Belmokhtar, un empire basé sur le crime

Belmokhtar, un empire basé sur le crime

Le bandit dissident d’al-Qaida se retrouve aujourd’hui dans une situation très délicate.

Offensive militaire franco-africaine contre les groupes terroristes armés dans le Nord-Mali, opérations à la frontière algéro-tunisienne, renforcement des mesures de sécurité le long de la frontière mauritano-malienne et au Niger, autant de facteurs qui ont entravé la capacité d’al-Qaida à lancer des attaques.

Et pour Mokhtar Belmokhtar, ancien émir d’al-Qaida devenu leader terroriste indépendant, le Mali devient un endroit dangereux où baser ses jeunes Mourabitounes.

Belmokhtar, connu également sous le nom de Khaled Abou El Abbas ou Laaouar, avait coupé les liens avec al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans un contexte de conflits incessants pour le leadership de l’organisation et de querelles à propos des trafics et du paiement des rançons.

Depuis août dernier, le groupe formé après la fusion de son groupe dissident d’al-Qaida, la katibat El Moulethemoune (« Brigade des Voilés »), et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) tente de retrouver les feux de la rampe.

Mais les récentes attaques à la roquette contre les forces françaises à Tombouctou et Gao n’ont toutefois rien de comparable avec le siège du complexe gazier d’In Amenas en janvier 2013.

« Voyant qu’ils ne sont plus en mesure de recréer un califat dans le Nord-Mali, ces groupes jihadistes armés sont passés à la phase des actions terroristes spectaculaires. Il est probable que leur objectif est de perpétrer un nouvel In Amenas », a rapporté le quotidien Le Monde citant une source militaire française, mardi 11 mars.

Laaouar est toujours en quête de la célébrité internationale que lui avait valu la crise des otages dans le sud de l’Algérie, mais ses efforts sont fortement compromis.

Et un nouvel élément risque de porter un coup encore plus fatal à ses ambitions de califat : une montée du ressentiment populaire, un mécontentement attisé par la prise de conscience que les civils sont les premières victimes.

Le jeune militant touareg Ameknas Ag Akal raconte les atrocités commises le mois dernier dans le village de Tancotat, à cent kilomètres au nord de Kidal.

« Près de trente-cinq civils touaregs ont été assassinés », raconte-t-il à Magharebia. « Les éléments qui ont tué ces civils appartenaient au MUJAO. »

Ils sont actifs dans la région, ajoute ce jeune Touareg, « grâce à l’argent qu’ils reçoivent du terroriste Laaouar ».

« Les populations du Nord-Mali ont commencé à prendre conscience du danger que représentent ces terroristes », reconnaît Mohamed Ag Ahmedu, un autre jeune Touareg.

« Ils s’en prennent même désormais aux bergers, pour voler leurs puits et leur bétail. Cela leur vaut une haine féroce, en particulier contre Laaouar ; c’est lui qui les finance », ajoute-t-il.

Le point de vue de ce jeune Touareg est partagé par le terroriste repenti « Tahaoui ». Dans un entretien avec El Watan, cet ancien jihadiste qui vivait avec Laaouar depuis qu’il avait rejoint la mouvance terroriste le décrit comme « juste un criminel suffisamment audacieux pour aller jusqu’au meurtre ».

« Son expérience en Afghanistan lui a permis de se distinguer parmi les autres terroristes. Mais cela ne l’a pas empêché de prendre certaines décisions qui ont par la suite engendré des litiges avec d’autres leaders terroristes », a expliqué Tahaoui au quotidien algérien.

Tahaoui explique que pour Laaouar, la peur de la mort l’avait poussé à communiquer avec les autorités algériennes en charge de la sécurité en 2006 afin de bénéficier de la réconciliation nationale.

Il le décrit également comme un homme qui trahirait ses propres principes et ses alliés si nécessaire.

« Bien que Laaouar entretienne des relations proches avec d’importantes personnalités au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie, au Mali et en Guinée, il n’est pas digne de confiance parce qu’il peut se débarrasser de ses alliés à tout moment et dans n’importe quelles circonstances », ajoute-t-il.

« Cela se retrouve dans son échec à s’entendre avec d’autres leaders, parce qu’il ne tient en permanence compte que de ses propres intérêts », explique-t-il.

Fortement affaibli par les frappes aériennes et des opérations quasi suicidaires, son groupe « cherche à reprendre un rythme opérationnel », explique le spécialiste du terrorisme Isselmou Ould Moustapha. « Mais ils n’ont plus le potentiel nécessaire pour prendre des otages, leur principal source de revenu. »

Laaouar a volé des véhicules en Algérie, qu’il a ensuite revendus pour trouver de l’argent pour acheter des armes. Il est surnommé « Marlboro Man » pour sa longue habitude de trafic de cigarettes. Il ferme également les yeux sur les trafiquants de drogue qui traversent les régions qu’il contrôle.

Tahaoui parle de Laaouar comme de quelqu’un épris de leadership, raison pour laquelle il s’est disputé avec Abderrazak El Para à propos de la direction des jihadistes dans le Sud algérien.

Laaouar envoie des messages simplement pour rappeler qu’il est toujours là.

En janvier, il a menacé de s’en prendre aux intérêts de la France et de ses alliés en représailles à l’intervention au Mali.

Plus d’un an après la dispersion des groupes terroristes armés dans le nord du Mali par les Français, la brigade de Belmokhtar est déterminée à frapper certaines cibles. Si ces attaques peuvent ne pas être trop douloureuses, elles restent néanmoins un facteur de nuisance pour les troupes maliennes et leurs alliés français et africains.

Pour sa part, Belmokhtar a décidé de suivre une nouvelle stratégie qui implique de disparaître.

Rester dans l’ombre est la manière qu’il a choisie d’éviter sa capture ou son élimination. Ce retrait vise également à insuffler un nouvel élan dans l’organisation en laissant de nouveaux commandants diriger les combattants. Mais Laaouar reste au Conseil de la Shura pour apporter « conseil, planification et orientation », selon un journaliste mauritanien spécialiste des groupes islamistes armés, Mohamed Mahmoud Abu Maali.

Mohamed Horma, spécialiste des questions du Sahel, se refuse pour sa part à considérer les attaques persistantes dans le nord du Mali comme un échec des troupes françaises et africaines.

« La France ne s’attendait pas à une victoire facile. Elle pariait sur une guérilla longue, au vu de l’étendue et de la complexité du Sahara », explique-t-il.

« Les Français savent que cette guerre sera remportée par ceux qui font preuve du plus de résistance », ajoute-t-il.

Le retour des groupes islamistes armés dans le Nord-Mali n’est pas une surprise, explique-t-il. « Ils se sont retirés des villes et se sont mêlés à la population locale dès le début de l’intervention française, sans jamais totalement disparaître », souligne-t-il.

Une observation partagée par Anfar Ould Sidi, journaliste à Radio Méditerranée. « Les groupes armés dans le nord du Mali mènent rapidement de brèves attaques puis disparaissent », explique-t-il à Magharebia.

« La raison en tient au fait que la campagne française a frappé les militants au sommet, mais n’a pas éradiqué les racines », précise-t-il.

Les observateurs continuent de faire le lien entre la présence d’éléments terroristes et l’actuelle crise à Kidal. Les terroristes exploitent la colère de la population locale et la retournent contre l’autorité gouvernementale.

Pour le blogueur Ahmed Gedo, « l’Azaouad, cette région qui est aujourd’hui le théâtre d’attaques terroristes, devrait être développé. »

« Cette région continuera d’être une antre pour les terroristes et ceux qui fuient la justice, ainsi que pour les narcotrafiquants, parce que les approches sécuritaires à elles seules ne fonctionnent pas », explique-t-il.

Elle pourrait bien encore exploser, conclut-il.