Belkhadem s’oppose aux réformes de son tuteur et protecteur : Guérilla contre le président

Belkhadem s’oppose aux réformes de son tuteur et protecteur : Guérilla contre le président

Du jamais vu dans les annales de la République depuis l’accession au pouvoir du président Bouteflika en 1999 ! Un secrétaire général du parti de l’alliance présidentielle, Abdelaziz Belkhadem, patron du FLN (Front de libération nationale), représentant personnel du chef de l’Etat, ex-chef du gouvernement, qui mène une guérilla ouverte, directe, frontale contre les réformes de son président…Du jamais vu, en effet.

Depuis début octobre 2011, Abdelaziz Belkhadem, épaulés par les députés de son parti, mène une guérilla ouverte contre son chef-président et contre son ministre de l’Intérieur. Objectif : torpiller deux articles de loi portant sur le régime électoral.

Plantons le décor qui précède cette guérilla

Dimanche 11 et lundi 12 septembre 2011, le président Bouteflika tient conseil avec les ministres de son gouvernement. Au terme de ces deux longues conclaves, le Conseil adopte plusieurs projets de loi sensés concrétiser les réformes politiques promises par le chef de l’Etat lors de son discours à la nation prononcé le 15 avril dernier.

Dans le cadre de ses réformes sensées consacrer l’ouverture démocratique, Bouteflika fait donc adopter, entre autres, deux articles de loi portant sur le régime électoral : le 93 et le 63. Le premier oblige les ministres du gouvernement qui se porteraient candidats à l’élection législative à démissionner de leurs postes trois mois avant la date du scrutin.

Le second interdit à tout élu de quitter, au cours de son mandat, sa formation politique pour rejoindre une autre sous peine d’être déchu « de plein droit de son mandat électif ».

Projets de loi adoptés en Conseil des ministres

Le Conseil des ministres plié, les projets de loi atterrissent à l’Assemblée pour y être débattus avant adoption.

Là, les députés de la coalition présidentielle, composée du FLN, du RND (Rassemblement national démocratique) et du parti islamiste MSP, sortent la grosse artillerie pour s’opposer à ces deux dispositions ainsi qu’à celle qui prévoit un quota de 33 % pour les femmes dans les instances élues.

Majoritaire à l’assemblée avec 136 sièges, le FLN est particulièrement remonté contre ces deux articles. Alors que les deux chefs de fil du RND et du MSP, Ahmed Ouyahia et Bouguera Soltani, gardent profil bas, Abdelaziz Belkhadem monte au front.

Belkhadem dit niet

Il en fait la démonstration vendredi 7 octobre à la radio algérienne.

Abdelaziz Belkhadem : « L’article 93 de la loi électorale, obligeant les ministres à démissionner de leur poste trois mois avant la date du scrutin, pose un problème constitutionnel de fond, car il ne peut y avoir aucune interférence entre le pouvoir législatif et exécutif, et même le chef de l’Etat ne peut pas faire démissionner ses ministres dans ce cas. Comment faire au cas où le chef de l’Etat veut se porter candidat à sa succession ? On va lui demander de démissionner ? Ce n’est pas possible ? »

Interrogé sur l’article 63 qui interdit le nomadisme politique, le SG du FLN s’explique : « Je ne doute pas que l’élu, du point de vue du mode proportionnel appliqué en Algérie, est élu sur une liste et sur un programme précis, mais il y a aussi la dimension liée au scrutin universel. »

Les déclarations de l’ex-chef du gouvernement font écho à d’autres prises de positions hostiles à ces lois de la part des élus de son parti, notamment Hocine Khaldoun, président de la Commission des affaires juridiques, administratives et des libertés de l’APN.

Bouteflika président d’honneur du FLN

En s’opposant personnellement à ces deux articles, et en instruisant les députés de son parti pour faire de même, Abdelaziz Belkhadem bascule de facto dans l’opposition au président Bouteflika.

Au-delà des arguments développés pour demander le retrait de ces deux articles et le reformatage de celui touchant à la représentation des femmes, l’attitude du SG du FLN met le chef de l’Etat dans une posture aussi inconfortable qu’inédite.

Bien qu’il n’exerce aucune fonction exécutive au sein de cette formation politique, Abdelaziz Bouteflika, 74 ans, demeure le président d’honneur du FLN depuis le 8eme congrès tenu en janvier 2005.

Certes s’est-il toujours gardé d’intervenir publiquement dans les affaires internes de son parti, mais il n’en garde pas moins la haute main. N’est-ce pas lui qui ordonna à la justice en octobre 2003 d’invalider, de nuit, le congrès du FLN qui avait permit à son rival, Ali Benflis, d’être élu secrétariat général ? N’est-ce pas encore Bouteflika qui avait offert à Belkhadem le FLN sur un plateau en janvier 2005 ?

Et c’est en sa qualité de président d’honneur du FLN qu’Abdelaziz Bouteflika est aujourd’hui désavoué publiquement par Abdelaziz Belkhadem. Et pan sur la tête du président d’honneur du vieux parti !

Et si ce désaveu ne tenait qu’à ce détail…

Le président défié

Mais c’est que Bouteflika est surtout défié en sa qualité de chef de l’Etat. Les projets de loi qui sont aujourd’hui contestés par le patron du FLN ont été élaborés sur la base des consultations politiques engagées par Bouteflika et confiées à la « commission Bensalah ».

Ces projets qui traduisent, comme on se plait à le répéter ici et là, la volonté du président de consacrer l’ouverture démocratique ont été adoptés en Conseil des ministres auquel avait assisté Abdelaziz Belkhadem. Ce jour-là, celui-ci s’est montré davantage soucieux de défendre le retour du FIS sur la scène politique que de s’opposer aux deux articles précédemment cités.

L’attitude de Belkhadem et de ses fidèles s’apparente à un acte de défiance à l’égard du président.

Reste l’autre question, de forme celle-là. Certes l’alliance présidentielle, FLN, RND et MSP, ne doit son existence qu’au seul postulat qu’elle applique le programme du président et nul autre. C’est la règle : Bouteflika décide, l’alliance dispose, obéit, applique.

Alliance présidentielle cet improbable attelage

Mais en s’opposant frontalement à la démarche de Bouteflika, Belkhadem prend le risque, non pas de faire voler en éclats cet attelage improbable entre conservateurs, modernistes, nationalistes et islamistes, mais il prend surtout le risque de démolir la crédibilité du chef de l’Etat.

Ainsi quel crédit accorder au président quand celui est désavoué, défié, par son propre camp, par son propre parti, par son représentant personnel, celui-là même à qui il a confié les clefs du gouvernement entre 2006 et 2008 ?

On peut penser qu’au crépuscule de sa vie politique, fatigué par 12 années de pouvoir, perclus par la maladie, Abdelaziz Bouteflika n’est plus en mesure de tenir ses ouailles.

On peut également considérer que la lente agonie politique du chef de l’Etat – car il s’agit bel et bien d’une agonie politique – aiguise les appétits des prétendants à sa succession, particulièrement Abdelaziz Belkhadem, aujourd’hui âgé de 66 ans. Sentant la fin proche, celui-ci se piquerait de s’affranchir de son tuteur pour s’affirmer politiquement.

Tout cela est possible, vraisemblable même.

Mais alors quelle serait l’issue de cette guérilla?

Légiférer par ordonnance ?

Excluons d’abord la possibilité que le chef de l’Etat promulgue les textes par ordonnance présidentielle. Bien que Bouteflika ait recouru par le passé, et à maintes reprises, à cette procédure, il n’est plus en mesure de le faire dès lors que projets de loi font déjà l’objet de discussions au sein de l’Hémicycle.

Légiférer par ordonnance des textes sensés consacrer le pluralisme et la démocratie serait un coup de force que Bouteflika ne pourrait se permettre au soir de sa carrière politique. Quoi que l’homme est imprévisible et déroutant.

Reste alors trois scénarios.

Siffler la fin de la récréation ?

L’Assemblée adopte les textes en retoquant les deux articles qui suscitent la controverse. Dans ce cas, le FLN aura remporta la bataille en se payant la crédibilité du président.

Le président siffle la fin de la récréation en ordonnant à ses ouailles de rentrer dans les rangs. Ils adoptent alors les textes tels qu’ils ont été décidés lors du Conseil des ministres et c’en est fini de la guérilla.

Dans ce cas-là, Belkhadem perdra la face. Non seulement les ministres de son parti, qui voudraient se porter candidats à la prochaine élection, devraient démissionner trois mois avant le scrutin, mais le SG du FLN sortira davantage plus affaiblit. D’autant plus qu’il doit faire face à la fronde des redresseurs. Il suffira alors d’un mot de Bouteflika pour que sa tête roule dans la sciure.

Dissoudre l’assemblée?

Dernière hypothèse, la moins probable, mais qui n’est pas à exclure, c’est que le chef de l’Etat décide de dissoudre l’Assemblée actuelle pour faire face à la désobéissance de ses alliés de la coalition.

Bouteflika a-t-il encore les forces nécessaires pour mettre en branle un tel scénario qui chamboulerait tout son agenda politique? Rien n’est moins sûr.

En attendant, la guérilla du SG du FLN continue. Une première dans les annales de la République de Bouteflika.