Sur la série d’entretiens que le journal a eue avec d’anciens internationaux arabes qui ont connu, dans un passé récent, le coach Halilhodzic et plus particulièrement les Marocains, notre choix s’est porté sur Salaheddine Bassir. Formé au Raja, il est passé de La Corogne, en Liga espagnol, au LOSC, en Ligue 1, du championnat de France. Première sélection en 94, il reste le meilleur buteur en sélection avec 25 buts en 50 sélections.
Les supporters algériens sont avides de connaître le passé footballistique du nouveau sélectionneur des Verts. Il se trouve que vous vous êtes croisés à Lille. Voudriez-vous nous en parler ?
C’est un entraîneur respectable. Il ne s’est pas contenté d’une carrière footballistique en tant que joueur professionnel, mais il s’était fait remarquer en terminant avec le FC Nantes meilleur buteur de Division1. Il est charismatique et sa forte personnalité lui permet une bonne gestion de ses hommes, chacun selon son caractère. Dire que c’est un fin psychologue n’est pas totalement faux, bien au contraire. Vahid sait quand est-ce qu’il peut compter sur son joueur et quand est-ce qu’il doit le laisser sur le banc de touche.
Cela va sans doute pousser des coaches à méditer sur la psychologie de ce sélectionneur dont la façon de gérer son groupe reste inconnue en Algérie…

Avec ce coach, le joueur ne met pas beaucoup de temps pour comprendre les choix de son entraîneur. S’il se retrouve en face d’un élément en mesure de représenter la clé du succès dans une rencontre, ou à chaque match, il le traite au même titre que le reste du groupe. Dans un seul but, ne pas altérer la bonne marche de l’équipe. Et je ne vous dirai pas ce qu’il nous faisait endurer durant les réunions qui suivaient les matchs.
Qu’y avait-il de particulier dans ces réunions avec le Bosniaque ?
Il revenait avec force détails sur les erreurs de chacun. Au point où on finissait par se convaincre qu’il valait mieux appliquer à la lettre ses consignes sur le terrain pour éviter un mauvais quart d’heure. Il lui arrivait d’élever la voix, voire même de crier. Il faut savoir être patient avec ce sélectionneur. Il n’est pas colérique, mais il ne reconnaît pas son père à l’entraînement. Tout ce qui l’intéresse, c’est d’arriver à des résultats.
Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?
J’en ai une qui me touche particulièrement. Une fois, à l’entraînement, il s’est mis à parler de la situation de Lille, ensuite, il s’est retourné dans ma direction et m’a dit : «Salaheddine, tu as un match avec ta sélection à Bamako, dimanche. Je veux te voir, le lendemain, lundi, dans l’après-midi». Comme je me trouvais dans une bonne euphorique, je me suis permis de le contredire. Je tentais d’expliquer au coach la gymnastique qui m’attendait pour trouver un vol de Bamako à Rabat, puis vers Paris et Lille. Il me répond d’un regard glacial : «Loue un avion ou mets-toi des ailes.» J’essaye de reprendre la parole, mais il me coupe et dit : «Stop». A la fin de la séance, il me convoqua à son bureau.
Que s’est-il passé ensuite ?
Il m’avait reproché de l’avoir contredit devant les autres joueurs et ne voulait absolument plus que cela se reproduise à l’avenir. Selon le coach, je devais patienter jusqu’à la fin de la séance et demander à le voir en aparté pour lui exposer mon cas.
A-t-il été indulgent envers vous concernant votre présence après le match que le Maroc devait disputer contre le Sénégal ?
Absolument pas. Il m’avertit qu’à mon retour, je trouverai le préparateur physique sur le terrain qui me prendrait en charge. Je me suis débrouillé pour revenir à Lille. Le Maroc a fait un voyage à bord d’un avion militaire jusqu’au Sénégal. Le retour de Bamako s’est fait à la fin du match. J’ai rallié Casablanca de Rabat par route avec mes propres moyens. A l’aéroport de Casablanca, j’ai fait intervenir mes relations pour regagner la France. Ce n’est pas fini. A Paris, j’ai dû prendre le TGV pour effectuer le voyage jusqu’à Lille. Je suis arrivé vers 19 heures sur le lieu de l’entraînement et j’ai trouvé le préparateur physique en bleu de chauffe en train de m’attendre. Je me rappelle qu’en plein match, contre le Sénégal, les paroles de Halilhodzic revenaient sans cesse. Mais franchement, j’arrivais difficilement à tenir debout durant la séance de décrassage et de récupération. Je ne voulais pas le contredire. Permettez-moi de donner un petit conseil aux joueurs algériens.
On vous écoute…
Toutes les tentatives de le contredire sont vouées d’avance à l’échec. Il faut appliquer à la lettre ses idées.
Comment s’est fait votre transfert à Lille, au cours de la saison 2001/2002, au moment où vous portiez le maillot du Hillal Saoudi ?
Il a eu l’occasion de me voir jouer avec La Corogne. Mon coéquipier en équipe nationale, Abdelilah Fahmi, qui portait le maillot de Lille, l’avait tenu informé de mes prestations. Le reste s’est fait simplement. Mon passage à Lille aura été exceptionnel
En quoi était-il si exceptionnel ?
Parce que cette équipe de Lille, qui ne subit pas de pression, est arrivée à se qualifier à la Ligue des champions. On était dans le même groupe que des équipes les plus huppées en Europe, à l’instar de Manchester United. On s’était classés troisièmes de notre groupe. On avait joué l’Europa League. On s’est fait éliminer difficilement par le Bourussia Dortmund. Tout le monde s’accordait à dire que Lille jouait un football très plaisant.
Quand on voit sa personnalité, ne croyez-vous pas qu’il puisse avoir des relations conflictuelles avec les joueurs ?
Vahid a travaillé dans des pays arabes, il connaît les Tunisiens, les Algériens et les Marocains. Il partage notre confession. Il faudra délimiter le territoire de chacun et il n’y aura pas de conflit sérieux. Un peu de temps est nécessaire pour s’adapter à sa méthode de travail.
Pensez-vous qu’il est l’homme de la situation pour l’EN d’Algérie ?
Il a besoin d’appliquer ses idées. On a tous besoin d’un environnement sain, même si le coach est capable de s’adapter à toutes les situations. Maintenant pour répondre à votre question, oui, je pense qu’il est l’homme de la situation pour l’Algérie.
Quel est le souvenir que vous gardez de votre passage à Lille ?
La Ligue des champions et l’Europa League sont des souvenirs inoubliables. Avec un effectif modeste, on est arrivés à aller loin dans les deux compétitions. D’ailleurs, le stade de Lille scandait le nom du coach, pas celui des joueurs. La star, c’était Halilhodzic, on se contentait des seconds rôles (dit avec le sourire, Ndlr).