Les murs n’ont pas que des oreilles. Ils parlent aussi. Les murs disent tant de choses de ce que pensent ou font ceux qui vivent en leur intérieur.
Le plus souvent sans le vouloir explicitement, et il suffit juste de promener son regard et prêter attention aux signes qui expriment parfois des évidences, d’autres des vérités réprimées, des illusions passées ou nouvelles, des conflits ou des partages…
Les murs, érigés pour cacher et empêcher ce qui est privé de devenir public, parlent, parce qu’ils se donnent à lire et délivrent des messages aussi divers qu’inattendus. Les murs disent ainsi l’opulence jusqu’à l’extravagance, la modestie jusqu’à la misère, de leurs propriétaires.
Ils éveillent la peur ou sont suscités par elle, quand ils sont massifs, hauts, aveugles, barreaudés, barbelés… Quelquefois, tout de même, ils s’écartent pour donner à voir le magnifique Yemma Gouraya, la superbe baie qui baigne la ville, ou simplement pour laisser un petit espace pour la végétation.
Eux-mêmes sourient, parfois, quand ils fleurissent aux balcons, par la grâce d’une main verte, d’une âme qui tient à son innocence, d’un cœur qui élague l’humain ennui de la vie en prenant soin des plantules qui la célèbrent.
Les murs, en épelant des noms de rue, disent les vies de gens d’exception par le courage ou les réalisations qu’ils ont léguées à des mémoires souvent courtes. Des prénoms aussi s’aiment pour la vie sur les murs, quand ces personnes se sont chéries juste le temps des vacances. En se proposant à la vente, les murs rappellent le cauchemar ou invitent au rêve les sans-gîte et les mal logés, convient aux bonnes affaires les épargnants et les spéculateurs.
Ils suggèrent le bonheur attendu de l’évasion vers des destinations terrestres exotiques, qui déjouent tout quotidien rébarbatif, et célestes pour clore une vie ou se racheter une conduite grâce un petit ou grand pèlerinage vers les Lieux Saints. Les murs portent la tristesse qui accable quotidiennement la ville, à travers des avis de décès collés un peu partout pour informer de l’infortune du jour de telle ou telle autre famille et que proches et amis puissent venir partager cette douleur afin qu’elle soit plus supportable.
Les murs informent aussi des disparitions inexpliquées d’un membre de la famille, jeune ou adulte, ou de l’évasion du petit chat à l’appel subit et irrépressible de la liberté. Mais, paradoxalement, jamais aucune annonce de bonheur : les murs ne partagent pas la joie d’une naissance ou de prochaines noces, trop intimes, semble-t-il, pour être portées à la connaissance d’inconnus… ou de mal intentionnés ? Les murs, toutefois, ne sont pas sans cœur. Ils appellent souvent à la solidarité pour un don de sang, un repas aux démunis, une aide à un nécessiteux, une petite fête aux sans-joie… Les murs disent surtout la passion des supporters du MOB, à tous les coins de rue, peinturlurés de vert et noir, aux couleurs du club auquel on jure fidélité éternelle et soutien jusqu’à la « mort », reléguant le club rival, la JSMB, aux oubliettes de l’imagination et de la créativité. Les murs ont du caractère et le font savoir.
Rejetant la répudiation prononcée par les baathistes, ils imposent le caractère latin et portent, comme une mère enceinte, le signe amazigh, célébré jusque sur les frontons des institutions étatiques, pour rappeler que la revendication culturelle n’a été ni oubliée ni assouvie.
Les murs trahissent aussi le niveau scolaire, à travers la charmante naïveté ou l’humour involontaire des fautes d’orthographe et des offres de cours de soutien et de formations « prestigieuses » qui tentent de calmer la détresse des parents, moyennant argent sonnant et trébuchant. Les murs contestent, revendiquent, font beaucoup de politique. Ils ne disent pas si des citoyens ont été convaincus ou sont restés indifférents. Mais ils le laissent clairement reconnaître quand ceux-ci ont été excédés ou complètement opposés à ces discours et portraits, dont les affiches portent balafres et cinglants graffitis, marques indélébiles de l’échec consommé. Les murs disent tellement de choses sur la vie qui vibre… Ne les dressons pas, mais écoutons-les !
Ouali M.