Regardez bien cette photo : des milliers d’habitants de Tunis ont bravé le couvre-feu et envahi le centre de la capitale et les grandes avenues des banlieues à Carthage et à Sidi Bou Saïd, quelques minutes après le discours télévisé du président Ben Ali dans lequel il annonçait ne pas avoir l’intention de briguer un nouveau mandat. On se filmait, on se congratulait. C’était le grand soir, à Tunis. Et sans doute la première fois qu’une foule pouvait décemment célébrer l’avènement annoncé d’une démocratie au Maghreb et dans un pays arabe.
Ainsi terminent les despotes : dans l’indignité ! Ils s’en vont sous les youyous et les chants de liesse de leur propre population.
Les Tunisiens le confirment qui sont heureux d’avoir contraint leur tyran à renoncer au pouvoir à vie. «On a la liberté d’expression, la liberté de l’information, la liberté de l’Internet!», criait Mahmoud, avenue Bourguiba. «On va préparer la démocratie, on va préparer une commission pour juger les corrompus!», ajoutait un de ses amis. «Et tous les corrompus, du haut en bas!», hurlait un garçon. (Le Figaro)
Ainsi voudrait donc terminer Bouteflika ?
Il se pose, en effet, la question : Ben Ali s’en va en 2014 (ce qui reste trop loin, au demeurant), et Abdelaziz Bouteflika ?
A trop vouloir rester au pouvoir, à trop mépriser le peuple, nos monarques autoproclamés quittent le trône la tête basse, chasés, désavoués, déshonorés, après avoir accompagné leurs pays vers la décadence. Ils ne voient pas le temps passer et le gouffre s’installer entre eux et la jeune population.
« Le président Ben Ali n’avait plus d’autre choix que de capituler. Dans cette escalade de la violence, il avait été pris à son propre piège. La presse, aux ordres du pouvoir, n’était plus lue. La télévision officielle plus regardée. Entre le président et son peuple, il n’y avait plus rien d’autre que la force. Et donc une impasse absolue », écrit Le Figaro.
Le regretté M’hammed Yazid, ancien ministre de l’Information au sein du GPRA a laissé cette déclaration avant de partir : « On continue d’avoir comme gestionnaires des affaires du pays des gens qui ne croient pas à la démocratie. Ces mêmes gens ont été amenés et installés à la tête du pays par un système qui perdure depuis l’indépendance. A partir de 1962, nous avons connu une usurpation du pouvoir par des institutions qui s’inscrivaient dans la logique du parti unique. Et cela explique les développements qui nous ont amenés à avril 1999 où un président dit de “consensus” a été installé à El Mouradia à la suite d’une mascarade électorale. »
Comme Ben Ali, la famille et les proches de Bouteflika ont pillé le pays (dixit l’ambassadeur de France in WikiLeaks) ; comme Ben Ali, Bouteflika a institué la corruption. Mais ses hommes sont mêlés à des scandales bien pires que ceux qu’on prête à Ben Ali. Les malversations commises par l’équipe Chakib Khelil se chiffreraient, à elles seules, à 52 milliards de dollars, selon une source de l’Energie, d’où la déclaration éloquente de Youcef Yousfi : « Les faits reprochés à l’ancienne équipe sont gravissimes »
Bouteflika a décapité l’Etat, vidé les institutions…
« Bouteflika ne pouvait se contenter du poste de président de la République, dit son vieux compagnon Chérif Belkacem. Il a voulu s’emparer de tous les postes, celui de ministre comme celui de député ou celui de maire. C’est pour cela qu’il n’y a plus aujourd’hui d’autorité nulle part, celle de l’Etat, celle du maire ou celle du ministre… Il faudra résoudre ce problème d’autorité après le départ de Bouteflika. »
Comme Ben Ali, Bouteflika a abandonné la jeunesse et fermé toutes les perspectives
A-t-il retenu les leçons des émeutes ?
Il est à craindre que non.
Comme Ben Ali, Bouteflika pense que le pouvoir ne se restitue pas. Il se consomme jusqu’à la mort, puis il se transmet Ainsi ont toujours pensé tous les autocrates arabes Hafez El Assad, de Bourguiba, de Kadhafi, de Saddam ou de leurs copies médiocres comme Ben Ali, rois-roturiers et monarques absolus.
Le pouvoir ne se restitue pas pour deux raisons.
La première est que pour le nouveau président « civil », ex-capitaine putschiste, le pouvoir est un butin de guerre.
Il appartient aux plus forts. A un clan. Son clan. Le clan des vainqueurs.
Le pouvoir est un butin de guerre que l’on a conquis en mettant sa tête sur le billot.
Le billot ? C’est la guerre de libération, celle que Bouteflika dit avoir menée contre l’occupant français puis, à l’indépendance, au sein du groupe de militaires qui ont confisqué le pouvoir au peuple pour ne plus jamais le rendre : le clan d’Oujda formé autour de l’état-major général de l’ALN, dirigé alors par le colonel Houari Boumediene et qui avait écarté, à la dernière minute, et par la force, le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda, le GPRA, pour s’emparer des rênes de commande en Algérie
Il fera alors ce que fait Moubarak en Égypte, qui en est à sa nième modification de la constitution, Kadhafi en Libye, Hafez El Assad en Syrie, Ben Ali en Tunisie : paver le chemin à l’héritier disponible, le frère, puisqu’il n’y a pas de fils, le frère qu’il compte fortement impliquer dans l’exercice du pouvoir.
Ainsi a fait Moubarak avec son fils Gamal, ainsi a fait Ben Ali qui viola deux fois la constitution, ainsi procédait Saddam avec son fils aîné, le tristement célèbre Oddei qui lui aurait succédé s’il n’y avait eu l’invasion américaine ; ainsi fit Hafez El Assad avec son rejeton Bashar ; ainsi s’apprêtait à faire Kadhafi avec son fils Seif-El-Islam…
Le pouvoir appartient aux triomphateurs, aux conquérants. Pas au peuple. Mais à ceux qui « se sont battus au nom du peuple »
La seconde raison pour laquelle il ne rendrait pas le pouvoir est que le pouvoir est « son dû ».
Le pouvoir est une affaire de clan.
Ce 15 avril 1999, Bouteflika s’installait à vie, parce que ce pouvoir, c’est le sien, celui de la « famille ».
Aussi, quand Bouteflika dit sur Europe 1 devant Jean-Pierre Elkabach. : « J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediene, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée à imposé un candidat », il parlait de la succession dans le cadre du clan.
« Boumediene m’a désigné comme son successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d’Abdelmadjid Allahoum . Qu’est devenue cette lettre ? Je voudrais bien le savoir, car je l’ai vue cette lettre ! »
Quand il posa, avec détermination, en octobre 1999, cette question à Khaled Nezzar, le général en restera stupéfait. « J’ai exprimé ma surprise. Je n’ai jamais entendu parler d’un tel testament », raconte le général . Aucun dirigeant politique algérien n’a jamais entendu parler de cette lettre-testament.
Mais l’anecdote est significative de l’état d’esprit qui habitait l’homme à son intronisation : il revenait au pouvoir non pas en tant qu’élu de la nation mais en tant qu’héritier, monarque rétabli dans son « droit » à la succession.
Il est même cocasse d’entendre Bouteflika sur Europe 1 devant Jean-Pierre Elkabach. « J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediene « mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée à imposé un candidat »
Le pouvoir est une affaire de clan.
Ecoutez Belkhadem hurler : « Bouteflika se présentera en 2014 ! »
Lui ou son frère Saïd…
La coterie qui s’agglutine autour de Bouteflika ne veut pas entendre d’alternance.
Alors, oui, la vraie préoccupation aujourd’hui est : combien de morts encore pour débarrasser le pays du clan Bouteflika, et de ses acolytes ?
L.M.