans le contexte des émeutes, les journalistes auraient-ils bravé le système policier ? Je rappelle qu’en 1999, une journaliste de l’APS qui avait publié dans Le Matin un article dénonçant la censure, avait été sanctionnée dans l’indifférence générale. En vérité, la presse libre n’appartient pas aux journalistes mais aux peuples. C’est une affaire des citoyens. Seule la société a besoin d’un porte-voix moderne et démocratique pour être informée et participer à la vie de la nation. Le régime, lui, n’a besoin que d’outils de propagande, d’instruments de la désinformation.

Regardez : les mouvements de protestation des journalistes ont eu lieu dans le sillage des émeutes de janvier et du mouvement de contestation national, tout comme la presse libre est née par des émeutes en 1988 avec la mission de porter la plume dans la plaie, selon la formule d’Albert Londres (dont il serait utile de vulgariser et de traduire, à l’intention des jeunes confrères, les reportages chez les bagnards, chez les colonisés ou chez les fous). C’est symboliquement très significatif.

En cette Journée internationale de la liberté d’expression, on aimerait savoir si vous espérez un retour du Matin…

Mais Le Matin est toujours là ! Dans le souvenir, dans le cœur des Algériens, parmi leurs plus beaux souvenirs, ceux dont ils sont fiers. Ce n’est pas le cas de ceux qui ont planifié et exécuté cette basse besogne qui, eux, vont disparaître des mémoires ou y rester parmi les plus honteux souvenirs. Le fait, d’ailleurs, que vous posiez cette question prouve que Le Matin n’est pas mort et que l’infamie de juillet 2004 est restée la tache noire sur le front de ce pouvoir autocratique, malgré toutes les intrigues pour le faire oublier. Aujourd’hui encore, je pense que sa disparition dans l’honneur apporte plus à la cause de la liberté qu’une existence dans l’indignité.

COMMUNIQUÉ DE MOHAMED BENCHICOU

Journée internationale de la liberté d’expression : Khalida Toumi interdit le dernier roman de Mohamed Benchicou

C’est par une censure, une de plus, que le gouvernement algérien célèbre la Journée internationale de la liberté d’expression. Sur instruction de la ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, le directeur de la Bibliothèque nationale vient de refuser l’octroi de numéros ISBN et de dépôt légal pour le dernier roman de Mohamed Benchicou, Le mensonge de Dieu qui devait paraître chez un éditeur algérois.

Ce dernier avait introduit sa demande le 19 janvier dernier. A l’heure où la parole se libère partout dans le Maghreb et dans le monde arabe, le régime algérien vient de légaliser la censure en transformant une formalité administrative en «autorisation de paraître». L’Algérie devient le seul pays dans le monde à utiliser la délivrance du numéro d’ISBN, simple enregistrement dévolu à la Bibliothèque nationale pour immatriculer les ouvrages afin d’en faciliter la gestion par les professionnels, en «permission d’éditer».

Pire : Mme la ministre de la Culture se substitue à la justice de son pays dont elle bafoue les propres lois. La censure d’une œuvre de création intellectuelle relève des prérogatives exclusives de l’autorité judiciaire, et non d’un ministre. La Constitution algérienne proclame dans son article 38 : «La liberté de création intellectuelle (…) est garantie au citoyen (…) La mise sous séquestre de toute publication, enregistrement ou tout autre moyen de communication et d’information ne pourra se faire qu’en vertu d’un mandat judiciaire.»

L’auteur a saisi toutes les instances nationales (Syndicat des éditeurs du livre, SNJ…) et internationales (Unesco, Organisation mondiale des écrivains, presse internationale…) à propos de cette nouvelle censure d’un autre temps décidée à la veille de la célébration de la Journée internationale de la liberté d’expression, par un régime qui se pique de vouloir des «réformes profondes». Le mensonge de Dieu, roman historique, va sur les traces du peuple algérien de 1870 à nos jours à travers les destins croisés d’une famille de combattants indigènes, insoumis et séducteurs. Il sort en librairie jeudi 5 mai, en France et au Canada (Editions Michalon).

M. B.