Bâtiment : Valse des permis de construire à Sidi Yahia ?

Bâtiment : Valse des permis de construire à Sidi Yahia ?

Un peu plus d’un an après le glissement terrain qui s’est produit à Sidi Yahia, dans la commune de Bir-Mourad-Rais, et qui a causé le décès d’un enfant de 10 ans, un nouveau chantier est lancé sur le lieu du drame. De même nature que celui incriminé.

Les riverains du chantier ont été interpellés par un nouveau panneau d’affichage du permis de construire sur la clôture du chantier. Il remplace celui qui a été placé au lendemain du drame, et dont l’objet a porté sur la construction d’un parking. Le nouveau panneau mentionne la construction d’un immeuble et d’un mur de soutènement, dont l’autorisation a été accordée en 2016. S’agit-il de la coopérative Wafa, de l’ancien promoteur qui est à l’origine du drame ? Si aucune précision n’est apportée sur l’identité du promoteur du nouveau chantier, sa date d’autorisation coïncide avec celle accordée à l’ancien promoteur, en l’occurrence la coopérative Wafa. Pour rappeler les faits, au lendemain du drame, le P/APC de Bir Mourad Raïs est revenu en long et en large sur ce chantier. D’après lui, il est engagé par la coopérative Wafa, qui avait ambitionné de construire un immeuble avec magasins. Elle a obtenu le terrain en 2006. 10 ans plus tard, elle a déposé une demande de permis de construire, laquelle a été accordée en juillet 2016. Le chantier est lancé, alors, en ne respectant pas les règles de sécurité de construction. Selon le P/APC, ce promoteur a lancé les terrassements sur du tuf et du remblai. Ce dernier a été mis en place par l’architecte de la cité la Concorde, il date donc de l’ère coloniale. Alertée par les riverains du risque élevé de glissement de terrain à la cité Concorde, dont une partie se trouve en amont du chantier, la commune lui a adressé une mise en demeure, lui notifiant l’urgence de consolider le tuf et le remblai par un mur de soutènement, en juillet 2016. Elle est restée lettre morte. Les bulldozers ont continué d’activer sur le tuf et le remblai, incommodant les riverains par les nuisances sonores jusqu’à des heures indues de la nuit. Un soir, leur raffut s‘arrête brusquement. Ces engins seront brûlés par les riverains, lors d’une longue nuit de protestation. C’était le 14 août 2017.

Chronologie d’un crime nommé insouciance

Ce soir-là, aurait pu être banal à la cité la Concorde, un soir qui rappelle les ambiances des fêtes d’Aïd dans les cités à Alger : un petit troupeau de moutons est parqué sur une colline, entourée d’un mur, qui n’a pas sa place, et face à deux grands immeubles dont la majorité des fenêtres sont grandes ouvertes. Une aubaine pour les habitants de ce quartier, qui comme à l’accoutumée, grouille d’enfants, de jeunes et moins jeunes. Des jeunes filles, des dames de tous âges, sont aussi dehors à cette heure-ci. Certaines reviennent du travail, d’autres d’ailleurs et d’autres font leurs courses. Sur la colline, où se trouvent les moutons proposés à la vente, des enfants sont présents en nombre accompagnés d’un parent curieux de connaître la mercuriale du mouton à deux semaines de l’Aïd. Et pendant que les grands s’enquièrent des prix, les petits sont littéralement sous le charme des moutons, dont les bêlements, qui se mélangent aux cris des enfants, parviennent jusqu’aux maisons avec l’odeur du foin. À côté, git une carcasse de voitures. Dedans sont entassés quelques gamins. Comme les autres, ils sont là, ensemble, pour parler des moutons, si leurs familles vont en acheter ou pas cette année, s’ils les préfèrent avec cornes ou pas, bagarreurs ou dociles, noirs comme le veut la tradition hébraïque, petits, grands, gros, etc. Une occupation bénie par nombre de mères, qui à cette heure -ci de la soirée savent où trouver leurs petits, sortis jouer avec leurs copains. Quoi de plus normal pour une journée des grandes vacances ! Et alors que le soleil est sur le point de se coucher, un énorme bruit parvient aux appartements de la cité la Concorde. Il tranche avec les cris de joie des enfants. Ce bruit, semblable à un énorme fracas, est accompagné de cris. Des cris d’horreur, de détresse et des pleurs. Puis des voix s’élèvent pour implorer l’aide du Tout Puissant. Elles glacent le sang des habitants du quartier : le mur contre lequel était parqué le troupeau a cédé, il a été emporté, dans le glissement de terrain qui vient de se produire, sur le chantier de construction. Avec lui, bétail, enfants et adultes ont, à leur tour, été emportés, ensevelis sous le mur et la terre. Sitôt les cris lancés, une chaîne humaine s’est formée sur le lieu où s’est produit le glissement. Les jeunes du quartier ont accouru. Le soleil venant de se coucher, il y faisait nuit noire. Pour s’encourager, les premiers arrivés sur place, improvisés en secouristes, ont crié en cœur «Allah Akbar».

En bas de la colline des femmes, essentiellement les mamans des enfants qui étaient à côté des moutons s’étaient regroupées. Les secouristes les ont empêchées de se rendre sur les lieux du drame. D’autres femmes les ont rejointes. Sans attendre les pompiers, les secouristes, renforcés par d’autres jeunes du quartier, se sont organisés en groupe.On a fait de la lumière avec les téléphones portables aux premières personnes descendues secourir les personnes emportées, ainsi que les moutons. Deux moutons seront abattus sur place, et toutes les personnes seront secourues. Parmi elles, deux personnes dans un état critique : un enfant de 10 ans et un homme de 46 ans. Evacués en urgence, l’enfant finira par décéder, le soir même à l’hôpital.

Discorde à la Concorde

Sitôt la nouvelle parvenue dans le quartier de la Concorde, la terreur dans laquelle il était plongé, s’est transformée en un véritable brasier de colère : très remontés contre le promoteur de la coopérative Wafa, des jeunes ont mis le feu aux engins du chantier, saccagé les tôles de zinc qui l’entouraient et empêché les pompiers d’agir. Pour ramener le calme, les forces de l’ordre ont été appelées en renfort, s’en est suivi des échauffourées entre les forces de l’ordre et des jeunes. Les altercations ont repris les nuits qui suivirent, elles ne prirent fin qu’avec l’arrêt officiel du chantier et l’ouverture d’une enquête, instruite par le procureur près du tribunal de Bir-Mourad-Rais. Sur les lieux du drame ont été étendus des films en plastique , et à la place de l’affichage du permis de construire du promoteur de la coopérative Wafa, a été placardé un autre : il annonce la création d’un parking. Plus d’un an plus tard, le placard du permis de construire du parking a été enlevé. À sa place, un panneau d’affichage d’un permis de construire d’un immeuble et d’un mur de soutènement.

Écrit par Lydia Jazairi