2017 est sur les portes. Les Algériens, dans leur écrasante majorité, n’ont pas l’esprit aux fêtes de fin d’année. Ils se préoccupent au plus haut point des temps difficiles qui s’annoncent. La nouvelle loi de Finances, qui vient d’être adoptée par la Chambre basse du Parlement, prévoit une réduction des transferts sociaux de l’ordre de 200 milliards de dinars et une hausse des taxes de 20 milliards de dinars afin d’équilibrer le budget de l’Etat, mis à rude épreuve par la baisse durable des cours du pétrole. Cette politique «d’austérité», communément appelée rationalisation des dépenses publiques, aura un impact fâcheux sur le pouvoir d’achat des salariés et des retraités.
Les premiers effets de ces mesures sont déjà douloureusement vécus par les ménages à faible revenu. La hausse progressive des prix, qui affectent depuis des mois le marché des fruits et légumes, a considérablement affecté le quotidien des familles. «On est obligé de réduire, nous aussi, nos dépenses avec une priorité pour les produits essentiels. C’en est fini pour les gâteries !», souligne Rachid, fonctionnaire et père de quatre enfants. Pour Amer, un vieux retraité avec deux filles à charge, ce tour de vis, en dépit de ses conséquences fâcheuses sur le quotidien de millions de citoyens, serait un mal nécessaire pour lutter contre le gaspillage et l’incivisme. «Je suis franchement peiné de voir nos poubelles remplies à ras bord de pains et autres produits alimentaires. Pis, ce pain subventionné qu’on jette sans façon, on l’achète à l’étranger et au prix fort. C’est dans ces moments difficiles qu’on prend conscience de notre propre faillite morale et matérielle», tempête-t-il, en soulignant que les restaurants et les réfectoires collectifs (écoles, universités, casernes, entreprises…) devraient, eux aussi, rationner le pain pour, dit-il, «bannir à jamais ce spectacle déshonorant de la nourriture jetée à la décharge publique». Ce sentiment est largement partagé par les vieilles personnes, éduquées sur le respect, voire la vénération du pain et de la nourriture de manière générale. Leur vœu pénible a été en quelque sorte exaucé.
En effet, les ménages, démunis de moyens, commencent à revoir sérieusement leur mode de consommation. Le pain de la veille est réchauffé au four micro-onde pour servir aux tartines du petit déjeuner. Les restes de repas sont également conservés et recyclés. Même en matière de vêtements, beaucoup de gens puisent dans leurs commodes pour ressortir les frusques qu’on a dédaignés dans un passé récent. La flambée des prix a aussi lourdement touché le segment du prêt-à-porter. Les ménagères s’emploient à faire des économies sur tout, y compris la lessive de la machine à laver. Si pour certains, cette façon de faire est synonyme de misère, pour d’autres il s’agit d’une correction salvatrice des mœurs. Les commerçants sont les premiers à relever ce réflexe des clients à bien étudier leurs achats et à recompter minutieusement la monnaie.
Toutefois, la minorité dite aisée (hauts fonctionnaires, footballeurs professionnels, entrepreneurs prospères et riches négociants) ne semble pas affectée, du moins jusqu’à présent, par la rigueur budgétaire. Cette caste, généralement perçue comme une catégorie privilégiée, ne semble pas prête à rompre avec son somptueux train de vie aux allures provocatrices par ces temps de privation. En somme, l’entame, tant appréhendée, de l’année 2017 a déjà imprimé des changements visibles dans le comportement du consommateur.