Béjaïa: Un jour de mars avec les centenaires de la Soummam

Béjaïa:  Un jour de mars avec les centenaires de la Soummam

Elles sont toujours vivantes et actives. Elles ont dépassé les 100 ans d’âge. Elles ont vécu toutes les affres de la vie, les guerres, la misère et la paix dans leurs villages.

Quel plaisir de les écouter, de les regarder de les voir s’affairer, de les rencontrer tout simplement et goûter à ces instants d’insouciance, de sagesse. Certaines d’entre elles ne connaissent rien de la ville, encore moins de la modernité. Elles, ce sont les femmes rurales auxquelles l’Association des journalistes et correspondants de presse de Béjaïa et le Comité des fêtes de la ville de Béjaïa ont rendu visite en ce jour de printemps dans leurs villages respectifs pour les honorer, à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Ghazali Zakia, du haut de ses 130 ans, nous reçoit chez elle comme l’ont toujours si bien fait les femmes kabyles si généreuses et accueillantes. Elle habite dans un petit village de la commune de Chemini. Son neveu de 51 ans était avec elle.

Elle était certes chétive avec des traits qui illustrent parfaitement son âge avancé et les affres qui l’ont marquée dans sa longue vie. Mais elle était consciente et savait que des invités étaient venus lui rendre visite. La Journée de la femme, elle ne la connaît pas. «Pas besoin», dit-elle avant de se lancer difficilement, mais sûrement sur l’histoire d’une vie marquée par des sacrifices autant durant la guerre que lors des moments de paix. «Nous avons toujours travaillé pour l’intérêt collectif, celui de la famille, du village puis du pays», raconte-t-elle, puis elle marque une halte, essoufflée. Le secret de cette longue vie est à trouver dans le style d’alimentation propre aux Kabyles. Dans ses propos, on comprend vite qu’il s’agit de ce qu’on appelle maintenant le «bio».

«Elle et ses semblables se sont toujours nourries de ce qu’elles ont produit dans les champs et leurs bergeries», explique le neveu. Na Zakia vit avec la cinquième génération de la famille. Elle a mis au monde neuf enfants dont le premier fils a 85 ans et son petit-fils en a 35. Un total de 36 descendants. Toujours à Chemini, nous nous retrouvons chez Saâdaoui Djédjigua, 105 ans. Emue et à la fois heureuse de recevoir une délégation de visiteurs chez elle, elle n’a rien de son époux qui l’a quittée pour l’au-delà il y a exactement 41 ans. «J’étais bouleversée par sa disparition, mais j’ai continué à élever seule mes enfants comme s’il était toujours là près de moi», raconte-t-elle.

Elle aussi a toujours vécu au village de son époux. Le champ était sa seule ressource, avec l’élevage des animaux domestiques. Elle illustre parfaitement le mode de vie des villageois dans le temps. «Le temps où le marché n’existait pas pour nous, pas comme aujourd’hui», fait-elle remarquer. «Nous nous nourrissions de tout ce que nous cultivions et élevions», ajoute-t-elle.

La troisième centenaire, nous la rencontrerons sur le chemin du retour. Birouche Sahra était faible et chétive mais son esprit est resté intact malgré les années faites de misère, de difficultés à tous les niveaux. A 106 ans, elle arrive à distinguer les uns et les autres. Elle reconnaît certains par la voix, d’autres par le toucher. Sa vue s’est réduite si fortement, mais elle n’est nullement gênée.

Au village Tiliwa Kadhi, devenu aujourd’hui une sorte de marché pour les femmes de la région où on trouve de tout, nous rendons visite à une dame âgée de 101 ans. Nous découvrons Hassaïm Taklit entourée des membres de sa famille, qui lui accordent toute l’attention nécessaire. Elle ne manque de rien et se nourrit toujours bien. Cela aussi c’est l’une des valeurs ancestrales de la société kabyle. On n’abandonne jamais ses parents. Na Taklit nous accueille avec des poèmes et des citations de bienvenue. Très lucide, elle prodiguait des conseils aux femmes du village et aux jeunes filles qui composaient la délégation des visiteurs. Tout y est et rien n’échappe à Na Taklit qui donne l’impression d’être très au fait des problèmes des femmes, de nos jours. «Sans la femme, l’homme ne réussirait rien. C’est elle qui l’encourage, le conseille et le pousse à aller de l’avant», dit-elle aux filles comme pour leur expliquer que la femme est d’abord le complément de l’homme avant tout autre considération.

C’est ainsi que la vie leur a appris à se comporter autant avec les parents, époux et enfants. Dures comme la vie qu’elles ont vécue, ces centenaires se montrent satisfaites de leurs parcours faits de labeur, de nourriture saine et d’une satisfaction interne, qui ont fait d’elles des femmes qui ont vécu sereinement sans tomber malades. D’ailleurs, certaines d’entre elles refusent toujours d’aller se faire soigner chez les médecins, préférant les recettes d’autrefois, encore efficaces, disent-elles. Nous quittons Chemini avec cette sensation d’avoir découvert des êtres assez différents dans leur vie, qui n’est autre qu’une leçon pour toutes celles qui n’arrêtent pas de se plaindre alors qu’elles vivent dans des conditions autrement meilleures.