Une partie des Algériens se mobilise contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika âgé et malade, à un quatrième mandat. Le mouvement Barakat (ça suffit) peut-il élargir son audience au delà d’une petite frange de la classe moyenne?
Les troubles qui ont conduit à l’annulation d’un meeting électoral pro-Bouteflika samedi à Béjaïa vont-ils casser la dynamique du mouvement Barakat? Abdelmalek Sellal, qui mène campagne à la place du président très diminué, a eu plus de succès pour mobiliser contre lui les anti-Bouteflika que le mouvement Barakat formé début mars pour dénoncer la candidature du président Abdelaiz Bouteflika à un quatrième Mandat. Sellal a été accueilli dans cette ville de Kabylie aux cris de « Bouteflika dégage », par quelque 250 manifestants qui ont ensuite brûlé des portraits du chef de l’Etat Une équipe de cinq personnes de la chaîne pro-Bouteflika En-Nahar, a été agressée et quatre de ses journalistes ont été blessés, selon son directeur.
« 15 ans, barakat ! (ça suffit) ». Le cri de protestation né de l’annonce, le 22 février, de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat par Abdelmalek Sellal -alors Premier ministre, il a suspendu ses fonctions pour diriger la campagne présidentielle-, est à l’origine du mouvement du même nom. Réunissant des personnalités liées par les réseaux sociaux, Barakat a organisé des rassemblements dans plusieurs villes du pays pour protester contre « le système » en place depuis 52 ans d’indépendance.
Des formulaires circulent sur Facebook: « Je, soussigné… affirme n’avoir jamais rencontré de membre du gouvernement et n’avoir jamais demandé ni insisté auprès de qui que ce soit pour que vous vous présentiez à un 4e mandat. Sur ce, je vous demande de vous retirer de cette mascarade politique ». Une façon de répondre à l’affirmation selon laquelle Bouteflika se représente à la demande de ses compatriotes.
Un mouvement qui a créé la surprise…
Le mouvement est né de l’indignation d’une partie de la population face à la candidature d’un chef de l’Etat quasiment impotent : « Nous sommes devenus la risée de la planète. Réélire un président qui ne s’est pas adressé au peuple algérien depuis 2 ans ! », s’emporte Yacine Zaid, membre du bureau de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Barakat se définit comme un mouvement « citoyen, pacifique et autonome, qui rejette le quatrième mandat et milite pour l’instauration d’un véritable régime démocratique en Algérie ».
« Barakat a créé la surprise en réunissant des gens d’horizons très variés, se félicite Yacine Zaid, des islamistes jusqu’au RCD » [Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti ayant appelé l’armée à interrompre le processus électoral après le victoire des islamistes au premier tour des législatives en 1911, prélude à 10 ans d’une guerre sanglante]. « Les Algériens retrouvent la voix pour dire leur lassitude de ce système », ajoute-t-il.
Autre point positif de ce mouvement, selon l’activiste, aucun leader ne se démarque même si quelques figures ont émergé comme Amira Bouraoui, sa porte-parole, une gynécologue, Ghoul Hafnaoui, directeur de la rédaction d’Atlas-tv et les journalistes Mehdi Bsikri et Mustapha Benfodil.
… Mais assez marginal
« Le mouvement s’appuie sur une saine colère, mais il ne concerne qu’un segment restreint de la population, tempère Saïd Djaafer, rédacteur en chef du site Maghreb émergent. Il n’atteint pas les quartiers populaires, sevrés de politique », après les années de violence de la guerre civile (1992-1999).
Un reproche fait par nombre d’observateurs. « C’est un mouvement déconnecté de 80% de la population algérienne », souligne Omar Benderra, économiste, proche de l’ancien Premier ministre réformateur Mouloud Hamrouche (1989-1991). « Il a rarement réuni plus d’une centaine de personnes à chaque manifestation, y compris dans la capitale ». Le mouvement ne touche qu’une partie de la classe moyenne algéroise. Il regroupe des étudiants, des universitaires, et beaucoup de journalistes, ce qui explique peut-être en partie sa visibilité.
Yacine Zaïd espère pourtant que la mobilisation pourra s’élargir, tout en étant inquiet de la réaction possible du « système » si le mouvement prend de l’ampleur. « En Algérie, quand le système a peur, il crée le chaos », assure-t-il. Ainsi, les violences communautaires à Ghardaïa ces derniers mois participent selon lui de la même stratégie de la tension que les propos orduriers tenus le 11 mars par Abdelmalek Sellal à l’encontre des chaouis, des berbères de la région des Aurès. Ces insultes ont été à l’origine d’une levée de boucliers dans la région. Pour Yacine Zaïd, il ne s’agit pas d’une gaffe; il a délibérément cherché la provocation.
La plupart des observateurs sont pourtant sceptiques sur la capacité de Barakat à changer les choses dans le pays. Que restera-t-il du mouvement après le 17 avril, lorsque -personne n’en doute- Bouteflika sera réélu?
Une « démocratie Potemkine »
« En Algérie, la population ne manifeste pas de colère à l’annonce des résultats des élections, contrairement à d’autres pays, parce qu’elle ne se sent pas représentée par les partis politiques en lice, souligne Luis Martinez, directeur de recherche au Ceri: ils représentent des instruments au service du sytème clientéliste sourd aux attentes de la population ». Aux législatives de 2007, déjà, le taux de participation n’était officiellement que de 35%, et probablement d’à peine plus de 20%, selon le Front des Forces socialistes (FFS, parti d’opposition ayant appelé au boycott). « Le pouvoir a réussi à casser la société civile de ce pays. Il a noyauté et manipulé un certain nombre d’associations. Le peuple algérien est sans repères. Il n’a plus d’espoir », relève Yacine Zaïd. Les partis politiques sont discrédités. Ils servent de faire-valoir au système ».
Les élections ne sont qu’un simulacre de démocratie, « un véritable village Potemkine destiné à satisfaire les instances internationales », assène Omar Benderra. Une mascarade raillée par les jeunes Algériens « d’en bas ». Le mouvement Barakat peut-il élargir son audience et offrir une alternative aux exutoires que sont les émeutes sporadiques secouant régulièrement le pays, ou la fuite de cette terre ingrate, à l’instar de ces harragas, (migrants clandestins) qui se sont filmés à bord d’une frêle embarcation, fuyant leur pays en clamant: « barakat, ça suffit ! ».